Par Guillaume Durand, analyste politique travaillant à la Commission Européenne. Il y a travaillé dans un think tank européen où il a suivi les questions institutionnelles et notamment la Convention sur l’avenir de l’Europe. Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et du Collège d’Europe à Bruges, il est également secrétaire des Verts français à Bruxelles et chercheur-asssocié d’étopia. Ce texte est paru fin 2006 dans la revue Etopia n°2.



Pour dépasser la crise consécutive au rejet du TCE par la France et les Pays-Bas, il importe de bien comprendre la spécificité de la démocratie européenne par rapport aux Etats-nations auxquels nous avons tendance à la comparer. On voit alors qu’il est sans doute hasardeux d’attendre le salut de la seule réforme des institutions. La construction d’une démocratie n’est pas un acte de nature purement institutionnelle, mais elle relève d’abord de la politique, c’est-à-dire du débat entre des visions différentes de l’avenir commun.

Le Traité constitutionnel européen (TCE) a été rejeté par les Français et les Néerlandais au printemps 2005. Les écologistes européens se sont déchirés sur la question : le Parti Vert Européen (PVE), les Verts français et GroenLinks étaient favorables au TCE mais leurs membres, sympathisants et électeurs se sont profondément divisés1. Aujourd’hui, la question de l’avenir du TCE continue de se poser et, après une longue pause, un certain nombre de propositions émergent2. Pourtant, il y a lieu d’être pessimiste sur l’avenir de toute entreprise constitutionnelle car le verrou de l’unanimité des ratifications est là pour rester. C’est ce verrou, souvent dénoncé par les adversaires du TCE comme un mécanisme visant à graver ce dernier « dans le marbre », qui a empêché son entrée en vigueur. Tout futur traité, constitutionnel ou non, s’y heurtera – en particulier si les ratifications référendaires continuaient de se multiplier.

Pour autant, il ne s’agit sûrement pas d’abandonner le terrain européen : c’est l’espace naturel de beaucoup de nos engagements politiques et l’échelon pertinent pour traiter bien des priorités écologistes. Mais, tout en gardant l’esprit ouvert à toute proposition institutionnelle améliorant la qualité démocratique de l’Union, il faut concentrer nos forces sur l’essentiel – qui n’est peut-être ni dans le TCE, ni dans un quelconque futur traité.

Beaucoup jugeront sans doute curieuse cette position. Le camp du non a souligné à l’envi les contraintes imposées aux politiques publiques par le cadre institutionnel existant, largement repris par le TCE. Et beaucoup de défenseurs du oui ont eu l’honnêteté de reconnaître les nombreuses limites du TCE. Mais c’est bien le contexte qui a joué un rôle majeur dans le rejet explicite de ce dernier. Si le texte constitutionnel n’était qu’une partie du problème, aucun autre texte, même 100% écolo, ne saurait apporter plus qu’une partie de la solution. Il importe donc avant tout d’analyser la nature des contraintes politiques qui nous empêchent d’agir nous, écologistes européens. En d’autres termes : où se trouvent, dans l’Union européenne (UE) d’aujourd’hui, les blocages démocratiques ?

A la recherche de la démocratie perdue

1. La faute aux institutions ?

Le caractère insuffisamment démocratique des institutions de l’UE fut certainement l’argument le plus fréquemment mentionné dans le débat référendaire. Le « déficit démocratique » est un cliché utilisé par les institutions elles-mêmes : le combler était la tâche principale attribuée à la Convention par la Déclaration de Laeken. Sur ce plan, les avancées du TCE sont à la fois incontestables et bien maigres. Pourtant, en se focalisant sur les institutions telles que définies par les traités, on passe à côté de la nature profonde de l’insuffisance démocratique de l’Union. Les mécanismes démocratiques européens sont indiscutablement perfectibles. Des avancées sont à la fois possibles et souhaitables. Pourtant « sur le papier », ce ne sont pas les mécanismes démocratiques qui font défaut : le Parlement européen est élu au suffrage universel direct ; les ministres nationaux participant au Conseil des ministres de l’UE sont responsables devant leur parlement pour leur action européenne ; la Commission reçoit l’approbation conjointe du Conseil et du Parlement européen ; les échelons infranationaux sont impliqués dans le processus de décision via le Comité des Régions, la société civile à travers le Comité Economique et Social Européen ; la Cour de Justice assure l’égalité des citoyens et le respect des droits de l’Homme dans l’application du droit communautaire. Et ainsi de suite…

