1. Introduction

Depuis 1979 et la Révolution menée par l’ayatollah Khomeini, ayant entraînée la chute du Shah, la République Islamique d’Iran est au cœur de nombreux débats. La décennie écoulée a placée le pays sous une perception négative voire dangereuse : outrepassant ses obligations internationales, l’Iran aurait tenté de se doter de l’arme nucléaire. Cette considération, entretenue par des prises de positions belliqueuses de la part de l’ancien Président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, auront rangé l’Iran parmi les États hostiles à la stabilité internationale.

Les manifestations de 2009 contre sa réélection, l’arrivée au pouvoir du modéré Hassan Rohani ainsi que la signature d’un accord sur le nucléaire iranien, en juillet 2015, auront modifié cette image négative. L’Iran semble être redevenu un acteur, sinon un partenaire, avec qui il serait permis de négocier. Le pays a d’ailleurs vu, depuis cet accord de Genève, se succéder les missions économiques internationales et les rencontres politiques de tous horizons.

Pourtant, l’Iran reste un État difficilement appréhendable, et ce à plusieurs points de vue. Mélangeant les institutions démocratiques à des tutelles dictatoriales, il draine un grand nombre de critiques voire de fantasmes sur ses réelles intentions. De plus, loin d’être monolithique, l’Iran est traversé par toute une série de tendances, de tensions et de fractures qui complexifient son approche.

C’est en ce sens que l’année 2016 sera une année importante pour le pays. Confronté, à différents niveaux, à des modifications conjoncturelles pouvant devenir structurelles, l’Iran pourrait se trouver face à une année charnière. Il est donc intéressant de prendre le temps de se pencher sur ces modifications à venir. Revenir sur leurs causes, leurs situations actuelles et les perspectives possibles n’est cependant pas un exercice facile. Mais le rappel de tendances, perceptibles aujourd’hui, et leur mise en relation permet de mieux s’approprier un État encore largement méconnu dans l’espace public occidental.

2. L’Iran : qui gouverne ? Retour sur les éléments de base

Pays grand comme 54 fois la Belgique, avec une population de 77 176 930 habitants, l’Iran représente, sur carte, un acteur régional incontournable. Pays à l’histoire millénaire, doté d’un nationalisme fort et attaché à son particularisme culturel, l’Iran est, depuis 1979, gouverné par un régime hybride, mélangeant dictature théocratique et mécanismes démocratiques. En effet, alors que des élections à différents niveaux se succèdent depuis plus de 30 ans, le régime s’organise autour du principe de velayat-e faqih, voyant un guide spirituel, en l’occurrence Ali Khamenei, rassembler l’ensemble des pouvoirs.

2.1. Les structures officielles du régime

Officiellement, l’Iran est une République islamique (Jomhuri-e eslâmi) fondée suite à la chute du Shah, en 1979. La Constitution adoptée la même année est un mélange hybride de pratiques théocratiques et démocratiques[[Mohamad-Reza Djalili, Thierry Kellner, Histoire de l’Iran contemporain, Paris, La Découverte, 2010, p. 80 ; Yann Richard, L’Iran. De 1800 à nos jours, Paris, Flammarion, 2009, p. 383.

]]. Bien que le dernier mot revienne toujours à la tendance religieuse, le suffrage universel et l’élection des femmes, entre autres, sont reconnues par le système. L’essence du régime s’articule autour d’une conception particulière du chiisme politique. Durant ses années d’exil avant la chute du chah, Khomeini et son entourage ont élaboré la doctrine du velayat-e faqih (‘gouvernement du jurisconsulte’), qui confère aux religieux la primauté sur le pouvoir politique[[La définition de cette primauté du jurisconsulte lui permet même, dans certaines circonstances, de faire primer les décisions politiques dans l’intérêt de l’État sur les lois islamiques traditionnelles. Khomeini, notamment en janvier 1988, a insisté en ce cens. La raison d’État peut supplanter la charî’a. En ce sens, l’autorité du Guide en devient infaillible (Constance Arminjon Hachem, Chiisme et État. Les clercs à l’épreuve de la modernité, Paris, CNRS, 2013, pp. 277, 301, 325 ; Semih Vaner,Daniel Heradstveit, Sécularisation et démocratisation dans les sociétés musulmanes, Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, Peter Lang, 2008, p. 41).

]]. Ce principe, qui prend à contre-pied toute la tradition chiite, se retrouve dans la Constitution (article 5) : ‘Durant l’occultation du Maître du temps – que Dieu hâte sa réapparition – le pouvoir revient au juste et au pieux faqih (‘docte religieux’), qui est courageux, plein de ressources et possède des aptitudes administratives.’ Également dénommé Guide de la révolution, rahbar, c’est ce personnage qui possède pratiquement la totalité du pouvoir, comme le stipule l’article 110 de la Constitution.

Disposant d’une administration propre, la maison du Guide (beit-e Rahbari), comptant plus d’un millier d’employés dans une sorte de gouvernement parallèle, qui côtoie chaque gouverneur de province, chaque ministre, chaque chef d’une entreprise d’État, chaque patron de fondation religieuse, etc. le Guide est l’autorité suprême en Iran.

Occupant la fonction depuis 1989 et la mort de l’ayatollah Khomeini, Ali Khamenei a consacré une grande partie de son règne à consolider sa propre position. Le noyautage de chaque institution de la République islamique a permis d’asseoir son autorité politique. De l’autre, malgré de profondes critiques à son égard, Khamenei a développé son autorité religieuse. Les disparitions récentes de plusieurs grands ayatollahs et le retrait d’une autre source d’imitation, le grand ayatollah Sistani, en Irak, lui ont laissé une marge de manœuvre importante au sein du clergé iranien.

À côté du Guide, différents postes et structures existent, organisant les pratiques du pouvoir voire les concurrençant. C’est ainsi que l’Iran est pourvu d’un Président de la république islamique (Ra’isjomhur-e Iran), d’un Parlement (Majles-e Shorâ-ye Eslami) et de différentes autres organes encadrant le système et ses structures, comme l’Assemblée des experts (Majles-e Khobregān) et le Conseil de Gardiens de la Constitution (Shorā-ye negahbān-e qānun-e assāssi).

Le Président de la République Islamique occupe le poste s’apparentant à celui de Premier ministre. Bien qu’élu au suffrage universel, il n’est pas considéré en tant que chef d’une majorité politique au pouvoir. La Constitution iranienne, dans son chapitre 9, lui attribue des prérogatives assez limitées[Zia Oloumi, La Constitution de la République Islamique d’Iran, note de blog, 15 décembre 2004, [en ligne], [http://www.jurispolis.com/dt/mat/dr_ir_constit1979/dt_ir_constit1979_chap09.htm#_Toc96573863.

]]. Bien qu’il soit expressément le chef de l’exécutif, il est subordonné à l’autorité du Guide est n’est donc pas le premier personnage de l’État. Les autres institutions agissent régulièrement en tant que contre-pouvoir aussi bien du Gouvernement (le Parlement) que des tendances réformistes de certaines personnalités (le Conseil des Gardiens, qui filtre toutes les candidatures aux élections).

2.2. Les courants politiques

Au-delà de ces structures, plusieurs courants politiques existent et cohabitent en Iran. Allant des réformateurs aux ultra-conservateurs, en passant par les modérés et les conservateurs, ces courants politiques, à la fois formels et informels, s’allient ou se combattent suivant les circonstances. Déjà, les représentants politiques du bloc conservateur sont loin de se retrouver dans la définition d’une seule ligne de conduite à appliquer pour la direction de l’Iran. Cette logique est parsemée de nombreuses tendances qui se caractérisent pour certains par de sourdes oppositions. Ainsi, tandis que certains représentants, tels qu’Ali Larijani, président du Majlis, s’inscrivent dans la logique du Guide et du principe du Velayet-e faqih, d’autres, dans lesquels figurent nombre de représentants des pasdarans, le Corps des Gardiens de la Révolution, souhaiteraient voir leur pouvoir s’accroître dans la gestion des mécanismes de pouvoir, aussi bien économiques qu’institutionnels. En effet, le camp des Gardiens de la Révolution est, au cours de la dernière décennie, devenu incontournable en Iran: vivier d’une nouvelle génération de leaders islamistes, les Gardiens de la Révolution œuvrent pour la préservation voire la radicalisation des idéaux révolutionnaires, et pour une modernisation du pays fondée sur le développement économique et la maîtrise des technologies modernes, telles que le nucléaire. Ces différents conflits dans la compréhension et dans l’exercice du pouvoir se matérialisent ainsi dans les positions que l’Iran défend à l’extérieur, notamment dans le cadre de la crise du nucléaire, qui aura vu plus d’une fois le pays adopter des changements de positions souvent peu clairs et difficilement compréhensibles.

