(cc) Ecole Polytechnique

Contexte

Au printemps 2020, près d’un travailleur sur cinq dans le monde a travaillé à domicile. Une proportion inédite, qui est vouée à se pérenniser après la crise sanitaire, avec des conséquences majeures dans de nombreux domaines.

Avant la crise sanitaire

Le télétravail désigne traditionnellement «l’exécution d’une activité professionnelle, en tout ou en partie, à distance (…) et au moyen des TIC »[1]. Avant l’apparition de la pandémie, le télétravail, occasionnel ou structurel, concernait une faible partie de la population, mais il faut noter que ce nombre était en constante augmentation jusqu’en 2019, où il concernait près de 19% des travailleurs en Belgique. La crise sanitaire a donc agi comme un accélérateur d’une tendance déjà à l’oeuvre.

 

Pourcentage de travailleurs qui travaillent occasionnellement ou régulièrement à domicile

Pourcentage de travailleurs qui travaillent occasionnellement ou régulièrement à domicile, Belgique 1999 – 2019. Statbel

Pendant la crise sanitaire

Durant la crise sanitaire, le télétravail contraint, même s’il ne concernait pas tout le monde, est devenu la norme pour de nombreux travailleurs. Il différait du télétravail tel qu’envisagé jusqu’ici, car le confinement concernait également les enfants : les travailleuses et travailleurs ont donc dû gérer leur propre travail ainsi que l’occupation ou la scolarité de leurs enfants, avec un déséquilibre en défaveur des femmes (l’IWEPS estime le temps de garde hebdomadaire à 12h pour les femmes, et 8h pour les hommes[2]). On observe toutefois que cette période de télétravail contraint a permis d’assurer la pérennité du fonctionnement de beaucoup d’organisations durant le confinement ainsi que de surmonter certaines réticences liées au travail à distance. L’enquête nationale sur le télétravail en 2020 indiquait que pendant la pandémie, 45 % des personnes ont télétravaillé, dont 22% à temps plein. L’accès au télétravail des femmes s’est particulièrement renforcé.

Le télétravail contraint s’étant bien souvent organisé dans l’urgence, de manière peu concertée et selon des conditions ergonomiques et organisationnelles peu optimales, le bien-être des travailleurs a été impacté. De nombreuses entreprises ne disposent toujours pas de politique de télétravail à proprement parler, ce qui laisse la porte ouverte à des dérives liées à une flexibilisation accrue des conditions de travail et l’hyper-disponibilité parfois attendue de l’employé par l’employeur.

Après la crise sanitaire

Le télétravail est amené à se systématiser au-delà de cette période de crise sanitaire. En moyenne, la proportion des emplois qui pourraient désormais être « télétravaillables » atteint selon diverses études entre 40 et 60 %. Les sondages montrent par ailleurs que de nombreux travailleurs comme entreprises projettent de passer à un régime hybride, avec jusqu’à 4 jours par semaine prestés en télétravail, ou même à passer à un régime de télétravail à plein temps.

Au sortir du dernier confinement (juin 2021), le cabinet de conseil BDO révélait que 84 % des Belges interrogés souhaitaient continuer à travailler de chez eux au moins deux jours par semaine. Pour 40 % des actifs, la formule privilégiée serait 60% de présentiel[3]. Du côté des entreprises, un sondage réalisé en août 2021 par SDWorx révélait que 69% des PME où le télétravail est possible souhaitaient autoriser au moins un jour de télétravail, tandis que 11% des entreprises ne pratiqueront plus le télétravail[4]. Les grandes entreprises, dont certaines proposaient déjà des modalités de travail hybride avant la crise sanitaire, sont en général davantage séduites par ce nouveau modèle, en particulier dans le secteur des banques et de la finance. Le télétravail se généralise aussi dans les institutions, comme la Commission Européenne ou le gouvernement fédéral ainsi que dans la plupart des administrations (qui occupent au total 5,5 millions de m² de superficies tertiaires, à Bruxelles, sur 13 millions de m²).

Cadre législatif actuel

Une différence est faite dans la législation encadrant le phénomène entre le télétravail structurel (CCT 85) et occasionnel (loi du 5/3/2017). D’autres textes sont également à prendre compte dans les deux cas, comme la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs, le code du bien-être au travail, ou encore les concertations des entreprises sur la déconnexion et l’utilisation des outils de communication numérique (loi du 26/03/2018).

Télétravail structurel et occasionnel

Le télétravail structurel est principalement encadré par la CCT n°85 du 9/11/2005, modifié par la CCT n°85 bis du 27/2/2008[5]. Il s’agit d’une mise en œuvre de l’accord-cadre européen du 16 juillet 2002 sur le télétravail. L’introduction du télétravail structurel implique qu’une convention soit rédigée par écrit pour chaque télétravailleur. La CTT aborde entre autres choses le fait que le travailleur jouisse des mêmes droits que sur le site de l’entreprise, des dispositions sur l’équipement et la prise en charge des frais ainsi que sur le bien-être au travail. La plupart de ces mesures, notamment en termes de prise en charge des coûts et d’indemnisation, ne sont pas détaillées et dans les faits, chaque entreprise est donc libre d’intervenir librement.

Quant au télétravail occasionnel, il est principalement encadré par la loi du 5/3/2017 concernant le travail faisable et maniable[6]. Ici aussi, les droits du travailleur sont identiques à ceux qu’il a en présentiel. Dans ce type de télétravail, il n’y a pas d’obligation de concertation sociale.

Télétravail pendant la crise sanitaire

Le télétravail imposé ou recommandé par le gouvernement fédéral a été encadré par la CCT provisoire n°149, du 26/1/2021. Entre mars 2020 et janvier 2021, le télétravail contraint s’est donc opéré hors de ces accords négociés. Le texte, dont l’application cessera ses effets au 31/03, s’applique aux entreprises n’ayant pas élaboré de régime de télétravail auparavant. La CCT 149 reprend plusieurs points de la CCT 85, y ajoutant des dispositions concernant notamment : l’obligation d’un accord sur l’équipement, la concertation obligatoire sur les heures de travail, sur le contrôle des résultats et l’accessibilité pendant les heures de travail ou encore des mesures appropriées pour maintenir les liens et prévenir l’isolement.

