Carte blanche dans Le Soir, Mardi 4 avril 2006


Vingt après Tchernobyl, ne dites plus « irradiés », dites « radieux » ! Ainsi donc, l’industrie nucléaire serait devenue la meilleure amie de la nature, mieux : la condition de notre avenir, sinon l’indispensable alliée des écologistes dans leur combat pour un monde Kyoto compatible !
Les vrais écolos désormais, c’est plus Daras, c’est Mestrallet, c’est plus Lannoye, c’est Wathelet, c’est plus Javaux, c’est Milquet ! Voici quelques années, ce sont les frères Happart qui se disputaient le sommet du top10 de ceux qui avaient bien compris ce qu’est vraiment la défense de l’écologie : « Rastrin, fi, si on chasse, c’est qu’on aime les bêtes, et si on pratique la tenderie, c’est qu’on aime les oiseaux. » Aujourd’hui, le lobby nucléaire a pris la relève : « Ouvre les yeux, coco, si on veut prolonger les centrales devenues d’extraordinaires machines à produire un fric fou, c’est pur souci du Protocole ! Et si on veut les garder toutes pour nous, c’est pur sacrifice pour l’environnement. »
Comme les autorités belges avaient minimisé de façon éhontée il y a vingt ans (autant que la France et que… l’URSS ! pas simple d’assurer une bonne info là-dessus quand on est un des pays les plus nucléarisés au monde… !) l’impact du nuage radioactif de Tchernobyl, tous les moyens sont bons aujourd’hui au lobby nucléaire pour nous refiler sa marchandise et maximiser ses bénéfices. Principale victime consentante à ce jour : le CDH, dont la pensée critique sur le sujet semble d’ores et déjà complètement atomisée. Rappelons que pour Joëlle Milquet, l’uranium ne pose pas de problème de dépendance énergétique et que la question des déchets est résolue (Matin Première, septembre 2005) et que pour M. Wathelet, un attentat contre une centrale nucléaire ne pose pas plus de problème que contre à peu près n’importe quelle usine (Vers l’avenir, 3 mars 2006).

La stratégie du secteur, et la communication qui va avec, vise en réalité à rendre un avenir à l’industrie nucléaire en faisant croire qu’elle serait indispensable à notre approvisionnement en électricité « propre ». Le principal problème, c’est que c’est faux ! De son côté, le Protocole de Kyoto exclut le nucléaire des énergies propres qu’il soutient. Par ailleurs, les écologistes ont démontré de façon techniquement irréprochable, plan à l’appui (voir www.ecolo.be ou www.etopia.be), que la Belgique peut à l’horizon 2030 se passer de la production industrielle d’électricité via le nucléaire – malgré son poids insensé – tout en atteignant des objectifs très ambitieux pour Kyoto 2 dans ce secteur. On peut comprendre que pour ceux qui ont envie d’y croire, imaginer que le nucléaire va permettre d’atteindre les objectifs de Kyoto doit avoir quelque chose de rassurant : ça laisse en fait penser qu’il suffirait de faire un peu plus de la même chose pour que tout s’arrange. Mais c’est la même idée qu’on essaie de nous vendre pour tout, et singulièrement en matière économique – et là, on voit bien que faire toujours plus de la même chose, ça n’a pas l’air d’être la solution, si ?

Croire que le nucléaire est fait pour servir les objectifs de Kyoto, c’est comme croire que les voitures hybrides c’est fait pour lutter contre le trafic automobile. Quand on les pousse dans leur retranchement, les défenseurs de l’industrie nucléaire eux-mêmes (comme l’ex coprésident de la Commission Ampère, J.-M. Streydio, à l’émission Mise au Point sur le sujet) admettent qu’elle est au mieux une énergie de transition, à laquelle on est amené à recourir, faute de mieux ; mais alors pourquoi ne pas se consacrer dès aujourd’hui à la recherche et à la mise en oeuvre de ce mieux ? D’autant plus que ce mieux existe et ne demande qu’à se développer, pourvu que les politiques le soutiennent !

La campagne massive de réhabilitation du nucléaire est extrêmement inquiétante, et tous les MacCarthy pronucléaires du monde ne nous feront pas dire le contraire. Depuis des mois, sinon des années, la situation iranienne constitue la démonstration définitive que la clôture hermétique entre nucléaire civil et nucléaire militaire – que le lobby essaye de nous vendre depuis des décennies – n’est qu’un mensonge de plus.

Voici quelques jours, RTL ouvrait son JT sur le démantèlement d’un réseau terroriste à Londres qui avait des contacts avec la mafia russe sur le sol belge, en vue d’élaborer une bombe sale (à base de matière nucléaire, proie des trafiquants). Et on peut encore citer mille exemples, comme celui d’Abdul Kader Khan, formé en Allemagne, à l’UCL et à la KUL au « nucléaire civil » et… père de la bombe atomique pakistanaise, qui a vendu ses plans à l’Iran et à la Corée du Nord !

Et il n’y a pas que dans la zone grise des États théocratiques ou des mafias que le feu couve : en janvier dernier, le président Chirac déclarait que la France n’hésiterait pas à se servir de son arsenal nucléaire contre des Etats terroristes qui la mettraient en péril… Deux jours plus tard, Karel De Gucht plaidait pour que les armes nucléaires françaises trouvent une place au sein de la Défense européenne (Le Soir, 3 février). Outre qu’elles sont terriblement révélatrices de l’état de tension qui caractérise aujourd’hui les relations internationales, on peut penser que ces prises de position auraient ému davantage sans les efforts acharnés du lobby nucléaire pour réhabiliter son enfant chéri (le nucléaire, pas le Protocole de Kyoto…) partout dans le monde. Vingt ans après Tchernobyl, fins prêts pour Hiroshima ?

Pour les écologistes, promouvoir le nucléaire dans un monde qui s’aime si peu est extrêmement grave et pour tout dire potentiellement criminel. Alors comment expliquer aujourd’hui la relative réussite de toute cette propagande pour réhabiliter l’industrie nucléaire ? Précisément parce que le nucléaire est l’énergie de la non-croyance en l’avenir, une énergie qui convient bien à la régression.

Sur cette question énergétique – ô combien vitale, on le voit -, une question au coeur du projet écologiste depuis 25 ans, une question devenue spectaculairement centrale de l’avenir du monde globalisé, tant elle pénètre toutes les dimensions du vivre ensemble, la politique ne saurait se permettre de devenir une variété des relations publiques, au service d’un lobby ou au profit d’une image. L’énergie, c’est le sang de nos sociétés et de nos économies. Et Suez-Electrabel, ce n’est pas la Croix-Rouge.

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