Toutefois, les différentes logiques conservatrices se retrouvent dans l’analyse de la fragilité du régime et des menaces que les mouvements réformistes, voire modérés, font peser sur leur autorité. Depuis les élections de 2009 et les contestations issues du mouvement vert, les réformistes sont écartés de tous les lieux du pouvoir : les anciens candidats Mir-Hossein Moussavi et Medhi Karroubi sont assignés en résidence surveillée tandis que leurs proches, comme l’ancien Président Khatami, sont régulièrement fustigés par les milieux conservateurs au pouvoir. Le Président Rohani, lui-même, ainsi que ses Ministres, sont également régulièrement les cibles de critiques parfois à peine voilée contre leur autorité. Pour les ultra-conservateurs , les incitations à plus de coopération avec le monde extérieur sont perçues comme une porte ouverte vers l’Occident qui risquerait de déstabiliser le régime. Tandis que les sanctions, elles, sont considérées comme ayant finalement peu d’impact et comme étant un instrument utilisable en tant que levier facilitant l’existence d’un instinct nationaliste. Durant la précédente décennie, les défenseurs du régime islamique se sont ainsi engagés dans divers assauts contre les quelques espaces démocratiques se mettant en place, à savoir la liberté de la presse et les libertés politiques, afin d’assurer la pérennité du système[[Khosrokhavar Farhad, « L’Iran, la démocratie et la nouvelle citoyenneté. », in Cahiers internationaux de sociologie 2/2001 (n° 111), Paris, PUF, 2001, p. 291.

]].

Dans le cadre des libertés politiques, le régime dispose ainsi de « verrous » électoraux, propres à empêcher toute réforme qui mettrait ses fondements en danger. Le principal d’entre eux, comme il a été dit plus haut, passe par la sélection des candidats aux élections. Éliminant les postulants dont le profil est considéré comme trop hostiles aux fondements du régime, le pouvoir organise les élections, laissant participer une faible minorité modérée, afin d’assurer aux élections la participation nécessaire à son bon déroulement.

2.3. Les structures parallèles.

À côté de ces structures officielles, d’autres acteurs, occupent un rôle important dans l’occupation et la gestion du pouvoir. Le plus important d’entre eux est celui du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique.

Fort de plus de 100.000 hommes, le Corps des Gardiens de la Révolution (Sepah-e Pasdaran-e Enghelāb-e Eslami), est un véritable État dans l’État. Organisation paramilitaire de la République Islamique, dépendant directement Guide, les pasdarans constituent, à la base, la force militaire idéologique du régime. Leurs pouvoirs se sont toutefois largement répandus au-delà de cette mission de « gardiens » de la révolution. Enrichis par la contrebande, rendue nécessaire par les sanctions internationales visant le régime, ils bénéficient des équipements militaires les plus sophistiqués. Les pasdarans contrôlent également un tiers de l’économie iranienne. Et depuis l’invasion de l’Irak par les troupes américaines, le Corps des Gardiens s’est exporté à l’extérieur. Via la Force Al-Qods, dirigée par le général Qasem Soleimani, les pasdarans se retrouvent aujourd’hui sur différents théâtres d’opérations, d’Irak en Syrie, afin de soutenir les alliés de l’Iran.

Officiellement, la Constitution leur interdit toute interaction dans l’élection présidentielle ou toute tentative d’influence politique[Zia Oloumi, La Constitution de la République Islamique d’Iran, op. cit., [http://www.jurispolis.com/dt/mat/dr_ir_constit1979/dt_ir_constit1979_chap09.htm#_Toc96573894.

]]. Les Gardiens de la Révolution restent un organe militaire, soumis à une forme de réserve. Distinct de l’armée classique, ce corps est né d’un décret du 5 mai 1979 qui lui confie la protection de la Révolution et du Guide suprême. Dans les faits, ce corps armé a gagné en puissance et joue un rôle politique effectif dans le pays.

C’est la guerre avec l’Irak qui fera passer le Corps de milice à armée professionnelle. Doté de moyens militaires propres, ils sont seuls en charge du programme balistique du pays et bénéficient des meilleures armes, au détriment de l’armée régulière. Démobilisés après la guerre, les anciens combattants ont pu se reconvertir dans de nombreux secteurs économiques et industriels, y occupant des positions emblématiques. Entretenant un « esprit de corps », Les pasdarans ont ainsi pris le contrôle de nombreux pans de l’industrie de défense iranienne (DIO)[Selon les estimations de l’Institut international pour les études stratégiques (IISS), ils ont absorbé en 2012, 42,75% du budget de la défense nationale. Ce corps de 130 000 soldats, trois fois moins nombreux que leurs homologues de l’armée, a reçu les trois quarts des crédits alloués à l’achat d’équipements (Romain Mielcarek, « Iran : derrière l’élection, l’ombre des Gardiens de la Révolution », in Moyen-Orient RFI, Paris, Radio France International, 12 juin 2013, [en ligne], [http://www.rfi.fr/moyen-orient/20130611-iran-election-gardiens-revolution-pasdaran-khamenei).

]].

Les pasdarans sont, de plus, un acteur économique de premier ordre. Via leur holding Khātam-al Anbiyā[[C’est-à-dire le « Sceau du Prophète ».

]], les Gardiens de la Révolution se sont taillés un empire financier actif dans les travaux publics et l’industrie pétrolière. Exsangue après plusieurs années de guerre avec l’Irak, l’Iran souhaitait rapidement reconstruire ses infrastructures au tournant des années nonante. Le pouvoir encourage le Corps des Gardiens à y participer, en prenant en charge plusieurs secteurs de la reconstruction. Parvenant à se réserver des emplois dans les administrations, les vétérans se sont également vu accorder des facilités dans la mise sur pied d’entreprises diverses. Investissant dans de larges secteurs économiques, le Corps de Gardiens est devenu propriétaire de dizaines voire de centaines d’entreprises privées, comme Oriental Oil Kish ou Sahel Consultant Engineering[Alireza Nader, « The Revolutionary Guards », in The Iran Primer, Washington D.C., USIP, 2015, [en ligne], [http://iranprimer.usip.org/resource/revolutionary-guards; Bernard Hourcade, Géopolitique de l’Iran, Paris, Armand Colin, 2010, p. 62-63.

]]. Les pasdarans parviennent enfin à s’imposer dans de nombreux marchés publics d’envergure : la construction de nouveaux terminaux pour l’aéroport international de Téhéran ainsi que la prise de contrôle de la compagnie iranienne de télécommunication ont été alloué à des entreprises liées au Gardiens de la Révolution. Présent à différents niveaux dans l’économie iranienne, de manière transparente et non-transparente, leur poids réel bien qu’incontestable est méconnu. Ils y sont cependant incontournables.

Les pasdarans sont aussi intervenus, à plusieurs reprises, dans la vie politique iranienne : en 1994, en refusant de rétablir l’ordre Qazvin, en 1999 durant les émeutes étudiantes ainsi qu’en 2009 contre les manifestations hostiles au pouvoir ou de manière plus implicite en s’opposant à des candidats modérés durant certains processus électoraux[Serge Michel, « Les pasdarans, une milice au cœur du régime », in Le Monde, Paris, 11 juin 2013, [en ligne], [http://www.lemonde.fr/international/article/2013/06/11/les-pasdarans-une-milice-au-coeur-du-regime_3428153_3210.html.

]].

Il convient, toutefois, d’éviter de considérer les pasdarans comme un bloc uni et monolithique. Plusieurs lignes de fractures existent au sein du Corps mais aussi entre les vétérans. Chacun défend, in fine, ses intérêts. Tous cependant s’accordent sur un maintien du statu-quo institutionnel, afin d’éviter toute remise en question de leur autorité.

Enfin, différents acteurs secondaires ne sont pas à négliger. Les grandes fondations religieuses, ainsi, contrôlent plusieurs autres pans de l’économie. De plus, exemptés pour le moment d’impôts et de taxes diverses, ces fondations disposent d’une manne financière confortable.

Après ce rapide tour des forces en place en Iran, penchons-nous sur les principaux défis à venir pour le pays : l’économie, la politique régionale et les scrutins de 2016.

3. L’économie : un nouvel eldorado ?

L’Iran attise de nombreuses convoitises. Possédant, à lui seul, près de 10 % des réserves de pétrole brut et près de 16 % des réserves de gaz naturel au monde, le pays se place respectivement en quatrième et en première position mondiale. 6ème producteur mondial de pétrole et 4ème producteur mondial de gaz, la République Islamique offre donc des marges de développement plus qu’intéressantes. Pour un grand nombre d’analystes, l’Iran, en 2016, ouvre d’immenses possibilités énergétiques. L’accord sur le nucléaire devrait lever toute une série de sanctions frappant, depuis 10 ans, le pays. Déverrouillant les investissements dans ces secteurs stratégiques, cet accord replace la République Islamique parmi les premières zones d’investissement de la planète. Ces investissements étrangers sont fondamentaux pour le Président Rohani, qui a basé sa campagne électorale sur la levée des sanctions et sur la fin de la crise économique. L’Iran souffre en effet du mix des sanctions adoptées par les Nations Unies, les États-Unis et l’Union Européenne. La perte d’importants revenus pétroliers et l’isolation bancaire du pays ont fait exploser l’inflation et fait s’effondrer le rial, la monnaie nationale. Frappant durement la classe moyenne et le bazar, réseau de commerçants et de PME iraniennes, les sanctions étaient vues comme le principal défi auquel devait faire face le pays[« Iran nuclear crisis: What are the sanctions? », in BBC News, Londres, 30 mars 2015, [en ligne], [http://www.bbc.com/news/world-middle-east-15983302.