Cadre actuel

L’organisation du télétravail relève toujours de la CTT 85, ce sont les partenaires sociaux qui doivent fixer ses modalités pratiques, les discussions sont en cours à ce sujet au niveau du Conseil National du Travail (CNT). Le ministre fédéral de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne a d’ailleurs fait part au mois de septembre de son impatience face à l’absence d’accord entre les partenaires sociaux, indiquant que le gouvernement formulerait des propositions, notamment sur le volet du défraiement, avant la fin de l’année 2022 en l’absence d’avancée sur ce dossier.

Droit à la déconnexion

Dans le cadre du deal pour l’emploi de début 2022, des avancées notables en matière de droit à la déconnexion ont été décidées. Pour les entreprises comptant plus de 20 travailleurs, une CCT d’entreprise ou un règlement de travail (fixé par les partenaires sociaux interprofessionnels du CNT) devra déterminer les modalités précises en matière de déconnexion, sur la base d’un cadre minimal fixé par la loi. Ce cadre concerne les modalités pratiques de l’application par le travailleur de son droit à l’indisponibilité en dehors de ses heures de travail ; les lignes directrices pour utiliser les outils numériques de manière à préserver les temps de repos, les congés et la vie privée et familiale du travailleur ; des actions de formation et de sensibilisation des travailleurs et des dirigeants sur l’utilisation adéquate des outils numériques et les risques liés à une connectivité excessive.

Le droit à la déconnexion pour les fonctionnaires a aussi déjà été mis en place.

Législation européenne

L’accord-cadre européen sur le télétravail conclu en 2002[7] couvre déjà le caractère volontaire des accords de télétravail mais n’a qu’une importance juridique limitée lorsqu’il s’agit de réglementer les entreprises souhaitant adopter le télétravail. L’UE s’est aussi employée à encadrer le droit à la déconnexion. S’il n’y a pas de législation européenne spécifiquement adressée à ce sujet, de nombreux textes contiennent des dispositions le concernant. En parallèle, les partenaires sociaux interprofessionnels européens ont conclu l’accord cadre sur la digitalisation (2020). En janvier 2021, le Parlement Européen a de son côté adopté une résolution appelant la Commission à proposer une législation concernant le droit à la déconnexion[8]. L’UE peut être amené à jouer un rôle pour harmoniser les différentes réglementations adoptées par les États Membres, mais aussi pour encadrer les pratiques des télétravailleurs transfrontaliers.

Implications pour les travailleurs et l’entreprise

Écart entre travailleurs qualifiés et non-qualifiés

Ce sont principalement les travailleurs qualifiés, dont le revenu et le niveau d’éducation sont les plus élevés, qui exercent les tâches s’adaptant le mieux au télétravail. Déjà avant la crise sanitaire, le télétravail était ainsi largement plus répandu parmi cette catégorie d’individu : 25% des travailleurs du quartile supérieur de distribution de revenus dans l’UE ont télétravaillé en 2018, un chiffre qui ne dépasse pas les 10% pour la moitié la moins riche[9]. Des différences en fonction des missions existent aussi, les métiers des secteurs du soin ou de l’éducation (dans lesquels les femmes sont surrepresentées) ne se prêtant pas au télétravail.

Le passage au télétravail structurel risque ainsi d’exacerber les inégalités entre les travailleurs qualifiés, qui peuvent bénéficier des avantages de ce nouveau mode de travail et les autres. Ce nouveau clivage pourrait rendre la cohésion sociale plus problématique.

Les collectifs de travailleurs et la concertation sociale

La moindre fréquentation du lieu de travail distend les relations de travail, mais aussi la possibilité pour les travailleurs de s’organiser collectivement[10]. Le télétravail menace ainsi l’existence de communautés de travail au sein des organisations, au profit de liens plus formels avec l’organisation et les collectifs de défense des travailleurs. Ces derniers trouvent pourtant toute leur importance en ce moment de bascule du monde du travail.

Bien-être des travailleurs

L’argument qui revient le plus dans les différents sondages des télétravailleurs est le suivant : cette nouvelle forme de travail leur permet plus de souplesse dans leurs horaires et un gain de temps de trajet, ce qui permet une meilleure conciliation entre leur vie professionnelle et privée. Cela peut également contribuer à limiter chez les femmes, et en particulier chez les mères, le recours au temps partiel, à l’interruption temporaire de carrière et au congé parental. D’autres facteurs sont à prendre en compte en termes de bien-être.

Bien-être physique

Les conséquences du télétravail sont ambivalentes. L’augmentation de la flexibilité amène un temps de travail non-contraint, qui, en plus de la diminution des temps de trajet, permet aux télétravailleurs d’être moins fatigués. Un sondage mené par Securex montre que 47% des travailleurs se sentent plus fatigués après une journée au bureau qu’à la maison[11]. Une enquête  révèle par ailleurs que 46 % des sondés se sentent moins stressés quand ils sont chez eux[12]. Du côté des conséquences négatives, la pratique intensive du télétravail implique plus de sédentarité, et les travailleurs n’ont pas toujours les équipements appropriés. En France, 40 % des sondés par une enquête de la CGT se plaignent de troubles musculosquelettiques (TMS) ou de migraines oculaires[13].

Les gains de bien-être seraient a priori plus marqués en cas de régime hybride. C’est ce que révèle une enquête d’Idewe[14], indiquant que les travailleurs qui peuvent déterminer de manière flexible le temps et le lieu de leur travail, selon ce régime hybride, sont moins exposés au risque d’épuisement professionnel et éprouvent davantage de satisfaction au travail. Toutefois, un élément essentiel réside dans le facteur de choix laissé au travailleur  : les salariés autorisés à télétravailler moins qu’ils ne l’auraient souhaité courent un risque de burn-out de 50 % supérieur à ceux qui peuvent choisir leur nombre de jours de télétravail[15].