En réalité, ces procédures fonctionnent largement à vide. L’Union européenne, principal espace d’élaboration des règles pour notre continent, reste un espace démocratique en devenir. Elle respecte les formes de la démocratie mais demeure désincarnée. Donner un souffle démocratique à ce qui reste trop souvent une coquille vide est une tâche aussi urgente qu’ardue. L’Union européenne est avant tout productrice de règles abstraites, à la différence des Etats membres qui, à travers services publics et systèmes sociaux, produisent une solidarité immédiate entre les citoyens. Réduire cette distance, fortement ressentie par les citoyens, implique nécessairement de se poser la question de l’émergence d’une communauté politique, d’un « demos » européen.

2. La faute à la pratique politique ?

La logique du consensus inhérente à la pratique politique européenne et l’absence d’alternance ont également été souvent dénoncées. Notons que la logique consensuelle du système politique de l’UE n’est qu’en partie liée aux dispositions des traités. La préférence du Parlement européen pour des compromis entre conservateurs (PPE) et sociaux-démocrates (PSE) relève du choix politique des acteurs. De même, au Conseil des ministres, la logique du consensus prévaut même quand la règle en vigueur est la majorité qualifiée.

Ce système est clairement en rupture avec le majoritarisme bipolaire ou bipartisan qui caractérise beaucoup d’Etats membres. C’est aussi dans ces pays que la logique du consensus est le plus ressentie comme peu démocratique. Le bipolarisme n’est pourtant pas l’alpha et l’oméga de la démocratie et les coalitions ad hoc sont fréquentes dans de nombreux pays européens. A l’extrême, un système consensualiste assumé, tel qu’en Suisse, peut parfaitement être démocratique. Encore faut-il qu’il soit explicité, transparent et que les enjeux soient bien l’objet d’un débat démocratique à l’intérieur des institutions comme dans l’ensemble de la société. Or les citoyens ne savent presque rien de ce qui se déroule à Bruxelles. En particulier, ils ne connaissent pas les positions ex ante de ceux qui produisent le consensus, ce qui rend difficile tout jugement ex post sur l’équilibre de ce consensus.

3. La faute au « carcan néolibéral » des traités ?

Un anachronisme à la mode voudrait faire du Traité de Rome un texte « ultralibéral ». Faut-il rappeler que, quelques années auparavant, les premières fondations de l’Europe unie avaient été posées par la mise en commun du charbon et de l’acier, largement contrôlés à l’époque par les Etats ? Que le « grand inspirateur » Jean Monnet fut Commissaire français au Plan de 1945 à 1952 ? Il paraît difficile d’attribuer aux concepteurs du Traité de Rome des caractéristiques de l’UE actuelle qui étaient proprement impensables à l’époque. Le keynésianisme connaissait son heure de gloire, la libre circulation des capitaux à l’échelle mondiale était une utopie sans défenseurs. Les traités européens ne sont pas idéologiquement neutres mais ils sont également loin d’être univoques. Ainsi, le Traité de Rome, par nature « libéral » puisqu’il crée un marché commun et une union douanière, est explicitement neutre quant à la propriété publique ou privée (article 295). C’est avant tout le changement de contexte qui a fait des traités européens les outils d’une idéologie ultralibérale : la libéralisation des échanges voulue par le traité de Rome a radicalement changé de sens avec, d’une part, le bouleversement du contexte économique (explosion des échanges internationaux et financiarisation de l’économie) et, d’autre part, la montée en puissance du capitalisme néolibéral comme paradigme idéologique dominant.

En réalité, cette dernière évolution, révolution conservatrice de longue haleine, surdétermine tout. Car le capitalisme néolibéral ne correspond pas, comme il voudrait le faire accroire, à « l’état naturel » des sociétés humaines. Il est le résultat de deux démissions, tragiques pour nous écologistes, à l’égard de l’orientation de la technique comme de l’organisation des marchés. Et ces démissions du pouvoir politique ont, paradoxalement, été pensées et organisées par le pouvoir politique.