]]. Les investissements directs de l’étranger se sont effondrés tandis que le pays aura connu un taux de croissance de 0 % en 2013 et 2014, selon les termes du directeur de la Banque Centrale Iranienne, Valiollah Seyf[Après une croissance négative de 5,8 % l’année précédente. Les prévisions de la Banque Mondiale, pour 2016, tablent sur une croissance de 5 % en cas de levée des sanctions (Press Release, Iran: Lifting of Sanctions Will Lower Oil Prices and Boost Domestic Economy If Managed Well, The World Bank, Washington, 10 août 2015, [en ligne], [http://www.worldbank.org/en/news/press-release/2015/08/10/iran-lifting-sanctions-will-lower-oil-prices-and-boost-domestic-economy-if-managed-well).

]].

La levée des sanctions fait miroiter l’image d’un Iran devant un nouvel eldorado économique, ouvert aux investissements et aux projets financiers faramineux[Philipp Hampsheir, « Iranian investment scene ‘improving’ as relations thaw », in BBC News, Londres, BBC, 16 octobre 2014, [en ligne], [http://www.bbc.com/news/business-29646763; Masoud Movahed, « Nuclear deal could unleash Iran’s economy », in Al Jazeera America, New York, 27 avril 2015, en ligne], [http://america.aljazeera.com/opinions/2015/4/nuclear-deal-could-unleash-irans-economy.html.

]]. En effet, corseté depuis plus de 10 ans par un embargo particulièrement lourd, le pays est en manque cruel de fonds. Les sanctions économiques ont infligé des dégâts extrêmement importants à l’économie iranienne. Tous les secteurs d’activité en souffrent, à commencer par les industries pétrolières et gazières, mais aussi les transports, l’industrie pharmaceutique, l’industrie automobile, les textiles,… Délivré de ces contraintes, l’Iran verrait se ruer entreprises et investisseurs du monde entier, permettant une relance économique importante pour le pays. La question du développement pétrolier en est la plus emblématique. De plus, avec une population de 80 millions d’habitants, l’Iran représente un marché potentiel important, doté d’une base de consommation jeune et éduquée, friande de nouvelles technologies[Garret Nada, « U.S.-Iran Trade After Sanctions », in The Iran Primer, Washington D.C., USIP, 27 avril 2015, [en ligne], [http://iranprimer.usip.org/blog/2015/apr/27/us-iran-trade-after-sanctions.

]]. Les données de la Banque Mondiale[Youth literacy rate, population 15-24 years, both sexes (%), Washington D.C., The World Bank, 2015, [en ligne], [http://data.worldbank.org/indicator/SE.ADT.1524.LT.ZS;

]] font ainsi état d’une population dont les moins de 35 ans représentent 65 % de la population, avec la tranche d’âge des 15-24 ans alphabétisée à 98 %. Le tout dans un pays où la moitié des ménages iraniens sont connectés à Internet[Jason Rezaian, « Internet improvements in store for Iran », in The Washington Post, Washington D.C., 15 février 2014, [en ligne], [http://www.washingtonpost.com/world/middle_east/internet-improvements-in-store-for-iran/2014/02/13/b3d730fe-8ea4-11e3-878e-d76656564a01_story.html.

]]. La levée des sanctions devrait aussi libérer une manne financière importante, gelée pour le moment dans différentes structure bancaires internationales. Le montant total de ces avoirs est cependant mal estimé : 100 milliards pour les uns, 150 milliards pour les autres, il pourrait être, de manière plus réaliste, autour des 30 milliards de dollars[Anne Michel, « La levée des sanctions, une manne pour l’Iran », in Le Monde, Paris, 16 juillet 2015, [en ligne], [http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/07/16/la-levee-des-sanctions-une-manne-pour-l-iran_4685545_3218.html; Adam Szubin, Beyond the vote: Implications for the sanctions regime on Iran, Washington D.C., The Washington Institute for Near East Policy, 2015, en ligne], [http://www.washingtoninstitute.org/uploads/Documents/other/SzubinTranscript20150916-v2.pdf.

]]. Ces sommes sont considérables, le PIB de l’Iran ayant été, en 2013, 425 milliards de dollars[GDP at market prices (current US$), Washington D.C., The World Bank, 2015, [en ligne], [http://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD.

]].

Sur le terrain, la situation économique et industrielle de l’Iran est, néanmoins, loin d’être aussi idyllique. L’industrie pétrolière, clé de voûte de l’économie iranienne (70% du budget annuel et 85% des ressources en devises) est la principale victime des sanctions. La production pétrolière iranienne, qui s’élevait à 6 millions de barils par jour en 1976 et à 3,7 millions de barils par jour en 2010, ne dépassait plus, en 2015, 1,4 millions de barils. Par conséquent, les ressources en devise du pays ont été divisées par deux. Cette situation a été à l’origine d’une grande partie des difficultés économiques actuelles du pays, dont notamment la chute vertigineuse de la monnaie nationale. Face à cette situation instable pour les recettes de l’État, de nouvelles mesures ont été demandées par le Président Rohani, dans le cadre de l’élaboration du budget 2015-2016. Le prix de référence du baril a ainsi été diminué, passant de 72 dollars à 40 dollars.

La relance des investissements pétroliers fait partie des projets de développements économiques porté par Rohani. Annonçant des investissements approchant les 200 milliards de dollars jusqu’en 2020, une fois les sanctions levées, le pouvoir en place espère augmenter d’un million de barils par jour sa production pétrolière[« Iran oil sanction investment », in PressTV, Téhéran, 25 mai 2015, [en ligne], [http://www.presstv.ir/Detail/2015/05/25/412831/IRAN-OIL-SANCTION-INVESTMENT; « Iran can invest $200b in oil », in Azernews, Bakou, 25 mai 2015, en ligne], [http://www.azernews.az/region/82588.html; Cameron Glenn, « After Sanctions: Iran Oil & Gas Boom? », in The Iran Primer, Washington D.C., USIP, 8 mai 2015, en ligne], [http://iranprimer.usip.org/blog/2015/may/08/after-sanctions-iran-oil-gas-boom.

]].

Parmi les autres industries frappées très lourdement par les sanctions, le cas de l’industrie automobile iranienne, à savoir la plus grande industrie automobile du Moyen-Orient et la 13ème au monde, est à citer. Par rapport au début de l’année 2012, sa production aurait connu une chute de 40 à 50%. Peugeot et Renault ont longtemps occupé une place importante sur le marché iranien. Le marché est donc particulièrement ciblé par les investisseurs européens.

Il est également à savoir que la levée des sanctions ne concernera qu’une partie de celles-ci, relatives à la crise nucléaire[[« Iran nuclear crisis: What are the sanctions? », in BBC News, op. cit.

]]. De nombreuses autres sanctions, principalement américaines, ne sont pas inclues dans les levées prévues en cas d’accord[Patrick Clawson, « U.S. Sanctions », in The Iran Primer, Washington D.C., USIP, 2015, [en ligne], [http://iranprimer.usip.org/resource/us-sanctions.

]]. Parmi celles qui continueront à être d’application figurent la Loi d’Amato-Kennedy, de 1996, pesant lourdement sur les investissements en Iran[Même si, comme le souligne Michel Makinsky, des frontières entre les sanctions sont difficiles à appréhender (Kenneth Kazman, Iran Sanctions, Washington D.C., Congressional Research Service, 2015, [en ligne], [http://www.fas.org/sgp/crs/mideast/RS20871.pdf; Michel Makinsky, « Iran : quelles sont les perspectives à venir concernant la levée des sanctions ? », in Les Clés du Moyen-Orient, Paris, 16 novembre 2015, en ligne], [http://www.lesclesdumoyenorient.com/Iran-quelles-sont-les-perspectives-a-venir-concernant-la-levee-des-sanctions.html).

]]. De plus, l’idée d’un Iran redevenant une superpuissance pétrolière est encore très illusoire. Enfin, l’idée d’un jeu ouvert et transparent dans la relance économique relève beaucoup d’une méconnaissance du pays.

L’économie domestique iranienne pâtit également de longues années de gestion hasardeuse. Les dépenses publiques sont ainsi alourdies par différentes politiques coûtant très cher au Trésor du pays. De nombreux axes de dépenses sont pointés du doigt, parfois ouvertement, comme responsables de cette situation. Le coût du programme nucléaire serait ainsi particulièrement élevé, même si les chiffres complets restent inconnus. Un chiffre cependant avancé, celui du coût de la centrale nucléaire de Bushehr, commandée aux Russes, avoisine les 11 milliards de dollars[Ali Vaez, Karim Sadjapour, Iran’s Nuclear Odyssey, Washington D.C., Carnegie Endowment for International Peace, 2013, [en ligne], [http://carnegieendowment.org/files/iran_nuclear_odyssey.pdf; Mohammad-Reza Djalili, Thierry Kellner, Vers un nouvel empire perse au Moyen-Orient ? Entre mythe et réalité, Paris, Ifri, 2015, p. 25, en ligne], [http://www.ifri.org/fr/publications/enotes/notes-de-lifri/vers-un-nouvel-empire-perse-moyen-orient-entre-mythe-realite.