Isolement

Les technologies de l’information étant l’instance de contact majeure dans les relations interpersonnelles, le télétravail peut mener à l’invisibilisation et l’isolement des travailleurs, en raison notamment de la disparition des temps informels. Cet isolement peut être à l’origine d’une dégradation des relations entre les travailleurs d’une même équipe mais également avec les managers. En l’absence de contrôle social collectif sur le lieu de travail, le risque de harcèlement de la part des managers est plus présent. Ces derniers ne sont par ailleurs souvent pas suffisamment formés pour diriger des équipes dans ce contexte, il est plus difficile pour eux de jouer leur rôle préventif et de déceler les premières alertes avant les vrais symptômes d’épuisement. Des études ont par ailleurs prouvé que les travailleurs en présentiel bénéficiaient davantage de promotions que leurs collègues en télétravail, en raison de leurs performances moins remarquées[16].

Risque de surtravail

Il pourrait être tentant pour les entreprises de confier davantage de tâches aux télétravailleurs. En effet, les outils informatiques permettent de mesurer les performances individuelles de façon précise et régulière (procédés de contrôle pour déterminer si l’employé exerce bien son activité et pour quantifier les niveaux d’attention et de réactivité). Le télétravail mène aussi parfois à un management par objectif, dans lequel le contrôle du travail ne se fait que sur les résultats, pas sur les moyens ou le temps consacré par le salarié, ce qui pose un risque d’augmentation de la charge de travail. C’est une tendance confirmée par différentes études, comme celle menée par la FGTB, qui soutient que 27 % des télétravailleurs travaillent pendant leur temps libre pour terminer toutes leurs tâches, et que quatre travailleurs sur dix prestent plus d’heures en télétravail que sur le lieu de travail[17]. La virtualisation du travail et la mise entre parenthèses des rapports sociaux liés au travail ont donc mené à une intensification du travail et à une augmentation du temps de travail.

Le télétravail structurel contribue par ailleurs à l’accentuation d’une tendance préexistante, même en dehors des pratiques de télétravail, à savoir celle qui consiste à considérer la durée du temps de travail comme un temps forfaitaire, qui implique une déconnexion des salaires et du temps pour maximiser le travail total fourni, au regard d’objectifs fixés par la hiérarchie. Cette tendance se généralise peu à peu à de nombreux travailleurs, et constitue un véritable enjeu pour l’avenir, qui pose notamment la question de la portée effective de la réduction du temps de travail (revendiquée par certains acteurs politiques et syndicaux) dans ce contexte d’effacement des normes temporelles.

Organisation du travail au sein de l’entreprise

Gains de productivité ?

Si les études divergent, certaines suggèrent toutefois un accroissement de productivité dû à la pratique du télétravail de l’ordre de 13%, lié à plusieurs facteurs. Le principal est l’allongement du temps de travail, lui-même facilité par l’absence de déplacements domicile-travail. Cet élément doit faire l’objet d’une attention marquée, car l’augmentation informelle du temps de travail va à l’encontre de la dynamique séculaire de réduction du temps de travail, mais revient aussi de facto à une diminution du salaire horaire.

Ce gain est également lié à un environnement de travail considéré comme moins stressant, et par la diminution des distractions. Ce nouveau mode de travail permet également d’honorer plus facilement des réunions par ailleurs de plus en plus nombreuses, et de limiter l’absentéisme (le taux d’absentéisme de courte durée serait jusqu’à 28 % inférieur pour les télétravailleurs[18]).

La productivité est liée à la fréquence du télétravail : au-delà de 50% du temps de travail, l’impact sur la productivité s’atténue[19]. La déspatialisation complète conduirait en effet à la disparition des effets d’agglomération (échanges informels et parfois tacites d’informations et de connaissances).

Baisse d’esprit collaboratif et du sentiment d’appartenance

Le télétravail se traduit dans certains cas par un rapport au travail davantage transactionnel, à l’appauvrissement de sa dimension relationnelle au profit d’un rapport plus instrumental. Il peut en résulter une perte du sens du collectif ainsi que des comportements individualistes, au détriment des collaborations et de la solidarité entre collègues[20]. En outre, pour certaines activités, la présence semble indispensable : collaboration, créativité, innovation. Le télétravail réduit les possibilités de conversations informelles qui stimulent le développement de nouvelles idées, par exemple.

La mise à distance implique aussi une baisse du sentiment d’appartenance à une communauté de travail. Ceci peut avoir pour conséquence une perte de sens, mais aussi la disparition d’une forme de validation dont les personnes qui souffrent du syndrome de l’imposteur ont besoin (principalement les jeunes travailleurs et les femmes, comme plusieurs travaux l’ont montré).

Inégalités de genre

Le télétravail met en relief différentes inégalités, dont celles entre hommes et femmes, particulièrement pour les travailleuses qui sont mères. La BNB résumait ainsi les différentes facettes de la problématique du télétravail pour les femmes, dans un rapport en 2021 : « Malgré les aspects positifs qui en découlent (flexibilité, réduction des trajets domicile-travail), le télétravail pourrait aussi constituer un risque pour les femmes actives en ce qu’elles seront perçues comme davantage disponibles pour effectuer les tâches domestiques et éducatives. Au sein de leur ménage, cela pourrait accroître le déséquilibre quant au partage des tâches. En entreprise, les femmes pourraient être perçues comme moins investies dans leur travail, avec des répercussions en termes de carrière et de salaire. L’utilisation du télétravail ne doit dès lors pas supplanter un système de garde d’enfants accessible et abordable ni la possibilité d’avoir des horaires flexibles. »[21].

De nombreuses études (menées en Espagne, Italie et Royaume-Uni) ont montré que pendant le confinement, les responsabilités domestiques et de soins ont augmenté pour les travailleurs et travailleuses ayant des enfants. Si statistiquement, les pères ont augmenté leur temps passé aux soins des enfants durant ce confinement, il reste inférieur au temps que les mères ont consacré aux enfants. Concrètement, la fatigue est par exemple l’une des difficultés majoritairement rencontrées par les femmes pendant le confinement. 30% des femmes ont par ailleurs connu des difficultés à combiner leur emploi et les charges familiales, contre 18% des hommes[22] .