La montée d’un consensus néolibéral à partir de la fin des années 1970, consacrée politiquement par l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, a affecté le monde entier. L’Union européenne et, en particulier, la Commission, n’ont fait « que » relayer et accélérer ce mouvement.

Trois constats sur l’état de la démocratie européenne

1. Le problème du demos européen

Les institutions de l’UE sont bien démocratiques mais apparaissent repliées sur elles-mêmes, loin de l’attention de citoyens plus impliqués aux niveaux local, régional ou national. Cette absence de véritable « demos » souligne les limites du volontarisme constitutionnel. Les Verts français avaient défendu le TCE comme « un texte imparfait mais fondateur pour la construction de l’Europe politique ». Nullement révolutionnaire par sa substance, il se situait plutôt dans la lignée des traités antérieurs. Pourtant, il eût bien été « fondateur pour la construction de l’Europe politique » – si les citoyens européens avaient bien voulu l’instaurer comme tel ! Il avait donc un caractère programmatique et auto-performatif : si tous les Européens acceptaient d’y croire, ce traité si peu constitutionnel de nature devenait le fondement d’un « demos » européen.

Mais cet espoir a été déçu et le texte s’est heurté à sa propre contradiction : deux des peuples qui devaient s’instituer en une communauté politique unique l’ont refusé. L’idée qu’une Constitution pourrait, par elle-même, fonder un véritable sentiment d’appartenance à une communauté politique, a été remise en question. Si on ne doit pas conclure à l’impossibilité radicale d’un « patriotisme constitutionnel » (Habermas) européen, il faut prendre acte de ce rejet, réfléchir à ses causes profondes et trouver des pistes peut-être moins grandioses mais plus susceptibles de faire advenir une véritable communauté politique à l’échelle de notre continent.

2. La contrainte de la diversité

En l’absence de « demos » européen, il faut se départir des modèles institutionnels nationaux, a fortiori s’ils sont ancrés dans des Etats-nations unitaires et centralisés. En particulier, la référence incessante à un modèle parlementaire est trop simpliste. Un tel système n’est, à l’heure actuelle, ni réalisable, ni souhaitable dans l’UE, car il implique une violence politique que ni les Etats ni les citoyens européens ne sont prêts à accepter aujourd’hui. Il s’agit en effet de gérer une diversité considérable. On se trouve ainsi confronté à deux problèmes fondamentaux qui, au-delà du simple cadre juridico-institutionnel, touchent au tissu de toute communauté politique.

D’une part, le mode de gestion des grands clivages politiques varie considérablement d’un Etat membre à un autre. Le consensus et le compromis permettent, en particulier quand les clivages menacent la survie-même d’une communauté politique, d’apaiser les tensions : la Belgique, avec ses trois « piliers » politiques traditionnels et ses communautés linguistiques est un archétype de cette méthode. A l’inverse, la France tend plutôt à cimenter ses clivages fondateurs en permettant aux deux camps en présence de concourir pour obtenir la majorité et imposer (temporairement) leurs vues. Ceci requiert un consentement à être minoritaire et, donc, un fort sentiment d’appartenance : dans une communauté politique naissante et fragile comme l’UE, il est compréhensible que domine la logique du consensus.

D’autre part, un contrôle effectif par les citoyens n’est possible que quand l’éducation, la formation et l’information forgent et stabilisent une culture politique commune. Or cette familiarité à l’égard de la politique n’existe quasiment pas dans l’Union ; et, quand elle existe, l’Union reste perçue à travers un prisme national. Manquant d’un cadre commun de références, l’UE d’aujourd’hui n’est pas prête à une trop grande polarisation politique : elle a besoin de mécanismes respectueux des diversités nationales et des minorités. D’autant plus que même sur l’axe gauche-droite, les paysages politiques nationaux ont des « centres de gravité » et des clivages très différents : comparons par exemple la Belgique francophone (très à gauche) et le Royaume-Uni (très à droite). Dans une logique d’alternance, le « choc » de l’intégration politique s’avérerait considérable, les politiques mises en œuvre sortant de ce qui était considéré comme acceptable dans une communauté nationale ou régionale.