]]. Autre point emblématique, celui des subventions gouvernementales. Les conséquences d’un système longtemps trop généreux sont également mises sur la sellette. Jusqu’à récemment, les iraniens ont pu bénéficier d’aides directes de l’État, concernant les produits de première nécessité et ceux liés à l’énergie. Supprimant, en 2010, ces subventions, le Président Ahmadinejad décida de compenser la perte par l’octroi d’une allocation à chaque citoyen. Cette mesure a ruiné le budget. Différents projets de réduction de son octroi, notamment aux ménages les plus aisés, sont envisagés par la présidence Rohani. De même que l’élargissement d’assujettissement des impôts à de nombreuses structures encore épargnées, ainsi que l’élargissement de l’assiette de la TVA.

Autre obstacle économique : un système économique faisant essentiellement la part belle aux organes publics, ménageant leurs intérêts dans une situation de corruption latente. La structure économique du pays est ainsi essentiellement clientéliste, mêlant entreprises publiques et semi-publiques dans l’obtention de passe-droits en-dehors de tout appel d’offre clair et transparent[[Djalili p. 69,

]]. L’Iran est ainsi classé, par la Banque Mondiale, 130ème sur 189 en ce qui concerne la régulation des affaires et la protection des brevets et autres copyrights[Doing business 2015. Going beyond efficiency, Washington D.C., World Bank, 2014, [en ligne], [http://www.doingbusiness.org/~/media/GIAWB/Doing%20Business/Documents/Annual-Reports/English/DB15-Full-Report.pdf.

]]. Le Président Hassan Rohani a toutefois fait part de sa volonté de lutter contre la corruption et de réformer le système de privatisation actuellement en place en Iran[AFP, « Iran: Rohani prédit des temps difficiles pour ceux qui profitent des sanctions », in Le Point, Paris, 28 avril 2015, [en ligne], [http://www.lepoint.fr/monde/iran-rohani-predit-des-temps-difficiles-pour-ceux-qui-profitent-des-sanctions-28-04-2015-1924763_24.php#xtor=CS2-239.

]]. Mais les obstacles, notamment politiques, sont encore nombreux.

Il convient aussi de noter que certains durs du régime voient particulièrement d’un mauvais œil une ouverture plus large du pays vers l’extérieur. Un Iran entrant pleinement dans les flux de la mondialisation, et donc aux autres cultures que celle diffusée par le pouvoir théocratique, fait craindre une fragilisation du régime.

La levée des sanctions prendra du temps[« Iran : l’accord sur le nucléaire pourrait permettre un réveil économique », in L’opinion, Paris, 3 avril 2015, [en ligne], [http://www.lopinion.fr/3-avril-2015/iran-l-accord-nucleaire-pourrait-permettre-reveil-economique-22985.

]]. L’ensemble du processus s’étalera sur des mois, voire des années, par paliers successifs[« Les investisseurs misent sur une levée des sanctions », in Les Échos, Paris, 3 avril 2015, [en ligne], [http://www.lesechos.fr/journal20150403/lec1_monde/0204221907667-les-investisseurs-misent-sur-une-levee-des-sanctions-1108092.php.

]]. Bien qu’un grand nombre de délégations occidentales se soient succédé ces derniers mois à Téhéran, rien ne sera possible sans la mise en œuvre de l’accord sur le nucléaire, attendu pour le début 2016.

4. L’influence régionale : un pays opportuniste

Autre question emblématique, charriant de nombreux débats: l’expansion régionale de l’Iran.

Depuis 10 ans, l’Iran parvient à profiter des opportunités régionales se présentant à lui. La montée en puissance des chiites en Irak, la disparition de la menace talibane, les événements au Liban, en Syrie et au Yémen lui permettent de placer ses pions. La position stratégique de l’Iran lui permet, en effet, de jouer un rôle politique notable au cœur d’une région en pleine crise. De plus, ses liens étroits avec le régime de Bachar al Assad, ainsi qu’avec le Hezbollah de Hassan Nasrallah, lui font occuper une place importante dans l’évolution de la question syrienne. Enfin, s’autoproclamant défenseur du chiisme, Téhéran est perçu, par certaines populations, comme un bouclier face aux velléités sunnites, qu’elles proviennent de Daesh ou de l’Arabie Saoudite. Procédons à un rapide petit tour d’horizon suivant les pays limitrophes de l’Iran.

4.1. En Irak

Longtemps, l’hostilité a prédominé dans les relations entre l’Iran et l’Irak. Suivant de quelques mois l’instauration de la République Islamique, l’Irak de Saddam Hussein lance, en septembre 1980, une guerre d’agression contre le nouveau régime iranien. Particulièrement violente[[Le conflit aurait fait entre 500.000 et 1.200.000 victimes.

]], elle vit l’Occident soutenir les forces irakiennes, face à un Iran isolé sur la scène internationale.

L’invasion de l’Irak en 2003, suivit de la chute de Saddam Hussein, va changer la donne. Voyant disparaître, à ses frontières occidentales, un ennemi de longue date, l’Iran se retrouve vite confronté à une nouvelle opportunité : une instabilité croissante en Irak liée à une arrivée au pouvoir des mouvements politiques chiites. C’est ainsi que l’Iran est parvenu à s’assurer de la collaboration de
Nouri al-Maliki, premier ministre irakien de 2006 à 2014. Souvent considéré comme l’homme lige de Téhéran, Nouri al-Maliki incarne le rapprochement réalisé entre l’Iran et l’Irak. Bien que l’idée de la question de ses rapports à l’Iran ne doivent pas être vue sous un angle aussi favorable, Maliki fut un allié précieux pour Téhéran[Alain Gresh, « États-Unis et Iran, des alliés improbables en Irak », in Orient XXI, Paris, 11 juin 2013, [en ligne], [http://orientxxi.info/lu-vu-entendu/etats-unis-et-iran-des-allies,0298.

]]. En effet, malgré son hostilité à l’égard de l’Iran, ce dernier ne s’y opposa jamais clairement, ayant besoin du soutien des factions chiites, telles que celles issues du courant sadriste[Du nom de Moktada Sadr, figure des mouvements chiites irakiens (Kenneth Pollack, Muqtada al-Sadr: Iraq’s Shadowy Power Broker, Washington D.C., The Brookings Institution, 2006, [en ligne], [http://www.brookings.edu/research/articles/2006/05/08iraq-pollack; Kenneth Pollack, Tehran and Washington: Unlikely Allies In An Unstable Iraq, Washington D.C., The Brookings Institution, 2013, en ligne], [http://www.brookings.edu/blogs/markaz/posts/2013/06/31-iraq-iran-pollack;Martin Chulov, « Iran brokers behind-the-scenes deal for pro-Tehran government in Iraq », in The Guardian, Londres, 17 octobre 2010, en ligne], [http://www.theguardian.com/world/2010/oct/17/iraq-government-iran-tehran-deal).

]].

L’Iran profitera du désordre irakien pour intervenir sur le terrain, face aux États-Unis, et y ménager ses intérêts. La bataille de Najaf, en 2004, aurait ainsi été une lutte par procuration entre Washington et Téhéran. Les milices de l’Armée du Mahdi, bras armé du mouvement politique dirigé par Moqtada al-Sadr, auraient été coordonnées et entraînées par l’Iran, via les forces Al-Qods des Pasdarans, et donc sous l’autorité de leur chef, Qassem Suleimani[[Michael Weiss, Hassan Hassan, EI. Au coeur de l’armée de la terreur, Paris, Éditions Hugo et Cie, 2015, p. 92.

]].

L’instabilité chronique iraquienne, liée à une incapacité du gouvernement en place à assurer l’unité politique du pays, et à un maintien continu de l’insécurité à l’intérieur du territoire, entameront progressivement la légitimité du pouvoir d’al-Maliki. Dès le début de son deuxième mandat, al-Maliki parvient, en effet, à rompre avec ses alliés traditionnels, issus des mouvements kurdes et chiites. L’explosion syrienne et l’avènement de Daesh seront de nouveaux coups de butoir contre le régime irakien. Lâché par ses derniers soutiens, al-Maliki se voit remplacé, avec le soutien de l’Iran, par un nouveau premier ministre, Haïdar al-Abidi, membre du même parti mais réputé plus modéré[Karim Pakzad, Irak : à l’origine du bouleversement et de la catastrophe annoncée, Paris, IRIS, 2014, [en ligne], [http://www.iris-france.org/irak-lorigine-du-bouleversement-et-de-la-catastrophe-annonce/.

]].