Certaines femmes, surtout si elles sont mères, poussées dans le dos par les normes sociales, ont tendance à valoriser le travail à domicile qui leur permet une intégration plus facile entre les domaines familial et professionnel. Le travail à domicile contribue ainsi à cristalliser une division traditionnelle des rôles au sein de la famille, qui se traduit notamment par une absence d’équilibre dans la répartition des charges domestiques.

Par ailleurs, des études et témoignages ont montré que non seulement les femmes étaient davantage en charge du soin aux enfants confinés, mais aussi qu’elles disposaient de moins d’espace de travail spécifiques[23]. Dans de nombreuses maisons, lorsqu’il y a un bureau, il est occupé par le père, la mère travaillant dans un espace ouvert aux autres membres de la famille, occasionnant plus d’interruptions et un environnement de travail moins adapté. Des baisses de performances au travail ont été observées pour beaucoup de parents, et cela a été encore davantage le cas pour les femmes. La conséquence est qu’elles sont vues comme étant moins impliquées dans leur travail, un élément qui peut jouer un rôle dans les opportunités d’évolution de carrière et de promotion.

Dans un autre registre, le milieu du travail joue un rôle-clé (souvent sous-estimé) de lieu sécurisé pour protéger les victimes de violence conjugale. Le télétravail tend à diminuer ce rôle. Durant la pandémie, les violences intrafamiliales ont ainsi augmenté. Les constats effectués pendant le confinement ont d’ailleurs amené les pouvoirs publics à prendre des initiatives dans ce domaine[24].

Emploi : risque de délocalisation

Le départ de travailleurs qualifiés des centres urbains d’affaire pourrait induire une destruction d’emplois peu qualifiés, dans des sandwicheries, restaurants et autres lieux similaires. Les cantines d’entreprises sont un autre secteur en difficulté, les autres géants de la restauration collective tablent sur un impact permanent de 20 à 40% de réduction de leurs activités suite au télétravail généralisé. Les secteurs du nettoyage, de la maintenance, de la sécurité sont également concernés.

Le télétravail signifie également une extension des bassins de recrutement des employeurs, moins limités par leur proximité géographique avec les employés, un avantage pour les entreprises concernées par des métiers en pénurie (dans l’IT, par exemple). S’il peut s’agir de travailleurs situés dans une autre ville ou région, les entreprises dont les emplois sont télétravaillables pourraient également être tentées de se tourner vers l’international pour recruter des travailleurs qualifiés. Un emploi 100% télétravaillable est en effet un emploi délocalisable.

On pourrait assister à une nouvelle forme de délocalisation où ce ne sont plus les entreprises qui partent vers les pays à bas salaires mais les travailleurs qui quittent les villes pour des sites plus sûrs et plus agréables. Le nomadisme numérique, déjà existant, pourrait aussi se développer.

Mais la déspatialisation peut aussi amener les entreprises à recourir davantage à des prestataires individuels pratiquant le télétravail pour leur confier des tâches spécifiques, sur un marché peu soumis aux réglementations. Il y a donc un risque d’externalisation accrue du marché du travail.

Autres implications

Mobilité

La navette domicile-travail constitue un phénomène structurel. Occupant près de la moitié des emplois bruxellois, les navetteurs sont 370.000 à venir travailler à Bruxelles (190.000 en voiture)[25].

En supprimant les trajets domicile-bureau une partie de la semaine, le télétravail structurel permet des avantages substantiels en termes de mobilité (baisse des émissions, désengorgement, etc.). Il pose aussi la question de l’adaptation des offres de transport en commun à ces nouveaux modes de mobilité. Une question déjà adressée par la SNCB, qui propose un abonnement de train adapté au télétravail. La prochaine étape sera de mettre l’ensemble du système à niveau, avec les abonnements pour les parkings et une coordination avec les opérateurs de transports régionaux. Cette adaptation devra également prendre en compte l’étalement de la demande au-delà des heures de pointe, l’un des enjeux majeurs pour les transports en commun, dont l’une des solutions réside dans une planification de la présence sur le lieu du travail.

Mais la diminution des distances parcourues n’est pas aussi significative qu’on pourrait le penser. Un rapport récent du Bureau fédéral du Plan (2020) démontre en effet que la généralisation du télétravail n’induirait qu’une baisse de 7% des kilomètres parcourus par rapport à la situation précédant la crise sanitaire. Ce chiffre s’explique par la faible part des mouvements pendulaires dans l’ensemble des déplacements des ménages, mais aussi par l’utilisation que ceux-ci font du temps libéré par la baisse des navettes pour effectuer des déplacements additionnels[26]. Un certain nombre d’effets rebond induits par la pratique du télétravail, qui viennent tempérer les gains notamment en termes d’émissions, sont à prendre à compte. Notons toutefois que ces tendances sont évaluées à situation inchangée. Les engagements en matière de réduction des GES, l’évolution des prix de l’énergie en général et des carburants en particulier, l’électrification du parc automobile, les contraintes de type LEZ ou encore la mise en place potentielle de tarifications kilométriques induisent un « signal prix » qui devrait inciter les ménages à une prise de conscience de l’impact de leurs choix résidentiels sur leur revenu disponible.

Le premier des effets rebond qu’il convient de pointer est l’effet d’aspiration, selon lequel un flux de trafic plus fluide attire un nouveau trafic, l’effet positif disparaissant donc assez vite. Ce nouveau trafic automobile peut également provenir de travailleurs qui délaissent un moyen de transport plus durable au profit de la voiture, précisément en raison de la pression moindre exercée par les embouteillages et parce que le télétravail structurel leur permet de n’être confrontés à un trafic intense que quelques jours par semaine[27]. Ensuite, selon l’effet « chaîne modale », le trajet domicile-bureau est souvent marqué par plusieurs arrêts ou étapes (déposer les enfants à l’école, services divers…), qui peuvent être maintenus lors de la journée de télétravail. La suppression du trajet domicile-bureau peut ainsi conduire à une mobilité en étoile plutôt qu’en chaîne. Les chiffres du SPF Mobilité[28] montrent que 55% des Belges qui travaillent chez eux effectuent davantage de plus petits trajets à des fins non professionnelles.

