Il y a six ans, l’échec de la COP de Copenhague avait offert un terrain plus que favorable au déchaînement des climato-sceptiques qui s’en étaient donné à cœur joie : pseudo-scandale du « climategate » dans le monde anglo-saxon et déferlement médiatique de Claude Allègre, en francophonie, avec, disons-le, une certaine complaisance des media à leur égard. Doit-on s’attendre, après la semi-victoire que constitue le Sommet du Climat à Paris (voir l’analyse Etopia d’Arnaud Collignon à ce sujet) à un « revival » des climato-sceptiques relativement discrets ces derniers temps ?

Ce ne devrait pas, même si l’accord de Paris peut laisser sur sa faim – en deux mots, tout reste à faire – quand on voit que 196 pays, par la conclusion de cet accord, ont de facto reconnu l’existence du réchauffement climatique et le rôle central des activités humaines dans l’origine de celui-ci. Par ailleurs, deux investigations ont démontré combien les climato-sceptiques étaient mus par de basses motivations. La première a permis de montrer que les chercheurs internes d’Exxon-Mobil avaient conclu à l’origine humaine du réchauffement climatique dans les années 80 avant que l’entreprise taise complètement ces conclusions et finance à tour de bras des chercheurs climato-sceptiques. Au cours de la deuxième semaine de la COP, Greenpeace , se faisant passer pour un financeur climato-sceptique, prêt à payer pour des recherches, a posé la question à certains de ceux-ci s’ils étaient prêts à ne pas révéler leurs sources de financement pour écrire des papiers contestant l’origine humaine du changement climatique : la plupart d’entre eux ont précisé leurs tarifs et affirmé que non, ils ne révéleraient pas l’origine de leurs fonds…

Avec tous ces éléments, on pourrait imaginer que le débat soit clos… Pour autant, ce serait un peu vite oublier que les « climato-sceptiques » – qui se sont renommés « climato-réalistes » (sic) depuis – n’ont pas disparu du paysage. Sans s’arrêter sur le livre lamentable de l’ex-Mr météo de France Télévisions Philippe Verdier, Il suffit de traverser l’Atlantique où un sondage d’il y a quelques années montrait que plus de 50 % des électeurs républicains ne « croyaient » pas au changement climatique. Et certains de leurs représentants au Sénat, en janvier dernier, bien que reconnaissant que le changement climatique n’était pas un complot ou une blague, n’ont pas laissé passer une motion qui incombait à l’homme l’origine de celui-ci. Quant au champion actuel des Républicains, Donald Trump, remonter son fil Twitter permet de voir que, manifestement, le consensus de la Communauté scientifique sur le sujet n’est pas passé par lui : « le réchauffement climatique est un coup des chinois pour saper notre économie » ou encore « il gèle à NYC, on aurait bien besoin d’un bon réchauffement climatique »!…

Ce reniement de la science dominante est une constante chez les climato-sceptiques, dont la victime expiatoire est souvent le GIEC, le Groupement Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du Climat. Ses adversaires voient derrière le GIEC un complot, un lobby tout puissant, un organe politique ou encore un groupement de chercheurs qui monopolisent les financements de recherche sur la pseudo-crise climatique qu’ils ont eux-mêmes inventée….

Comme déjà expliqué dans une autre note qui décrit les acteurs des négociations sur le changement climatique, c’est Maggie Thatcher qui a suscité la création du GIEC par quelques discours à la fin des années 80 qui alarmaient la Communauté internationale sur les risques liés au changement climatique.

Contrairement à ce qu’on pense et à ce qu’en disent les climato-sceptiques, le GIEC est une toute petite organisation sans grands moyens censé produire un triple rapport tous les 6 ans environs ( 1990, 1995, 2001,2007 et 2013) couvrant trois questions : y a-t-il réchauffement climatique et est-il d’origine humaine ? Quels sont les impacts à attendre d’un tel phénomène ? Quelles solutions pour y faire face ? Pour publier ce rapport, le GIEC n’a pas en interne d’immenses équipes de scientifiques et ne se livrent pas lui-même à des recherches ou mesures. Il a pour mission de faire l’état de la science du réchauffement climatique à partir de contributions volontaires de scientifiques du monde entier lors d’assemblées générales où les pays membres de l’ONU sont politiquement représentés et décisionnels (une volonté à l’époque de Reagan et Thatcher pour éviter que le GIEC soit à la merci d’un ramassis d’écolos..). Dommage pour les climato-sceptiques, il n’y a donc pas une méga-structure cachée dans un gratte-ciel aux vitre teintées payée par le lobby des vélos pliables ou des flocons de laine de roche….