C’est dans ce cadre que l’arrivée de Daesh voit toute une série de jeux d’alliances par défauts se mettre en place. D’abord dénommé État Islamique d’Irak puis État Islamique en Irak et au Levant, ce qui deviendra l’État Islamique trouve ses origines dans de nombreuses causes, lointaines et proches. L’invasion américaine de l’Irak en 2003 et l’improvisation qui aura suivi l’occupation, le démantèlement brusque de l’armée de Saddam Hussein, la politique sectaire menée par l’ancien premier ministre irakien Al-Maliki et la stratégie du chaos poursuivie par le régime syrien à la suite de la révolte de 2011 auront contribué à l’avènement et à l’expansion du groupe terroriste[Denis Bauchard, Le Moyen-Orient face à Daesh, Paris, IFRI, 2014, [en ligne], [http://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/bauchard-daech.pdf; Pierre-Jean Luizard, Le piège Daech, Paris, La Découverte, 2015 ; Michael Weiss, Hassan Hassan, EI…, op. cit.

]].

La montée en puissance du Califat islamique, en Irak et en Syrie est à la fois une menace et une opportunité pour l’Iran. L’occupation, par l’organisation terroriste, d’un tiers du pays menace les intérêts iraniens. Appuyant sa politique irakienne par un soutien aux factions et partis chiites, Téhéran fait face à de nombreuses difficultés dans l’assurance de la suprématie chiite. Les revers militaires irakiens représentent, toutefois, une chance à saisir pour l’Iran. Bénéficiant d’une place d’arbitre importante entre les différentes factions chiites, Téhéran voit s’ouvrir la possibilité d’intervenir plus ouvertement encore dans le règlement militaire du conflit en Irak, via l’intervention des milices chiites. Soutenues par la force Al-Qods, issue des Pasdarans, sous le commandant du très charismatique Qassem Suleimani, ces éléments ont notamment été actifs dans la reprise de la ville de Tikrit, en 2015.

S’appuyant sur une stratégie du « diviser pour mieux régner » en Irak, l’Iran s’appuie donc sur une myriade de groupes et factions chiites, soutenant leur influence au gré de ses intérêts d’affaiblissement du pouvoir central[Report: Iran’s Role in Iraq, in The Iran Primer, Washington D.C., USIP, 1er juin 2015, [en ligne], [http://iranprimer.usip.org/blog/2015/jun/01/report-iran%E2%80%99s-role-iraq.

]]. L’implication de l’Iran dans la lutte contre Daesh, en Irak, représente également une vitrine géopolitique pour son action au Moyen-Orient : surclassant l’Arabie Saoudite dans la lutte contre un ennemi commun, l’Iran tenterait de démontrer, face à d’autres nations sunnites, sa capacité à incarner un bouclier face aux menaces terroristes. Politique qui, de manière complémentaire, permettrait à l’Iran de parvenir à sortir de son isolement diplomatique.

4.2. En Syrie

Seul allié historique de la République Islamique, la Syrie représente, pour l’Iran, un partenaire indispensable. L’alliance entre un régime socialiste laïque et un régime théocratique chiite semble étonnant de premier abord. Mais les deux États se sont régulièrement retrouvés pour défendre leurs intérêts. Durant la guerre Iran-Irak, la Syrie fut le seul vrai allié sur lequel l’Iran pouvait compter. Et depuis le début de la guerre civile en Syrie, l’Iran est devenu le principal soutien du régime de Damas, aussi bien en hommes qu’en moyens financiers. Certains chiffres relayés révèle que Téhéran aurait accordé en 2013 à la Syrie 4,6 milliards de dollars, soit 3,6 milliards sous forme de facilités de paiement — uniquement consacrés aux importations de pétrole — et un milliard pour financer des importations diverses[Henri Mamarbachi, « Comment fonctionne l’économie de guerre en Syrie », in Orient XXI, 8 octobre 2015, [en ligne], [http://orientxxi.info/magazine/comment-fonctionne-l-economie-de-guerre-en-syrie,1047.

]]. Le lâchage de Bachar Al-Assad par l’Iran semble donc improbable, à moins que les intérêts de Téhéran en soient maintenus. Mais la présence iranienne aux différents niveaux de pouvoirs, à Damas, semble plus inextricable que jamais, au point de voir régulièrement poindre des accusations de tutelle de Téhéran sur la Syrie Baathiste. La question suivante peut donc se poser : jusqu’où ira l’Iran dans cette crise où, malgré le fait que Bachar al Assad ne peut plus gagner, son puissant allié refusera de le laisser perdre ?

4.3. Au Yémen

L’unification du Yémen, en 1990, considérée comme une solution à la vague de guerres dans le sud du Golfe, n’aura cependant guère amené la pacification du pays[Saeed Albatati, « 25 ans après l’unification du Yémen, les séparatistes gagnent du terrain », in The Middle East Eye, Londres, 13 octobre 2015, [en ligne], [http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/25-ans-apr-s-l-unification-du-y-men-les-s-paratistes-gagnent-du-terrain-633901460.

]]. Différents conflits et tensions internes, dans le courant des années 2000, auront régulièrement opposé le régime mené par le Président Ali Abdallah Saleh et différentes milices. Parmi celles-ci, les milices houthies auront été à l’origine d’un conflit armé entre 2004 et 2010, au nom de la protection de leur identité[[Le courant zaïdite, dans le passé, a longtemps dominé le pouvoir politique.

]]. Présente dans le sud, le long de la frontière avec l’Arabie Saoudite, la communauté houthie se revendique d’une confession chiite zaïdite, face à une majorité sunnite.

À la suite du renversement du Président Saleh, dans le cadre des révoltes arabes, en 2011, le Yémen verra un nouveau pouvoir se mettre en place, avec Abd Rabbo Mansour Hadi. Contestant le pouvoir du Président Hadi, manipulés par l’ancien Président Saleh et les forces sécuritaires lui étant resté fidèles, le mouvement houthiste se lancera dans une offensive contre les principales villes du Sud. Parvenant à prendre Sana’a, la capitale, et se dirigeant vers Aden, ils parviennent, en 2014, à obliger le gouvernement en place à négocier un accord de paix ainsi qu’un partage du pouvoir. Cependant, affirmant vouloir défendre l’autorité légitime du Président Hadi, l’Arabie Saoudite se place à la tête d’une coalition arabe et frappe, dans la nuit du 25 au 26 mars 2015, plusieurs positions des milices houthistes. Les 9 mois de l’opération « Tempête décisive » auront laissé le pays exsangue.

De nombreuses allégations faisant part d’un soutien armé de l’Iran à la rébellion houthie sont rapportées depuis le début de la crise yéménite[Hélène Sallon, « L’Iran accusé d’ingérence au Yémen », in Le Monde, Paris, 10 avril 2015, [en ligne], [http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/04/10/les-etats-unis-denoncent-le-jeu-de-l-iran-au-yemen_4613633_3218.html.

]]. La réalité est cependant plus complexe. Bien que soutenu politiquement par l’Iran depuis plusieurs années, le mouvement houthi, qui a débuté dans les années 90, est très largement autonome. Déjà, les houthis se revendiquent zaydites, secte chiite indépendante du chiisme pratiqué en Iran[Joe Lauria, « Quelles sont les motivations réelles des Saoudiens au Yémen ? », in The Middle East Eye, Londres, 12 mai 2015, [en ligne], [http://www.middleeasteye.net/fr/opinions/quelles-sont-les-motivations-r-elles-des-saoudiens-au-y-men-1281211263.

]]. Ensuite, les houthis parviennent à approvisionner en armes sans devoir recourir à un soutien iranien. En effet, disposant de stocks issus des dépôts d’armes ouverts durant la guerre civile ou directement fourni par l’ancien président Saleh, les houthis bénéficient déjà de moyens armés confortables[Ainsi, en février 2015, le Pentagone a reconnu avoir perdu la trace de matériels militaires américains livrés au Yémen (Spencer Ackerman, « Pentagon loses track of weaponry sent to Yemen in recent years », in The Guardian, Londres, 3 février 2015, [en ligne], [http://www.theguardian.com/world/2015/feb/03/pentagon-loses-track-weapons-yemen; Gareth Porter, « Houthi arms bonanza came from Saleh, not Iran », in The Middle East Eye, Londres, 23 avril 2015, en ligne], [http://www.middleeasteye.net/columns/houthi-arms-bonanza-came-saleh-not-iran-1224808066).

]].

Le rôle trouble au Yémen serait peut-être plutôt à chercher du côté saoudien. Trois motivations fondent l’intervention saoudienne au Yémen : faire revenir Hadi au Yémen en tant que président, écraser le mouvement houthi et limiter l’influence iranienne dans le pays[Joe Lauria, « Quelles sont les motivations réelles des Saoudiens au Yémen ? », op. cit., [http://www.middleeasteye.net/fr/opinions/quelles-sont-les-motivations-r-elles-des-saoudiens-au-y-men-1281211263.