Un autre effet rebond est lié à de nouvelles possibilités de déplacement qui émergent car le véhicule non utilisé pour se rendre au travail est disponible pour les autres membres du foyer, mais aussi parce que la proximité avec le lieu de vie suscite de nouveaux déplacements (shopping, nouvelles activités associatives ou sportives, transport d’un proche, etc.). Ces déplacement sont une opportunité pour recréer de la vie de proximité et renforcer la pratiques des modes actifs. Enfin, on assiste aussi à un phénomène de délocalisation. En réduisant les temps de trajet, le télétravail rend soutenable des distances entre le domicile et le lieu de travail plus importantes et pourrait donc les accroître dans le cas où l’éloignement confère un avantage économique ou un gain de qualité de vie.

Au total, un rapport de l’Ademe conclut qu’en tenant compte des effets rebonds, ladoption du télétravail structurel permet tout de même d’économiser 187 kg en équivalent CO2 par an pour chaque jour de télétravail hebdomadaire, soit environ 950 km en voiture par an[29]. Des études du Bureau fédéral du Plan[30] suggèrent toutefois que la diminution du trafic pour les déplacements domicile-travail est largement compensée par une augmentation des autres déplacements. Malgré l’impact positif du télétravail, la congestion pourrait ainsi encore augmenter partout en Belgique.

Logement et aménagement du territoire

Le développement du télétravail a aussi des effets sur le logement et l’aménagement du territoire. Il peut en effet réduire la consommation d’espace de bureau et augmenter l’espace domestique, dans un mouvement qui risque de dévitaliser les centres urbains d’affaire et d’accélérer l’exode urbain. Or cet exode urbain (en particulier à Bruxelles) contribue à l’étalement urbain en Flandre et en Wallonie. La péri-urbanisation consomme les terres agricoles et engendre des coûts pour les pouvoirs publics[31], qui sont non seulement insoutenables, mais nuisent aussi à l’environnement et aux paysages. L’exode urbain renforce en outre les inégalités socio-spatiales dans les grandes villes car « les immigrants sont jeunes, peu qualifiés et ont des revenus faibles ; les émigrants sont en moyenne plus âgés, plus qualifiés et ont des revenus plus importants[32] ».

Logement

On constate un accroissement de la demande des ménages pour de plus grands logements, avec un bureau ou un espace extérieur par exemple, même si cette tendance est à nuancer par l’augmentation structurelle des petits ménages (famille mono-parentale, divorces, etc.)[33]. A côté des baisses de coûts réalisées par les entreprises, le télétravail risque de provoquer des dépenses supplémentaires pour les ménages en matière de logement, d’équipement, d’entretien et de chauffage[34], avec une augmentation des émissions de GES associées[35].

La question de la réaffectation des logements libérés se pose aussi, et il convient de l’anticiper dans un contexte d’exode urbain des télétravailleurs vers la périphérie des villes ou vers les villes moyennes (on parle aux Etats-Unis de l’émergence de « Zoom cities »), qui pourrait signifier un étalement urbain et une pression sur les prix de l’immobilier dans ces zones, un phénomène déjà observé dans un contexte plus général de marché immobilier tendu et peu accessible.

Immobilier d’entreprise

En diminuant le taux d’occupation des bureaux, le télétravail rend possible et rentable l’organisation en « flex office ». Ces nouveaux environnements de travail permettent aux employeurs d’optimiser les surfaces de bureaux et donc de réduire les coûts liés à l’achat ou à la location du bâtiment ainsi qu’aux consommations énergétiques associées. Plusieurs grandes entreprises et administrations ont annoncé vendre une partie de leurs locaux. A titre d’exemple, une étude commandée par le gouvernement fédéral conclut que deux jours de télétravail et des bureaux bien équipés se traduiraient par une réduction de 42 postes de travail physiques pour 100 employés[36]. Cette organisation permet en outre de diminuer sensiblement les émissions de GES[37]. A Bruxelles, la diminution des surfaces de bureaux serait de l’ordre de 22%[38].

D’autres conséquences sont à signaler, même si elles semblent peu significatives à court terme, comme le développement des espaces de coworking et la concentration des sites des entreprises en un site plus central. Les entreprises se tourneront aussi probablement vers des bureaux plus modernes et délaisseront les bâtiments anciens ou moins adaptés. À défaut d’une reconversion rapide, cette réduction de l’occupation de bureaux risque d’induire une hausse de la vacance, déjà élevée à Bruxelles (7,7 % en 2020), et la pression à la baisse de loyers sur le marché immobilier[39].

Recommandations

De l’organisation du travail au sein de l’entreprise

Au sein de l’entreprise, le risque le plus important est que le passage au télétravail soit utilisé uniquement comme une stratégie de réduction des coûts, au détriment du bien-être des travailleurs, de leur charge de travail et de leur sécurité. Les recommandations suivantes visent à prévenir ce risque. Si l’organisation du travail au sein de l’entreprise se définit avant tout dans les Conventions Collectives de Travail (CCT) du Conseil National du Travail (CNT), au sein duquel les discussions sont en cours, et dans les CCT sectorielles et d’entreprises négociées entre employeurs et représentants des travailleurs, des balises et principes directeurs peuvent être mis en avant pour cadrer ces accords. Des propositions qui peuvent aussi être prises en compte dans l’organisation du travail des services publics.

Balises générales

Il s’agit tout d’abord de préserver le caractère volontaire du télétravail, en conservant pour les employés qui le souhaitent la possibilité de travailler au bureau. En parallèle, chaque travailleur exerçant un emploi télétravaillable devrait être autorisé à demander à télétravailler certains jours et recevoir des raisons claires et légitimes en cas de refus. Une attention particulière doit être accordée aux manières de choisir le nombre de jours prestés à domicile et de concilier des aspirations individuelles différentes, sachant que la présence des employés au bureau au moins un jour par semaine est garante du bien-être des travailleurs ainsi que de leurs performances.