Le GIEC s’appuie donc sur l’ensemble d’une communauté scientifique très large et utilise les critères qui sont ceux de « ce qui fait science » : sans entrer dans de l’épistémologie poussée, ce qui peut être réfuté par le réel mais ne l’est pas, comme dirait Popper peut être considéré comme une vérité scientifique. En l’occurrence, l’hypothèse du facteur humain à la base du changement climatique a été modélisée et ces modèles ont été confrontés avec succès au réel. Une des techniques de la Communauté scientifique pour permettre le processus de validation de scientificité est la publication dans des revues ad hoc après que la production du scientifique aie été revue par des pairs (« peer review »). C’est cette production scientifique que le GIEC évalue pour l’introduire dans ses rapports.

A la suite de Copenhague, la presse anglo-saxonne s’est déchaînée sur le GIEC, après avoir relevé des erreurs – principalement dans la partie sur l’impact estimé du réchauffement climatique-, dont une provenant d’un rapport du WWF, l’ONG environnementaliste bien connue , se référant lui-même à un autre rapport scientifique non « peer-reviewed ». Le Président du GIEC de l’époque – il faut savoir que c’est un boulot bénévole, seuls certains moyens de soutien logistique peuvent être attribués par les gouvernements nationaux – était, pour gagner sa vie, directeur d’un centre de recherche qui recevait des financements qui auraient pu faire croire à des conflits d’intérêt , ce que la presse a exploité pour dénoncer la légèreté du GIEC et son catastrophisme évident. Par contre, quand le GIEC a fait preuve de trop de prudence, la presse est restée muette : c’est ce qu’a démontré l’océanologue allemand Stefan Rahmstorf du Potsdam Institute qui, « en pleine chasse au GIEC » comme le rapporte Stéphane Foucart dans son livre « L’avenir du Climat : enquête sur les climato-sceptiques », (Folio actuel, octobre 2015), a écrit un papier selon lequel le GIEC sous-estimait la montée des océans en 2100, en ne tenant pas compte de la hausse de température la plus élevée et la plus probable selon les modèles, en arrêtant les calculs en 2095 et se basant sur des modèles qui ont systématiquement depuis 50 ans sous-estimé la hausse des océans et ne tenant pas compte de certains comportements prévisibles des calottes glaciaires. Cela a-t-il déclenché un « oceanlevelgate »  (Foucart p.240) dans les media, alors que ce positionnement du GIEC avait fait l’objet d’un vif débat entre scientifiques qui voyaient dans cet optimisme répété une cause de discrédit pour l’organisation et l’illustration de son trop grand conservatisme? Pas le moins du monde….

Il n’empêche que pour son rapport suivant, le GIEC a encore renforcé ses procédures pour éviter toute nouvelle polémique. Comme l’explique à Sylvestre Huet le 23 septembre 2013 pour son blog sciences2 le chercheur français Philippe Ciais, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique et spécialiste du cycle du carbone, qui, avec l’océanographe Christopher Sabine (Université de Seattle) a dirigé la rédaction du chapitre 6 du rapport du Groupe-1 du Giec (celui sur les observations du changement climatique) , les procédures sont strictes et laborieuses : à plusieurs chercheurs (désignés par les gouvernements) revient la tâche de mener une revue des connaissances sur la question (en l’occurrence, ici des cycles biogéochimiques du carbone) et d’en soumettre un premier draft pour commentaires de tout chercheur intéressé à le faire. Le deux!ème draft qui suit est lui soumis au commentaire des gouvernements avant le résumé final et non sans avoir répondu aux milliers de commentaires pour les deux premières versions de cette revue, sous le contrôle de « review editors ». Le tout en totale transparence car tous les commentaires et les réponses apportées sont publiées sur un site, tandis que la littérature examinée ne peut être qu’une littérature issue de revues à comité de lecture (« peer-reviewed »)

Est-il besoin de préciser que les travaux du GIEC concluent que non, le réchauffement climatique n’est malheureusement pas une chimère et que oui, à plus de 95 % (pourcentage qui augmente au fil des rapports), force est de constater que l’activité humaine y est pour quelque chose.