3. L’idéologie néolibérale : « notre » réalité – au-delà des traités

Juridiquement, il n’y a pas grand-chose qui soit réellement impossible dans le cadre actuel des Traités – en tout cas dans les domaines régis par la majorité qualifiée. Les « mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur » ont souvent été interprétées de façon très extensive. On peut « établir » et « faire fonctionner » le marché intérieur selon une infinité de règles, la définition précise de ces règles incombant aux institutions européennes (et occupant les milliers de groupes de pression qui gravitent autour). Si la production normative de l’Union tend, avec constance depuis une vingtaine d’années, au renforcement du paradigme dominant, les raisons ne se trouvent pas dans les traités, mais chez les différents acteurs et dans le contexte idéologique dans lequel ils évoluent.

Ainsi, la bataille à mener se situe au-delà des traités, dans le champ intellectuel et politique. L’exemple de la faisabilité juridique d’une directive cadre sur les services d’intérêt général sur la base des traités existants est éclairant. Beaucoup de juristes affirment qu’en l’absence de base juridique dans les traités, il n’y a pas lieu de considérer l’opportunité politique d’un tel instrument. Mais cette prétendue impossibilité juridique cache (mal) une position purement idéologique. Le verrou à faire sauter n’est pas dans le texte, même si on pourrait rêver d’une disposition positive permettant explicitement (voire demandant) l’adoption d’une telle directive.

Dans beaucoup de cas similaires, les traités ne préjugent aucunement de la politique à suivre. Ainsi de la sacralisation de la propriété intellectuelle : c’est la Commission, suivie par les Etats membres et, le plus souvent, par le Parlement européen, qui a systématiquement défendu une vision extrémiste et idéologique de la propriété intellectuelle.

Enfin, la politique agricole commune (PAC) montre, à l’inverse, la capacité de l’Union à s’affranchir de ses textes fondateurs quand la volonté politique est là. La PAC, dont les objectifs ultra-productivistes sont « gravés dans le marbre » de l’article 33 du Traité de Rome, a pourtant radicalement changé au cours du temps. Les dispositions de l’article 33 ont été « oubliées » et d’autres préoccupations, notamment environnementales ou de sécurité alimentaire, ont pris le pas sur le productivisme forcené du texte d’origine.

Ainsi, d’autres directives sont (déjà) possibles ! Mieux vaut se battre pour qu’elles voient le jour que se lamenter sur les barrières, souvent imaginaires, imposées à nos orientations politiques écologistes par les traités.

Avec ou sans TCE : les chemins d’une démocratie européenne

1. Former société en Europe : une démarche volontariste

Notre espace politique, c’est l’Europe à 27 : il faut le reconnaître, même si ça ne nous arrange pas, comme écologistes bien mieux implantés au nord et à l’ouest du continent – et même si cela accroît considérablement la diversité à l’intérieur de notre propre famille politique.

Les « solidarités de fait » de l’intégration économique vantées par Jean Monnet sont abstraites, par nature d’ordre marchand et, surtout, toujours plus ambiguës. Plus que la solidarité, c’est plutôt son absence et une concurrence de plus en plus féroce qui caractérisent le mieux les rapports entre citoyens et, singulièrement, entre travailleurs européens.

Construire le vouloir-vivre-ensemble, l’affectio societatis, est la tâche première. Pour ce faire, il faut une démarche volontariste car il n’est pas d’espace démocratique qui ait émergé spontanément.

Dans cette construction, les partis européens en général et, spécialement, le Parti Vert Européen (PVE), jouent un rôle central comme aiguillon et catalyseur des luttes politiques collectives. L’action commune a une valeur en soi car elle fait émerger une conscience commune. Mais elle est aussi un moyen de promouvoir concrètement des modèles alternatifs au fondamentalisme marchand et de dépasser ensemble la simple critique. Ainsi, le PVE doit promouvoir une intégration positive et des projets porteurs de solidarité (énergie, environnement, social, services publics) pour contrer l’intégration négative (par l’élimination de barrières aux échanges) qui a trop longtemps dominé l’agenda politique européen.