Il est également important de s’assurer que les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits que les autres travailleurs. Bien que la plupart des exigences suivantes soient déjà prévues dans la législation, elles méritent d’être rappelées et approfondies. Tout d’abord, concernant le droit de contacter et d’adhérer à un organisme de représentation des travailleurs, il faut mettre en place des canaux de communication permettant aux délégations de maintenir le contact avec le personnel. La possibilité pour les travailleurs de se concerter, de se rassembler, de se rencontrer afin de partager et construire des revendications communes doit être maintenue, tout comme l’effectivité du maintien des droits collectifs. Le même salaire et les mêmes conditions de travail doivent également être garanties. A cet égard, il convient de veiller à ce que le télétravail ne signifie pas d’augmentation de la charge de travail ni du nombre d’heures prestées. Une attention particulière doit par ailleurs être accordée au fait d’assurer la même possibilité d’évolution de carrière, par une politique de promotion transparente, qui écarte le présentéisme, et un droit à la formation tout au long de la carrière.

Veiller à ce que le télétravail ne soit pas synonyme de surcoût ni pour le travailleur ni pour l’entreprise nous semble par ailleurs essentiel. Les cadres légaux doivent prévoir une indemnité pour l’équipement ainsi que pour les frais de chauffage, d’électricité et de communication (en particulier dans un contexte de hausse des prix de l’énergie). En parallèle, il est important de pouvoir laisser la possibilité aux employés de diminuer l’indemnité de frais de déplacement, parfois considérée comme un traitement par l’employé.

Plus globalement, l’ensemble des avantages des conventions collectives doivent être préservées. Pour chacun des points, la transparence, l’information et la consultation des travailleurs doivent être des priorités.

Santé et bien-être des travailleurs

Il est essentiel pour les employeurs d’adopter des initiatives visant à éviter que les travailleurs ne soient exposés aux risques de préjudice psycho-sociaux (épuisement physique et émotionnel, en particulier), et pour les gouvernements d’adapter en conséquence les réglementations en matière de santé et de sécurité au travail, en tenant compte des points d’attention suivants.

L’effectivité réelle des congés-maladie doit être maintenue (souvent, les travailleurs ont tendance à continuer à travailler à domicile même s’ils sont malades), tout comme le même niveau de protection en matière de santé et de sécurité que sur le lieu de travail. Il est important d’impliquer les représentants de la santé et de la sécurité dans la conclusion des accords, avec obligation de consultation, d’information et de formation. Il convient par ailleurs de garantir aux employés un équipement similaire à celui utilisé au bureau, en termes d’ergonomie. Il est de la responsabilité de l’employeur de prévenir les risques en fournissant des équipements (ou une indemnité pour les financer), et d’informer les travailleurs sur ces questions pour adapter l’environnement de travail en conséquence. Des analyses de risques doivent être effectuées régulièrement en entreprises (et pas seulement sur demande comme c’est le cas actuellement), qui prennent en considération la charge de travail des télétravailleurs, ainsi que les risques spécifiques des femmes et des hommes.

L’employeur et le management doivent jouer un rôle dans le maintien de ces droits et dans cette promotion du bien-être des travailleurs. Il s’agit de mettre en place au sein des entreprises des bonnes pratiques, dont l’implémentation passe par la formation des managers, au rôle de soutien et de régulation primordial. Le manager direct doit pouvoir être en mesure d’évaluer en première ligne l’état de santé et de bien-être de son équipe. Une piste pour les entreprises serait de déployer un « système d’alerte précoce » pour détecter le risque de burn-out (une proposition déjà avancée dans le cadre du plan sur la prévention des risques psycho-sociaux mais qui doit être renforcée).

Des réponses plus structurelles sont également nécessaire pour éviter que le passage vers le télétravail renforcé ne soit pas synonyme de division entre les travailleurs, en encourageant par exemple les entreprises à mettre en place des mesures optimisant le bien-être des travailleurs qui ne peuvent pas télétravailler afin que ces gains de bien-être et de flexibilité puissent être comparables à ceux résultant du télétravail : gestion plus autonome du temps de travail, ergonomie, etc.

Accès au numérique et droit à la déconnexion

Un développement bénéfique du télétravail implique d’autre part l’égalité d’accès aux TIC, par la formation aux compétences nécessaires, afin d’éviter une fracture en matière de télétravail : former aux outils informatiques, à la protection des données, aux économies d’énergie liées à Internet, à la prise de parole en public et en virtuel, etc.

Les entreprises doivent par ailleurs recevoir des directives claires sur la façon de prévenir les menaces de cybersécurité pendant que les travailleurs travaillent à domicile, ainsi que sur la façon dont ils peuvent se conformer aux réglementations en matière de protection des données et de la vie privée, dans le cadre d’une meilleure application du RGPD.

Il convient enfin de garantir un droit à la déconnexion, un impératif déjà pris en compte dans le récent deal pour l’emploi, bien qu’il soit possible d’aller plus loin en appliquant ces mesures à l’ensemble des entreprises et pas seulement celles de plus de 20 travailleurs.

Egalité entre les femmes et les hommes

Afin de veiller à l’égalité entre les femmes et les hommes, il est crucial d’outiller les travailleurs et les travailleuses sur les moyens de conciliation de leurs charges professionnelles et domestiques en télétravail. Il convient également de prendre des mesures de lutte contre le harcèlement sexiste et sexuel sur le lieu de travail, y compris dans le cadre du télétravail, mais aussi de développer des politiques de prévention des violences intrafamiliales qui intègrent les spécificités du télétravail et mettent en place des actions, des systèmes de suivi et de rapports adaptés. Une attention doit être portée à la disponibilité d’infrastructures d’accueil des enfants et personnes dépendantes, afin que le télétravail ne soit pas une façon de mettre encore davantage de poids sur les travailleuses, qui sont les premières concernées par le soin à ces personnes.

Plus globalement, il est essentiel d’éviter que le débat sur le télétravail ne rogne sur celui de la réduction du temps de travail, a plus forte raison pour celles et ceux qui ne peuvent bénéficier du confort qu’apporte le télétravail. La réduction du temps de travail, dynamique à l’œuvre depuis le XIXe siècle, a en effet aujourd’hui tendance a être oubliée au profit du débat sur la flexibilisation.