Et que les arguments des climato-sceptiques – le réchauffement du climat n’est pas dû à la concentration de CO2 puisque dans les années 50, on anticipait un refroidissement du climat, les mesures de température de notre globe sont biaisés par les instruments utilisés, la température a arrêté d’augmenter depuis une dizaine d’années, l’activité magnétique du soleil est en cause, le réchauffement précède la hausse de concentration de carbone donc il n’y a pas d’effet de causalité, le volume de CO2 est tellement marginal dans l’atmosphère que son rôle est en fait négligeable, les modèles du GIEC se trompent,….-ont tous été démontés un à un par la littérature scientifique (voir un résumé des réponses à toutes ces arguments dans Foucart (op.cit).

A ce stade, on pourrait se demander comment il se fait, face à autant d’évidences, il reste des climato-sceptiques. On peut avancer au moins trois raisons pour cela.

La première nous est commune à tous – ceux qui y « croient », mais n’agissent pas en conséquence et ceux qui n’y croient pas – et est liée à notre statut d’humain dont les capacités cognitives, sont limitées, selon les spécialistes de cette discipline nouvelle en psychologie qui consiste à étudier les effets de la communication en matière de changement climatique. Comme l’explique Annamaria LAMMEL, Membre du GIEC, anthropologue et psychologue cognitive à l’Université Paris 8 dans la Note #5 de nos collègues de la Fondation d’Écologie Politique intitulée «  Changement climatique: de la perception à l’action », nous les humains avons une vraie limitation cognitive à appréhender un phénomène systémique comme le changement climatique, sommes endormis par une forme d’optimisme qui lnous empêche de prendre toute la dimension du risque et nous contentons de ne pas vouloir voir une évolution de fond, mais de simples variations météorologiques.

Sans doute sont-ils aussi encouragés – c’est la deuxième raison – par le système de représentation du monde que leurs croyances religieuses ou idéologiques ont induit : il est d’ailleurs singulier de voir la diversité de celles-ci. L’anthropocentrisme des religions du Livre a de facto instrumentalisé la nature au service de l’homme sans jamais considérer les possibles limites ou rétro-actions de celle-ci. L’encyclique papale « Laudato Si’ » apparaît comme une rupture en ce sens, tandis que diverses initiatives musulmanes vont dans la même direction. Mais il n’y a pas que le facteur religieux qui intervient : on constate, en effet, du côté de certains rationalistes purs et durs, qu’ il y a une réticence à considérer l’écologie comme une vraie science d’une part et,d’autre part, que si la climatologie l’est, elle n’ouvre pas, au contraire des autres sciences, les perspectives de l’amélioration de la condition humaine et du progrès, ce qui de facto et à leurs yeux la disqualifie.

A la frontière entre l’idéologie et de l’intérêt direct, qui est la troisième raison, on a vu, en Belgique en particulier, des néo-libéraux remettre en cause le réchauffement climatique car ils anticipent le fait que les mesures nécessaires pour le contrer entraîneront de la régulation supplémentaire des marchés, ce qui ne peut que leur déplaire. Quant à avoir un intérêt direct à nier le réchauffement climatique, c’est aussi bien celui des industries fossiles, à la manière d’Exxon Mobil illustrée plus haut, que celui des scientifiques en perte de vitesse et en mal de reconnaissance, comme l’analysent très bien les historiens des sciences Naomi Oreskes et Erik Conway dans « Merchants of doubt » de 2010.

A ces raisons sous-jacentes, faut-il aussi ajouter le rôle amplificateur des media. The Guardian s’est mouillé ces derniers mois à fond dans la campagne « divest » de 350.org : assez original pour être remarqué, c’est surtout la motivation de cet engagement qui mérite ici l’intérêt. C’est le rédacteur en chef du Guardian, proche de la retraite, qui, faisant le bilan de sa carrière, est arrivé à la conclusion que son seul grand échec journalistique avait été son incapacité à traiter journalistiquement le sujet du réchauffement climatique. Ce qu’il analysait comme étant dû, entre autres, à la complexité de celui-ci et sa difficulté à être incarné concrètement…En conséquence, il est plus facile pour les media de mettre en avant une polémique avec des climato-sceptiques que d’aller dans le détail de l’accord de la COP qui est d’une complexité particulièrement rébarbative. Oreskes and Conway, cités plus haut ont démontré d’ailleurs que la présence médiatique des climato-sceptiques était juste inversement proportionnelle à leur production scientifique reconnue sur le sujet.