Nous devons aussi multiplier les occasions d’échanges entre citoyens européens, en particulier tout au long du parcours d’éducation et de formation. Le programme européen Erasmus, qui alloue des bourses à ceux qui étudient dans un autre Etat membre, a été beaucoup vanté mais son ampleur demeure beaucoup trop faible. Alors que la citoyenneté européenne était censément une priorité de l’Union à la suite de l’échec du TCE en France et aux Pays-Bas, les négociations budgétaires pour 2007-2013 ont maintenu le budget de ces programmes à un niveau très insuffisant.

Ce volontarisme de principe étant posé, il faut aussi accepter que l’émergence d’une communauté politique est un processus qui s’inscrit dans le temps long de l’Histoire et des changements générationnels affectant l’identité et le sentiment d’appartenance.

2. Politiser les enjeux européens

Il importe avant tout de reconnaître, contre toute une école de pensée en science politique – représentée notamment par Andrew Moravcsik – la nature politique des questions traitées par l’UE. Celle-ci s’occupant, au premier chef, de la régulation du marché européen, ses décisions ont d’importantes conséquences redistributives. Or « debate on social outcomes is the meat and drink of politics in most European countries »3. Ecarter du débat ces sujets au prétexte qu’ils seraient consensuels ou techniques est illégitime. Le consensus ne peut être décrété a priori : il doit sortir d’un processus démocratique ouvert. Ce qui implique de refuser la logique technocratique de la « gouvernance » et du gouvernement des experts qui, selon ses partisans, serait en réalité bien plus à même de défendre l’intérêt général que les mécanismes démocratiques classiques. Bien que rarement assumée, la logique technocratique transparaît fréquemment dans l’attitude de la Commission ou des Etats membres, trop heureux de pouvoir décider de sujets sensibles entre « techniciens ».

Les débats nés autour de la directive sur la libéralisation des services (dite « Bolkestein ») ou de la directive sur les brevets logiciels prouvent pourtant que l’absence de délibération publique sur les enjeux européens n’a rien d’une fatalité.

S’il faut avoir conscience des limites de cette politisation, liées à la fragilité de la communauté politique européenne et à la nécessité de maintenir une logique consensuelle pour préserver les intérêts de chacun, il importe néanmoins de la poursuivre aussi loin que possible. Ainsi, l’extension de la majorité simple des votants au Parlement européen – alors que la majorité des membres est actuellement requise aux stades les plus importants de la procédure législative – a été proposée par Simon Hix, professeur à la London School of Economics. Ce changement d’apparence mineur permettrait de s’affranchir plus souvent de la logique de « grande coalition », la nécessité de trouver un accord avec le Conseil garantissant que le balancier politique n’ira pas trop loin dans un sens ou dans l’autre.

Enfin, il faut, dans un dépassement constructif de la notion de subsidiarité, repolitiser des enjeux indûment corsetés par des règles européennes et redonner de l’autonomie aux acteurs nationaux, régionaux ou locaux. Dans un espace aux règles centralisées, il faut laisser place à des formes encadrées d’expérimentation aux échelons politiques inférieurs, faute de quoi on étouffe toute créativité et toute respiration démocratique. Un critère permettant de rendre ces aspirations – écologiquement, socialement et politiquement nécessaires – compatibles avec l’unicité de la règle commune serait la conformité à l’intérêt général européen et aux objectifs fixés par l’Union. On s’extrairait ainsi du formalisme des règles de la concurrence qui permettent, par la rigidité de leur définition de la subsidiarité, d’opposer à un intérêt général démocratiquement défini la prééminence d’intérêts privés et particuliers.

Ceci dit, certains blocages sont de nature idéologique. Que faire quand ils sont dans les traités ?

3. Plus que jamais : mener la bataille des idées

Avant tout, il faut démasquer l’idéologie présente dans la construction européenne et la combattre pied à pied, en particulier là et quand nous pouvons la renverser et inverser la tendance. Il y a eu, par le passé, une « cristallisation » des valeurs traditionnellement portées par la droite dans le domaine des politiques économiques et sociales de l’Union européenne. Ce n’était pas une nécessité inscrite dans les traités.