De l’accompagnement des conséquences indirectes du télétravail

Mobilité

Il convient avant tout de profiter de la tendance au télétravail pour permettre aux travailleurs de se déplacer différemment. Les politiques au sein de l’entreprise qui visent à rendre le travail plus flexible doivent ainsi s’accompagner de politiques de mobilité plus larges. Les entreprises devraient soutenir les efforts vertueux de leurs travailleurs en la matière, à travers des plans de mobilité volontaristes, visant notamment à favoriser le co-voiturage, le recours aux transports publics, les navettes d’entreprises vers les gares, la mise à disposition de vélos à assistance électrique, de douches et d’équipements dont les parkings vélos couverts, etc. Il s’agit d’inciter à l’usage préférentiel des solutions de mobilité alternatives à la voiture individuelle afin de faciliter l’accès aux centres urbains pour les travailleurs. C’est aussi l’occasion de proposer des alternatives aux véhicules de société, dont la justification sociétale s’estompe encore par la réduction du nombre de trajet domicile-travail, comme le budget de mobilité multimodale, qui permet au travailleur de composer le package le plus souhaitable pour lui et pour l’environnement. Dans le mêm esprit, les entreprises sont encouragées à s’installer dans des emplacement facilement accessibles à vélo et en transports en commun pour que les travailleurs continuent à disposer d’un large éventail d’options de transport. Grâce à la réduction du nombre de postes de travail, il est possible de tempérer les hausse de coûts liés aux localisations plus chères des locaux. En dehors des trajets vers le lieu de travail, la promotion des mobilités actives et des transports en commun permet aussi de réduire l’impact des mobilités en étoile autour du domicile du télétravailleur, les mobilités actives permettant par ailleurs de compenser les effets sanitaires négatifs du télétravail liés à la sédentarité.

Les prestataires de mobilité ont aussi leur rôle à jouer, en développant une offre de transport flexible adaptée à des horaires et des régimes de travail plus souples dans les entreprises, et en proposant des formules d’abonnement adaptées au télétravail (comme le flex-abonnement SNCB et la poursuite de l’intégration tarifaire entre opérateurs dans la zone RER : Brupass XXL). Les projets d’évolution du réseau sont amenés à s’adapter à cette demande moins centrée sur la pointe et aux mobilités en périphérie urbaine. Les pouvoirs publics doivent accompagner ces changements en poursuivant la  reconversion des espaces routiers libérés par la fréquentation plus limitée en heure de pointe en espaces publics réservés aux piétons, cyclistes et fonctions de séjour pour éviter un phénomène d’appel d’air aux voitures.

En termes d’organisation du travail, et en cohérence avec une politique du temps plus globale destinée à étaler les pics de fréquentation, il convient également de décourager la pratique du télétravail par journée incomplète et de planifier le télétravail pour éviter une concentration de tous les télétravailleurs sur les mêmes jours de la semaine.

Logement et aménagement du territoire

En termes d’aménagement du territoire, les autorités publiques détiennent des leviers importants, à savoir la planification, les règlements d’urbanisme, la délivrance de permis ou  encore les charges d’urbanisme. Ces outils peuvent être mis à contribution afin de remplir les objectifs développés ci-dessous.

Les politiques locales d’aménagement du territoire doivent anticiper la tendance à la dévitalisation des centres urbains d’affaires en accompagnant la réaffectation des bâtiments qui seront libérés par le télétravail (pas seulement vers des logements de haut standing mais aussi vers des biens abordables), en évitant la création de nouvelles surfaces de bureaux et en luttant contre la vacance par un accompagnement à la reconversion. En cohérence avec les politiques de mobilité préconisées, il faut aussi encourager les entreprises à rester implantées dans ces centres urbains. Une attention particulière doit aussi être accordée aux entreprises de services dont l’activité dépend de la présence des travailleurs dans les centres urbains, avec des mesures de soutien au besoin. Il s’agit également de poursuivre les actions menées par le gouvernement wallon concernant les espaces de co-working, qui peuvent être des solutions pour redynamiser certains centres de villages. Plus globalement, le développement du télétravail et la présence renouvelée de nombreux travailleurs à leur domicile doit être l’occasion de privilégier la « ville de proximité », en complétant  l’offre d’équipements sportifs, culturels, sociaux et de santé ainsi qu’en assurant un réseau d’espaces publics finement maillé et qualitatif.

Évolutions du cadre législatif : une nouvelle CCT

La législation sur le télétravail structurel (CCT 85) date de 2005, elle n’est donc pas conçue pour la situation que nous connaissons aujourd’hui et ne prend par ailleurs pas en compte tous les aspects liés à la santé, la sécurité et le bien-être. La plupart des mesures présentées par le texte ne sont pas détaillées et laisse une marge de manœuvre importante aux entreprises. Il s’agit donc de renforcer la portée contraignante de ces mesures, ainsi que de prendre en compte les différents points d’attention mis en évidence dans les points précédents.

Le CNT va négocier une nouvelle CCT, qui doit selon nous prendre en compte tous les types de télétravail, avec une attention particulière aux régimes hybrides qui ont vocation à se généraliser. Cette nouvelle CCT aura pour but d’harmoniser le cadre existant et doit permettre l’avènement d’un rapport au travail plus sain pour l’ensemble des travailleurs, faisant du télétravail un élément majeur de la transition vers un monde du travail plus juste et plus durable.

Conclusion

La généralisation du télétravail structurel correspond au développement d’une nouvelle vision du monde du travail et de son organisation, partie pour s’inscrire dans la durée. Sur le plan environnemental, le bilan du télétravail est favorable, malgré des effets rebond variés et parfois significatifs. Comme démontré, le plein bénéfice environnemental du télétravail ne pourrait être atteint que s’il est combiné avec d’autres politiques publiques en matière de sobriété et de décarbonation.