]]. Derrière ces motivations, d’autres se posent en filigrane, comme la nécessité, pour les saoudiens, de maintenir leur mainmise sur le Yémen. Différents signes au cours de la fin de 2014 et du début de 2015 ont témoigné de la possibilité, pour les yéménites, de parvenir à résoudre politiquement la crise en cours[Jeff Rathke, Daily Press Briefing, Washington D.C., US Department of State, 27 avril 2015, [en ligne], [http://www.state.gov/r/pa/prs/dpb/2015/04/241136.htm#YEMEN; Joe Lauria, « Former U.N. Envoy Says Yemen Political Deal was Close Before Saudi Airstrikes Began », in The Wall Street Journal, New York, 26 avril 2015, en ligne], [http://www.wsj.com/articles/former-u-n-envoy-says-yemen-political-deal-was-close-before-saudi-airstrikes-began-1430081791.

]]. Le danger de voir un Yémen s’engager sur la voie du dialogue et de la démocratie pourrait donc avoir motivé l’intervention saoudienne, à l’image de celle menée au Bahreïn, en mars 2011. Cette intervention avait étouffé la vague de contestation touchant le pouvoir en place[Georges Malbrunot, « Les forces saoudiennes pénètrent à Bahreïn », in Le Figaro, Paris, 14 mars 2011, [en ligne], [http://www.lefigaro.fr/international/2011/03/14/01003-20110314ARTFIG00623-les-forces-saoudiennes-penetrent-a-bahrein.php; Marc Pellas, « Bahreïn, la dictature « excusée », in Le Monde Diplomatique, Paris, février 2013, en ligne], [http://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/PELLAS/48721;

]]. À l’époque, à nouveau, Riyad avait invoqué la lutte contre l’expansion iranienne, afin de légitimer son action.

4.4. L’Arabie Saoudite : une guerre froide ?

Une cause importante de l’instabilité chronique dans laquelle se trouve la région est à trouver dans l’hostilité croissante entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Véritable Guerre Froide, cette situation voit s’opposer les deux rivaux sur des champs indirects, que ce soit militairement, diplomatiquement ou économiquement[Romain Brunet, « Derrière le chaos au Yémen, la rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite », in France24, Paris, 26 mars 2015, [en ligne], [http://www.france24.com/fr/20150324-yemen-enjeux-guerre-etat-islamique-iran-arabie-saoudite-houthis-hadi-sanaa.

]].

Les relations entre les deux États n’ont pourtant pas toujours été aussi difficiles. La période précédant la chute du Shah voyait Riyad et Téhéran s’entendre sans rivalité aucune. Les tensions entre sunnites et chiites, de même, ne faisaient guère l’objet de crises entre les deux pays. C’est l’arrivée au pouvoir de Khomeiny qui changea la donne. Prônant une exportation de la révolution islamique, celui-ci s’attira les foudres des saoudiens, craignant une révolte des minorités chiites présentes en Arabie. Et les relations continuèrent à se dégrader durant la guerre Iran-Irak. Finançant largement l’Irak, l’Arabie Saoudite se plaça résolument dans une attitude hostile au pouvoir iranien.

Les révoltes arabes ont relancé ces hostilités, accentuant leur dureté. C’est ainsi que chaque camp s’est lancé dans une série de violentes diatribes à l’égard du rival proclamé[Reuters, « Les dirigeants iraniens haussent le ton contre l’Arabie saoudite », in L’Orient Le Jour, Beyrouth, 14 mai 2015, [en ligne], [http://www.lorientlejour.com/article/925027/les-dirigeants-iraniens-haussent-le-ton-contre-larabie-saoudite.html.

]]. Ces tensions se sont matérialisées en conflits indirects, que ce soit en Syrie ou au Yémen, où chaque État soutient ses factions. La principale crainte de l’Arabie Saoudite est liée à son possible encerclement par des forces hostiles, et à la montée de la contestation interne, contre le pouvoir en place[Alain Gresh, « La grande peur de l’Arabie Saoudite », in Le Monde Diplomatique, Paris, mai 2014, [en ligne], [http://www.monde-diplomatique.fr/2014/05/GRESH/50384.

]]. De même, les intentions de l’Iran de s’inscrire comme leader chiite, voire islamique, créent de vives tensions avec Riyad, se considérant comme le seul protecteur du monde sunnite. Le retour en force dans le domaine énergétique d’un Iran dégagé des sanctions internationales amène tout autant l’Arabie Saoudite a jouer sur les cours du pétrole afin de fragiliser autant que possible la stabilité financière de son rival[Julien Vandeburie, Jonathan Piron, Le pétrole moins cher : opportunité ou menace ?, Namur, Etopia, 2015, [https://www.etopia.be/spip.php?article2980.

]]. Enfin, comme le souligne Bernard Hourcade, les deux pays s’affrontent aussi dans leur ouverture au monde : face à un conservatisme social et culturel incarné par l’Arabie Saoudite, l’Iran se place, paradoxalement, comme un pays dont le dynamisme et l’évolution dans la mondialisation sont plus présents[[Bernard Hourcade, Géopolitique de l’Iran, op. cit., p. 191.

]]. Les tensions sont donc vivaces et multiples.

Ces différentes situations inquiéteraient de nombreux observateurs, voyant dans cette montée en puissance l’émergence d’un nouvel Iran, dominant le Moyen-Orient à travers l’émergence d’un nouvel « empire perse[Ralph Peters, « The Iranian dream of a reborn Persian Empire », in The New York Post, New York, 1er février 2015, [en ligne], [http://nypost.com/2015/02/01/the-iranian-dream-of-a-reborn-persian-empire/.

]] ». Cependant, la force militaire de l’Iran pèse peu face à ses rivaux, puissamment armés, tels que l’Arabie Saoudite et Israël. Dépensant respectivement 46 et 15 milliards de dollars en 2012, en armements, ces pays écrasent Téhéran, qui arrivait à peine à 7 milliards de dollars[Ces chiffres sont probablement en-deçà de la réalité pour les années suivantes. Le SIPRI rapporte que les prix élevés du pétrole jusque dans la deuxième moitié de 2014, combinés à de nombreux conflits régionaux ont contribué à la hausse des dépenses militaires dans plusieurs des pays les plus dépensiers du Moyen-Orient (SIPRI Yearbook 2015, Sipri, Grip, Solna, Bruxelles, 2015, [en ligne], [http://www.sipri.org/yearbook/2015/downloadable-files/sipri-yearbook-2015-summary-in-french).

]]. En outre, le matériel iranien, datant essentiellement de la période pré-1979, est largement obsolète voire hors de combat. La politique d’expansion iranienne est donc plus opportuniste que réellement offensive, profitant des failles et des instabilités en cours pour tirer son épingle du jeu dans un Moyen-Orient en complète recomposition.

5. L’après Khamenei : comment se prépare la succession du guide ?

Autre enjeu important en 2016 : les deux scrutins électoraux de février. Ceux-ci se placent dans un contexte particulier, celui de la maladie du guide de la Révolution. Une image, forte, symbolise cette situation : le 8 septembre 2014, la presse iranienne relaie plusieurs photographies du Guide de la révolution, Ali Khamenei, homme fort du régime, sur son lit d’hôpital. Alors que les informations sur l’état de santé du chef de l’État iranien étaient traditionnellement gardées confidentielles, les iraniens ont pu découvrir, pour la première fois, leur leader dans une posture délicate. Et ouvrir de nombreuses rumeurs sur son état de santé réel, et donc les conséquences d’une possible disparition à brève échéance. Car cet événement a relancé la question de la succession de Khamenei à la tête de l’Iran. En place depuis 1989 et âgé de 76 ans, le leader iranien fait l’objet, depuis plusieurs années, d’interrogations concernant sa personne. Depuis 2007, les rumeurs, souvent non fondées, s’accumulent sur son état de santé. Or, depuis septembre 2014, la détérioration du Guide, âgé de 76 ans, semble se confirmer. Opéré de la prostate en septembre 2014, souffrant, d’après plusieurs observateurs, d’un cancer avancé[Sohrab Ahmari, « Iran’s Coming Leadership Crisis », in The Wall Street Journal, New York, 22 mars 2015, [en ligne], [http://www.wsj.com/articles/sohrab-ahmari-irans-coming-leadership-crisis-1427064072;Associated Press, « Iran’s supreme leader Ayatollah Ali Khamenei has prostate surgery », in The Guardian, Londres, 8 septembre 2014, en ligne], [http://www.theguardian.com/world/2014/sep/08/iran-supreme-leader-ayatollah-ali-khamenei-prostate-surgery; Philippe Gélie, « Iran : guerre de succession en vue au sommet de l’État », in Le Figaro, Paris, 27 février 2015, en ligne], [http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/27/01003-20150227ARTFIG00350-iran-vers-une-revolution-au-sommet.php; Reuters, « Iran: le cancer d’Ali Khamenei pose la question de sa succession », in Radio France International, Paris, 1er mars 2015, en ligne], [http://www.rfi.fr/moyen-orient/20150301-iran-le-cancer-ali-khamenei-pose-question-succession/.

]], le Guide de la révolution serait ainsi condamné à brève échéance.