Il importe donc de choisir ses batailles. La définition de l’indépendance de la Banque centrale européenne inscrite dans les traités est ainsi récusée par l’immense majorité des écologistes. Est-ce pour autant un objectif prioritaire ? On peut en douter : les chances d’obtenir une avancée décisive sont maigres car il faut modifier les traités à l’unanimité alors que les avantages potentiels sont incertains, tout montrant qu’en dépit d’une rhétorique monétariste la politique de la BCE a été plutôt accommodante.

Dans d’autres domaines, en particulier dans le marché intérieur, l’investissement politique peut s’avérer bien plus rentable. Les marchés de l’électricité et du gaz sont un bon exemple : la « libéralisation », conçue de manière idéologique et vendue comme un moyen de faire baisser les prix, ne fonctionne pas. La logique néolibérale qui, en l’espèce, ne repose sur aucune disposition des traités, est prise en défaut et il est possible de forger une nouvelle coalition autour de nos idées – pour une véritable politique de l’énergie qui ne se limite à la confiance aveugle dans le marché. C’est dans ce type de débats qu’il faut porter le fer !

Rappelons-nous que nous, écologistes, sommes (encore) loin d’être majoritaires… Sauf à être révolutionnaire, le chemin de la conquête des institutions par nos idées sera long : poser en préalable la réforme des institutions, c’est se condamner, comme minoritaires, à échouer ou à n’obtenir que des résultats très décevants – et à gaspiller ses forces. Il faut d’abord reconquérir les enjeux concrets, les termes du discours et du débat – et ensuite seulement s’attaquer aux dispositions du Traité.

Conclusion

Un jour, espérons-le, nous aurons une Constitution européenne. Si l’on veut préserver cet espoir et travailler utilement à la faire advenir, le plus urgent n’est peut-être pas de préparer la résurrection du TCE mais plutôt de nous engager à faire vivre, dès maintenant et malgré les difficultés, une démocratie européenne. Pour utiliser les mots de Florence Aubenas et Miguel Benasayag4 : « l’objectif [doit être] contemporain de l’action ». Au lieu d’essayer de mettre à jour une démocratie européenne abstraite que la minorité de « ceux qui savent » aura pour mission de faire comprendre à « ceux qui ne savent pas encore », au lieu de nous démener « pour qu’advienne, à l’avenir, [la démocratie européenne]5, celle-ci existe dans chaque geste qui tend vers elle ».

Répétons-le : ce combat ne peut être ni celui des seuls partisans du oui, ni uniquement celui des défenseurs du non. Au regard de l’enjeu, on pourra même considérer les divergences de vues sur le TCE comme secondaires : entre écologistes, elles portaient plus sur les moyens que sur les fins6. Au lieu de ressasser de vieux clivages et de cimenter des divisions en grande partie artificielles, travaillons ensemble, concrètement, à la communauté politique que nous appelons de nos vœux !

1 L’auteur de ce texte, français, a voté oui et partagé la position officielle des Verts français, exprimée de manière fine et équilibrée dans « Pour qu’une autre Europe soit possible ».

2 Voir par exemple le discours de Nicolas Sarkozy prononcé à Bruxelles le 8 septembre 2006. Ou « Europe’s Strategic Responses », document présenté le 22/23 septembre 2006 par le Bertelsmann Group for Policy Research : http://www.bertelsmann-stiftung.de/bst/en/media/xcms_bst_dms_18505_18506_2.pdf

3 “Le débat sur les questions sociales est le menu quotidien dans la plupart des pays européens”, The stultifying Brussels consensus, The Economist, 5 October 2006.

4 Résister, c’est créer, La Découverte, Paris, 2002.

5 C’est en réalité de liberté qu’Aubenas et Benasayag parlent en ces termes (P. 13).

6 L’auteur rappelle qu’il était et demeure politiquement infiniment plus proche des écologistes qui ont voté non que de la plupart des électeurs de droite qui, comme lui, ont voté oui.

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