Par ailleurs, s’il permet de mieux concilier vie privée et professionnelle, le télétravail peut aussi être à l’origine d’une augmentation de la charge de travail, d’un isolement de certains travailleurs et d’une perte de cadres protégeant les employés. Le sens du travail et le bien-être des travailleurs doivent ainsi être au cœur des politiques d’accompagnement du télétravail, pour permettre aux travailleurs de bénéficier pleinement de ses nombreux effets positifs tout en les protégeant de ses dérives.

Cette nouvelle organisation du travail est favorable à certains travailleurs, en particulier les plus qualifiés, ce qui risque de creuser l’écart entre ceux-ci et les travailleurs les moins qualifiés, dont les emplois ne sont pas télétravaillables et dont il faudra également penser le rapport au travail afin de faire évoluer positivement leurs conditions de travail. Ces nouveaux modes de travail comportent également de nombreux avantages pour certaines entreprises, ouvrant la porte à des pratiques inédites qu’il convient d’anticiper et d’encadrer. Les entreprises étant appelées à jouer un rôle majeur dans l’adoption de ces nouvelles manières d’envisager le rapport au travail, il est primordial de ne pas les laisser dicter seules ces cadres, dont les effets seront structurants pour l’avenir du travail, de la mobilité et des territoires.

[1]Laurent Taskin, 2006, https://journals.openedition.org/interventionseconomiques/680

[2]IWEPS, Covid, travail et genre en Wallonie, avril 2020.

[3]https://www.lecho.be/dossiers/coronavirus/le-teletravail-plebiscite/10224841.html

[4]https://www.sdworx.be/fr-be/blog/management-rh/teletravail-au-sein-des-pme

[5]http://www.cnt-nar.be/CCT-COORD/cct-085.pdf

[6]http://www.ejustice.just.fgov.be/eli/loi/2017/03/05/2017011012/justel#LNK0013

[7]https://resourcecentre.etuc.org/sites/default/files/2020-09/Telework%202002_Framework%20Agreement%20-%20EN.pdf

[8]https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0021_FR.html#title1

[9]Eurostat, ICT Usage Survey, 2021

[10]On observe déjà ce problème dans des secteurs comme les titres-services, où le travail s’effectue dans des lieux décentralisés.

[11]Un employé sur deux craint le retour au bureau, DH, 30/08/2021

[12]https://www.lecho.be/dossiers/coronavirus/le-teletravail-plebiscite/10224841.html

[13]https://www.franceinter.fr/societe/solitude-surcharge-de-travail-depression-ce-que-revele-la-grande-etude-de-la-cgt-sur-le-teletravail

[14]https://www.idewe.be/fr/-/idewe-demande-que-le-travail-hybride-ne-soit-pas-consid%C3%A9r%C3%A9-comme-naturel?utm_source=teletravail

[15]Enquête de Securex citée dans « Les salariés rêvent de 2,4 jours par semaine », L’Echo, Mer. 17 nov. 2021, Page 3

[16]Bloom, N., J. Liang, J. Roberts et Z.J. Ying (2015). Does working from home work? Evidence from a Chinese experiment. Quarterly Journal of Economics, 130, 165-218.

[17]Télétravail – les nouveaux temps modernes, Alter echo, Juin 2021

[18]Etude réalisée par Securex sur 15 839 employés ayant un contrat entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2021

[19]Télétravail : solution d’avenir ou boom éphémère ?, J-F Thisse, Regards Economiques, Juin 2021

[20]Le confinement comme révélateur des enjeux syndicaux en matière de télé-travail, Manon Van Thorre et Gaëlle Demez (CSC), Alternatives économiques, Avril 2021

[21]   Quel est l’impact de la crise du Covid-19 sur les inégalités de genre sur le marché du travail ? BNB, 8.03.2021 https://www.nbb.be/fr/articles/quel-est-limpact-de-la-crise-du-covid-19-sur-les-inegalites-de-genre-sur-le-marche-du#_ftn1

[22]Télétravail : solidaire ou solitaire ? L’esperluette, 2020

[23]INED, Coronavirus et confinement: enquête longitudinale, Note de synthèse n°9 vague 11, «Logement, travail, voisinage, et conditions de vie: ce que le confinement a changépour les Français», 2020. https://lstu.fr/wtvVqVvb

[24]https://www.wallonie.be/fr/covid19/violences-conjugales-et-intrafamiliales

[25]  https://www.lalibre.be/belgique/mobilite/2021/02/15/qui-sont-ces-navetteurs-qui-se-rendent-a-bruxelles-chaque-matin-FY6H7ZER7RBEVJZN5N54HXHWXA/

[26]Télétravail : solution d’avenir ou boom éphémère, J-F Thisse, Regards Economiques, Juin 2021

[27]Le travail à domicile et le télétravail post-covid : une aubaine pour la mobilité et la sécurité routière, Institut Vias

[28]Chiffres clés du télétravail en Belgique, SPF Transports & Mobilité, 2018

[29]Etude sur la caractérisation des effets rebond induits par le télétravail, Rapport Ademe septembre 2020

[30]Bureau fédéral du Plan – Télétravailler plus pour circuler moins ?www.plan.be/uploaded/documents/202011191524430.20201120_CP_Teletravail.pdf

[31]https://cpdt.wallonie.be/recherches/programme-de-travail-1998-2000/les-couts-de-la-desurbanisation

[32]https://innoviris.brussels/sites/default/files/documents/innoviris_policybrief_bruxodus_fr.pdf

[33]Rapport IBSA – Perspective.brussels « Analyse et impact du télétravail en RBC », 12.2021

[34]Télétravail : solution d’avenir ou boom éphémère, J-F Thisse, Regards Economiques, Juin 2021,

[35]Etude sur la caractérisation des effets rebond induits par le télétravail, Rapport Ademe septembre 2020

[36]L’État va économiser grâce au télétravail, La Libre, 27/07/2021

[37]Etude sur la caractérisation des effets rebond induits par le télétravail, Rapport Ademe septembre 2020

[38]Rapport IBSA – Perspective.brussels : « « Analyse et impact du télétravail en RBC », 12.2021

[39]Rapport IBSA – Perspective.brussels « Analyse et impact du télétarvail en RBC », 12.2021

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