Concentrant tous les pouvoirs, au cœur de différents cercles et lobbys puissants, le Guide de la révolution est la clef de voûte de la République islamique. Objet de tractations et de jeux en coulisses déjà à l’œuvre, sa succession représentera une étape fondamentale dans le devenir du régime iranien. 2016 sera une étape importante en ce sens. C’est en février que seront élus les nouveaux membres de l’Assemblée des experts. Et c’est précisément cette institution qui est chargée d’élire le faquih, à savoir le guide de la République Islamique.

Comprenant 82 religieux de haut rang, élus au suffrage universel, après approbation de leur candidature par le Conseil des gardiens, la Constitution donne un rôle important à cette assemblée. En réalité, les candidats à cette assemblée sont triés sur le volet par le redoutable Conseil des gardiens[Validant ou invalidant les candidatures, le Conseil des gardiens est le garant du sytème, le maslahat-e nezâm, comme l’a encore récemment affirmé le Guide Khamenei («دکتر روحانی در نشست مشترک هیات دولت و استانداران سراسر( کشور, », in Présidence de la République, Téhéran, 19 août 2015, [en ligne], [http://president.ir/fa/88757).

]], composé de douze membres dont une moitié est nommée par le Guide lui-même et l’autre par le Parlement, mais sur proposition du ministère de la justice, lequel répond directement au Guide. Indicateur des jeux d’influence au plus haut de l’État, l’assemblée est aujourd’hui aux mains des conservateurs, sous la présidence, depuis mars 2015, de l’ultra-conservateur Mohammad Yazdi[AFP, « Iran: un ultra-conservateur élu à la tête de l’Assemblée des experts », in L’Orient Le Jour, Beyrouth ,10 mars 2015, [en ligne], [http://www.lorientlejour.com/article/915070/iran-un-ultra-conservateur-elu-a-la-tete-de-lassemblee-des-experts.html.

]]. Cette récente désignation s’est d’ailleurs réalisée dans un climat tendu, où un consensus s’est réalisé entre ultras afin d’éviter une victoire d’un autre candidat, emblématique, Akbar Hachemi Rafsandjani. Personnage influent mais corrompu, ayant soutenu en 2009 le candidat réformateur Mir Hossein Moussavi, il fait partie des conservateurs modérés ouverts à une réforme du régime. Honni, en ce sens, par les proches du Guide et par les ultra-conservateurs, il reste pourtant un personnage central en Iran.

Un retour en arrière permet de mieux comprendre la manière dont la succession s’organise. Dans un premier temps désigné comme successeur de Khomeini, l’ayatollah Hossein Montazeri tombe en disgrâce, en 1988. Manifestant son opposition à la répression politique et culturelle menée par le Guide, il se voit écarté et supplanté par Ali Khamenei, alors Président de la République[Eurasia Research Center, Translation of Ayatollah Khomeini Letter Dismissing Montazeri, Téhéran, 22 novembre 1997, [en ligne], [http://eurasia-research.com/iran/montletr.htm.

]]. Cette promotion de Khamenei pose, cependant, directement problème. En effet, n’étant que hodjatoleslam (‘autorité sur l’islam’), un rang moyen dans le clergé chiite, et non ayatollah comme l’est Khomeiny, des doutes émergent quant à sa capacité d’exercer sa charge religieuse. Khomeini intervient alors pour faire modifier la Constitution, et permettre néanmoins son accession au pouvoir. Soutenu également par Akbar Hachemi Rafsandjani, influent conseiller proche de Khomeini[[Il sera, par la suite, Président de la République avant de continuer à occuper divers postes d’influence jusqu’à aujourd’hui.

]], Khamenei se voit propulser au pouvoir le 4 juin 1989, dans ce qui apparaît comme un marchandage entre lobbys puissants et influents[Bozorgmehr Sharafedin, « Who will be Iran’s next Supreme Leader? », in BBC News, Londres, 21 octobre 2014, [en ligne], [http://www.bbc.com/news/world-middle-east-29685856.

]].

Les tractations pour l’élection du prochain Guide auraient déjà commencé. Dans une rare déclaration, Rafsandjani a ainsi affirmé que l’Assemblée des experts « a mis en place un groupe chargé de lister une série de personnes qualifiées qui feraient l’objet d’un vote de la dite assemblée si un incident arrive[Bozorgmehr Sharafedin, « Iran’s possible next Supreme Leader being examined: Rafsanjani », in Reuters, Dubai, 13 décembre 2015, [en ligne], [http://uk.reuters.com/article/us-iran-election-leader-idUKKBN0TW0OV20151213.

]] ». Chose suprenante, Rafsandjani a également déclaré que l’Assemblée des Experts pourrait très bien désigner un « conseil de leaders », si nécessaire, à la place d’un seul Guide pour diriger le pays. Alors que les questionnements sur ces enjeux restent, en général, discrets voire secrets, une telle déclaration démontre de l’intensification des débats.

Les élections de février 2016 seront donc importantes. Élus pour 10 ans, les membres de cette nouvelle Assemblée seront vraisemblablement amenés à se prononcer sur le nom du prochain Guide
در گفتگو با شبکه العالم خاتمی: شاهرودی نامزد ریاست مجلس خبرگان است/هاشمی رفسنجانی تمایلی ندارد, », in Fars News Agency, Téhéran, en ligne], 28 octobre 2013,[http://www.farsnews.com/newstext.php?nn=13930805000855.

]]. Et la lutte électorale sera intense entre les deux factions qui en briguent le contrôle : les conservateurs et les modérés. Ce sont les premiers qui, depuis la décennie écoulée, ont obtenu le plus de sièges au sein de l’institution. Et, malgré les pressions du Président Rohani pour élargir les candidatures à des candidats modérés, il semble acquis que la majorité des futurs membres de l’Assemblée seront sélectionnés parmi les représentants du courant conservateur.

Plusieurs personnalités ont déjà fait part de leur candidature : l’actuel président Rohani[« President Rouhani seeks seat in Assembly of Experts », in Islamic Republic News Agency, Téhéran, 21 décembre 2015, [en ligne], [http://www.irna.ir/en/News/81887483/.

]], Rafsandjani[« Rafsanjani signs up list of candidacy for Experts Assembly election », in Islamic Republic News Agency, Téhéran, 21 décembre 2015, [en ligne], [http://www.irna.ir/en/News/81888694/.

]] et également le petit-fils de Khomeini, Hassan Khomeini[« Imam Khomeini grandson registers for Assembly elections », in Islamic Republic News Agency, Téhéran, 18 décembre 2015, [en ligne],[http://www.irna.ir/en/News/81883510/.

]]. Tous trois sont réputés faire partie d’un mouvement mouvement modéré pragmatique. Dans l’autre camp, actuellement en majorité, des figures telles que l’ayatollah Mahmoud Hashemi Shahroudi et l’actuel chef du pouvoir judiciaire, Sadegh Amoli Larijani, sont régulièrement citées comme successeurs potentiels au guide Khamenei. Cependant, les jeux et pressions en coulisses restant largement méconnus, un candidat de consensus pourrait très bien émerger à la dernière minute. En effet, les caractéristiques du prochain leader seront à trouver autour d’un personnage parvenant à rassurer les (nombreuses) factions au pouvoir et proche du pouvoir en Iran : non seulement les courants politiques ultra-conservateurs, conservateurs et modérés, mais aussi les groupes tels que les Pasdarans et les basijis.

L’élection de l’Assemblée des experts ne sera pas le seul moment électoral de 2016 en Iran. Le 26 février , les électeurs iraniens seront appelés à renouveler le Majlis, le parlement iranien. Composé de 290 députés, le Majlis est élu pour 4 ans. L’assemblée dispose de nombreux pouvoirs législatifs ainsi que d’une capacité de contrôle du gouvernement. Majoritairement composé de conservateurs, il a, à plusieurs reprises, contesté les choix et postures adoptées par le Gouvernement Rohani. Déjà, l’assemblée s’est opposée à la nomination de nombreux ministres. Ensuite, le bloc conservateur n’hésite pas à manœuvrer contre tout acte assimilé à un abandon des principes défendus par la République Islamique : c’est ainsi qu’en janvier 2015, plusieurs députés ultra-conservateurs ont signé une pétition demandant la condamnation du Ministre des Affaires Étrangères, Mohammad Javad Zarif, pour avoir marché pendant 15 minutes avec le Secrétaire d’État américain, John Kerry[« Iran’s foreign minister summoned to parliament over walk with Kerry », in Reuters, Dubai, 25 janvier 2015, [en ligne], [http://uk.reuters.com/article/uk-iran-nuclear-usa-idUKKBN0KY0LT20150125; قهر رییس جمهور از جلسه اخیر شورای عالی انقلاب فرهنگی/ واکنش روحانی، باعث تنش در جلسه شد + تصاویر جلسه شورا , in Entekhab, Téhéran, 25 janvier 2015, en ligne] [http://www.entekhab.ir/fa/news/186645.

]].