Et, trop souvent, l’argument pro-domo des media a été de mettre en avant leur honneur et leur éthique de donner la parole à tout le monde, y compris aux opinions minoritaires. C’est évidemment là qu’ils se trompent. L’origine humaine ou non du réchauffement climatique est une question de nature scientifique strictement comparable a celle, par exemple., de la question de savoir si le cancer du sein est causé par – au hasard et en toute reconnaissance  – un déficit de « testostérone ++ » ou un trop-plein d’ »enzyme xbc ». Régler cette question-là ne se fait pas sur un plateau TV, mais bien dans des congres ou revues scientifiques. De plus, la question de savoir si les testostérones ou l’enzyme sont a la base du cancer ne se règle pas entre une orthopédiste et un dermatologue, mais bien entre oncologues.

C’est la le piège tendu par les climato-sceptiques dans lesquels ils forcent les media de tomber: d’une part, ils font de la question de l’origine du réchauffement

climatique un debat de societe (qui, du coup, justifie le respect des opinions minoritaires),  alors qu’il s’agit d’un debat purement scientifique et alors qu’ils sont chimistes ou philosophes, se positionnent en expert alors qu’ils n’ont aucune publication scientifiquement validee en climatologie (ni en cancer du sein).

Un débat entre climatologues reconnus pourrait évidemment être médiatisé (sur le rôle du rayonnement solaire, sur le rôle des océans dans le ralentissement observé, sur le rôle des nuages,…) mais, vu sa technicité, risque d’être bien moins attrayant pour le grand public…. En Belgique francophone, le mouvement environnementaliste a d’ailleurs refusé tout débat médiatique avec des climato-sceptiques, pour décourager les media de le faire et estimant par ailleurs cela une perte de temps par rapport aux mesures à implémenter pour faire face au réchauffement climatique : celles,-ci peuvent être de nature politique et donc à débattre dans les média. Certains media ont d’ailleurs décidé d’eux-mêmes de ne plus donner la parole à des climato-sceptiques, mais ils restent fort minoritaires.

Dans ce contexte post COP 21 plutôt réussie, où des investigations ont montré les turpitudes des climato-sceptiques, où les procédures du GIEC ont été renforcées et les derniers rapports n’ont prêté le flanc à aucune critique, où certains leaders religieux ont pris position, où certains media ont décidé de ne plus inviter les climato-sceptiques, il y a encore un élément – secondaire – qui joue contre eux : le nouveau président du GIEC, Monsieur Lee, l ‘économiste coréen qui s’est fait élire il y a deux mois, a été, dans un lointain passé, employé d’Exxon Mobil et de Hyundai : si cela jette le trouble sur ses convictions profondes, au moins ne pourrait-on pas lui faire le reproche d’être un « ayatollah vert » comme certains qualifiaient son prédécesseur.

Dans ce contexte donc, il sera intéressant de voir si les climato-sceptiques vont refaire du bruit et quelle place le sujet du changement climatique prendra dans le débat électoral américain, en particulier si l’on se retrouve avec un face-à-face Clinton-Trump…

En revanche, sans que cela ne soit étayé par aucune observation scientifique – libre au lecteur d’exprimer son scepticisme !!! -, il nous semble que certains climato-sceptiques ont suivi le parcours suivant : d’abord nier tout réchauffement climatique ; ensuite le reconnaître mais nier toute origine humaine ; enfin ou en parallèle, s’engouffrer dans les options technologiques dites de geo-engineering (voir ma note sur les acteurs autour de la COP), c’est-à-dire qui sont susceptibles de bouleverser les équilibres de la planète, comme la projection de certaines particules dans l’atmosphère pour annihiler l’effet des gaz à effet de serre. La mention dans l’Accord de Paris aux puits de carbone d’origine naturelle ou technique pour neutraliser le CO2 est une porte ouverte à ce genre de développements qui seront défendus de manière aussi virulente par les actuels climato-sceptiques que le fut leur critique du GIEC.. Aussi sûr que le réchauffement climatique !

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