Ces élections seront importantes pour le Président Hassan Rohani, qui cherche à se doter d’une majorité parlementaire plus favorable à son administration. Actuellement, le Président s’appuie sur un bloc de 70 députés. Le reste lui est soit hostile soit vote selon d’autres mots d’ordre, au cas par cas. Le contrôle des candidatures par le Conseil des Gardiens est, cependant, un filtre important contre une arrivée massive de députés modérés. Le maintien d’une forte présence conservatrice après les élections de février serait donc un coup dur pour la présidence Rohani : les conservateurs n’hésiteraient guère à tenter de nouveau de paralyser les initiatives du gouvernement. Il est d’ailleurs à noter que l’audace du noyau ultra-conservateur pourra de nouveau aller, comme cela fut le cas par le passé, jusqu’à contourner voire ignorer les conseils adressés par le Guide, dont l’autorité est pourtant censée être incontestée.

6. Les défis lointains

D’autres enjeux importants pèseront sur l’Iran, à moyen et à long terme. Ces enjeux pourraient faire l’objet d’une analyse propre. Leur traitement, dans ce cadre, sera donc bref.

Les changements survenant au sein de la société pèseront lourd sur le devenir du pays. L’éducation politique réalisée en Iran depuis l’élection de Khatami en 1997 a favorisé, à travers les nombreux scrutins réalisés depuis, grâce également au renouveau de la presse et à la diffusion des idées, l’éclosion d’une nouvelle génération d’Iraniens engagés dans le débat public, et devenant des acteurs politiques de leur société. N’entrant plus dans les modèles idéologiques et politiques construits par la Révolution, ces nouveaux acteurs sociaux ont opéré une reconstruction identitaire du pays, marquée par un respect pour les fondements particuliers de la République Islamique, mais revendiquant une plus large ouverture sur le monde et la société mondialisée. Ces situations sont renforcées par l’émergence, en Iran, de la notion d’individu, dont les caractères et les stratégies rompent avec les règles collectives[[Bernard Hourcade, Iran. Nouvelle identités d’une république, Paris, La Documentation française, 2004, p. 191.

]]. Alors que la Révolution de 1979 a été largement dominée par les idéologies collectivistes ou communautaristes, faisant passer par dessus tout l’intérêt de l’État, de la société, de la religion ou de l’indépendance nationale, les mouvements et revendications populaires se basent aujourd’hui, en Iran, autour des valeurs liées à la liberté individuelle, à la liberté de conscience, à la liberté de se déplacer, de vivre seul, … bref d’exister en tant que personne.

La jeunesse de l’Iran se pose ainsi en ligne de fracture pour le régime. Alors que 1979 voyait une révolution menée par des leaders « jeunes », et rassemblant une génération d’hommes ayant, en majorité, dans la trentaine, la jeunesse de l’Iran de 2015 est laissée sur le côté du pouvoir, et vit le divorce existant entre l’État et la société[[Frédéric Tellier, L’heure de l’Iran, Paris, Ellipses, 2005, p. 57-58.

]]. Cette jeunesse, pourtant, occupe une place politique dans la société iranienne. Contrairement à une idée parfois répandue, les jeunes ne sont pas plus nombreux en Iran que dans les pays voisins, mais ont une identité politique tout à fait originale, qui en fait des acteurs nouveaux, et encore imprévisibles, de la vie sociale et politique du pays[[Bernard Hourcade, Iran. Nouvelles identités d’une république, op. cit., p. 180.

]]. N’ayant jamais connu le régime du Shah, et donc moins sensibles au discours révolutionnaire porté sur l’idée de libération, ces jeunes voient dans le régime islamique le nouvel oppresseur. Renforcés par la mondialisation, et les outils de communications que sont Internet et la télévision, les « fils et filles de Khomeini » représentent la nouvelle dynamique contre laquelle les « fils du Shah », qui ont suivi Khomeini, et qui ont atteint la cinquantaine, tentent de s’opposer. La politisation des jeunes, cependant, est limitée par la répression, mais surtout par la crainte de tous les leaders, y compris réformateurs, de se voir débordés par une population qui n’entre plus dans les modèles idéologiques et politiques construits par la Révolution.

La question environnementale, ensuite, est, elle, un véritable danger pour l’avenir du pays. Dans un document récent, Isa Kalantari, l’un des conseillers du président Rohani, a mis en garde les autorités politiques contre la bombe à retardement que représentent les dommages environnementaux. La surconsommation d’eau, tout d’abord, qui a explosé depuis 1979, risque de faire plonger l’Iran dans une grave situation de pénurie, entraînant de larges déplacements de population[Arash Karami, « Iran official warns water crisis could lead to mass migration », in Al Monitor, 28 avril 2015, [en ligne], [http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2015/04/iran-water-crisis-mass-migration.html.

]]. Les nappes phréatiques sont en voie d’épuisement tandis que le réchauffement climatique contribue à assécher de nombreux lacs ainsi qu’à diminuer les précipitations annuelles[ابتکار: وضعیت منابع آبی 14 شهر کشور نگران کننده است, in Islamic Republic News Agency, Téhéran, 18 février 2015, [en ligne] [http://www.irna.ir/fa/News/81511052/.

]]. Cet assèchement des lacs est également dû à une politique de travaux publics hasardeuse, voyant barrages et puits non autorisés complètement bouleverser l’écosystème. La désertification gagne ainsi de nombreuses régions, menaçant les agricultures locales et entraînant des déplacements de populations. La pollution atmosphérique est également pointée du doigt, spécialement à Téhéran. Ville continuellement embouteillée, notamment par des véhicules polluants, Téhéran connaît des pics de pollution dont les plus récents ont entraîné la fermeture des écoles en décembre 2015. En 2013, d’après Rahmatollah Hafezi, membre du Conseil islamique de la municipalité de Téhéran, la pollution des villes aurait tué à peu près 3 000 personnes. Près de 5 000 personnes auraient été hospitalisées pour des problèmes respiratoires et 3 000 autres pour des problèmes cardiaques directement liés à la pollution[Alireza Manafzadeh, « Catastrophe environnementale annoncée en Iran », in RFI, Paris, 3 janvier 2014, [en ligne], [http://www.rfi.fr/mfi/20140103-iran-teheran-environnement-climat-pollution-deforstation-lacs/.

]].

7. Conclusion : le difficile exercice de penser l’Iran

Il est toujours difficile de penser et de donner des conclusions claires sur le devenir de l’Iran. La complexité non seulement de ses structures mais également de sa société donnent au pays un caractère pluridimensionnel difficilement accessible, pouvant être résumé par une lutte opposant « tradition » et « modernité ». Le siècle écoulé de l’histoire iranienne montre que l’Iran a souvent été tourné vers un mélange de ces deux concepts, dans lesquels on retrouve la combinaison de trois cultures, à la fois combinatoires et inconciliables: la civilisation perse, l’islam et les techniques et modes de pensée modernes, d’inspiration européennes[[Ramin Jahanbegloo, Iran. Between tradition and modernity, Oxford, Lexington Books, 2004, p. 3..

]]. Ce débat entre « tradition » et « modernité », est à la fois un moteur mais également un obstacle pour l’Iran, par l’opposition que ces deux paradigmes entraînent l’un vis-à-vis de l’autre[[Bernard Hourcade, Iran. Nouvelles identités d’une république, Paris, La Documentation française, 2004, p. 7.

]]. À ces oppositions se sont joints de nouveaux acteurs politiques, à savoir les jeunes, les femmes et les intellectuels. L’éducation généralisée a ainsi bouleversé les rapports sociaux traditionnels, et donné à ces nouvelles composantes une identité politique tout à fait originale. De cette nouvelle identité est née un embryon de société civile qui, prenant conscience du processus de mondialisation en cours, a cherché à en appréhender les fondements, et à les inculquer dans la société iranienne

L’histoire de l’Iran nous montre que les Iraniens ont, tout au long du XXème siècle, continuellement cherché à trouver le régime politique qui parvenait le mieux à intégrer leurs caractéristiques identitaires. La révolution constitutionnelle de 1906, le soulèvement contre l’autoritarisme du Shah en 1925 et 1979, le mouvement contre les ingérences étrangères en 1953, et contre les oppressions intérieures en 1999 et 2009 sont autant de signes allant dans ce sens. La difficulté de réalisation de ces objectifs vient cependant des caractéristiques duales de l’Iran, cherchant à valider les règles démocratiques au regard de l’islam, tout en veillant à s’ouvrir aux influences étrangères, sans tomber dans la dépendance envers les pays occidentaux. C’est ce constant check and balances qui explique l’indécision institutionnelle qui caractérise l’Iran, depuis près d’un siècle. L’année 2016 verra se succéder plusieurs rendez-vous importants qui définiront l’avenir du pays. Aussi bien au niveau politique qu’économique et international, les décisions prises, aux différents niveaux, seront à suivre. Mais comme l’ont encore rappelé différents iraniens rencontrés dernièrement, aussi bien issu de la diaspora en exil que vivant toujours au pays, c’est aux iraniens, et à eux seuls, qu’appartiendra la capacité de définir l’avenir du pays. C’est également cette réflexion qui doit inciter à la prise en considération que seul l’Iran a en main ses potentialités de changement.

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