Depuis l’été 2014, les prix du pétrole et de ses dérivés (carburants et combustibles mais aussi une bonne partie des matières premières) sont orientés à la baisse. Cette nouvelle, a priori, apparaît comme positive. Diminuant le poids des factures énergétiques, tant des entreprises que des ménages, elle soutiendrait des économies occidentales en difficultés. Cependant, en y regardant de plus près, cette situation apparaît problématique, à de nombreux égards. Et ces risques ne sont pas qu’économiques mais aussi environnementaux et géopolitiques.

Déjà, une telle baisse n’a d’effets que si elle est prolongée. Est-ce seulement possible ? Les analyses sur le sujet indiquent que ces base prix seront la norme pendant les 2-3 prochaines années. Mais les prévisions du passé ne se sont, à part quelques exceptions, jamais réalisées. Néanmoins, une chose est sûre : de bas prix n’attirent pas les investissements. Les majors ont d’ailleurs décidé de baisser ceux s’inscrivant dans le cadre de prospections. Vu la durée nécessaire pour mettre un puits en exploitation (environ 7 ans), si les événements actuels persistent, fortes chances existent pour que les impacts sur le moyen terme soient importants.

Ensuite, notre dépendance au pétrole a plusieurs conséquences :

Tout d’abord, la baisse des prix a comme conséquence une reprise de la consommation et des émissions de gaz à effet de serre (GES). Dans l’hypothèse d’une baisse permanente de 20 dollars le baril, la production de CO2 supplémentaire atteindrait près de 1 % du total émis en 2013[Collectif, Pétrole: du carbone pour la croissance, Paris, Revue de l’OFSCE, 2015, p. 169-204, [en ligne], [https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2015-2-page-169.htm

]].

Ensuite, la baisse du coût du pétrole nous détourne des investissements nécessaires à la transition énergétique. En effet, le faible prix du pétrole réduit l’attractivité des modes de transport et de production pauvres en carbone et pourrait ralentir la transition énergétique et la nécessaire réduction des émissions de GES.

Enfin, la baisse des prix du pétrole renforce la dépendance de notre politique étrangère à ce dernier. Les prix bas actuels sont issus d’un concurrence exacerbé entre gros producteurs à bas prix (comme l’Arabie Saoudite). La politique de cette dernière en matière de prix conditionne une grande partie de notre croissance économique. Nous en sommes donc dépendant. Par ailleurs, l’accord nucléaire iranien ouvre des perspectives quant à la reprise des investissements à la fois dans le pétrole et le gaz iranien, Situation pouvant servir d’alternative au gaz russe. Toutefois, ne passerait-on pas de la peste au choléra ?

1. Les causes d’un prix bas : un contexte géopolitique instable.

Analysons, dans un premier temps, les raisons qui entraînent le prix du pétrole à la baisse. Jusqu’au printemps 2014, les pays de l’OPEP (en particulier l’Arabie Saoudite) maximisaient leur rente à court terme, en maintenant un prix élevé du pétrole (par la réduction de leur production) et en bénéficiant de l’écart très important entre le prix et leur coût de production du pétrole. Mais depuis l’été 2014, un nouveau comportement de l’OPEP est apparu, consistant à préserver sa rente à long terme en empêchant la production des pétroles non conventionnels ou (pétroles dits de schistes aux États-Unis ou dans d’autres pays, sables bitumineux au Canada, …)Arctique… ou extrêmes ( Arctique, offshore profond, …) Ainsi, si les pays de l’OPEP veulent empêcher le développement des pétroles non-conventionnels, ils doivent maintenir durablement une production élevée pour obtenir des prix faibles du pétrole (autour de 65$ le baril).

Cette politique s’insère dans une guerre froide qui oppose l’Arabie Saoudite à l’Iran, et qui voit le premier utiliser les ressources pétrolières comme arme contre le second[[Matthieu Auzanneau, Or noir, la grande histoire du pétrole, Paris, La Découverte, 2015.

]]. Pour mieux comprendre cette question, il est utile, dans un premier temps, de rappeler l’importance énergétique que représente l’Iran. Représentant 9,3% des ressources en pétrole[[4ème rang mondial

]] et 18,2% des ressources en gaz naturel[[4ème producteur mondial

]], l’Iran fait figure de géant énergétique. Toutefois, la Révolution islamique, suivie de la guerre Iran-Irak et des divers embargos et sanctions internationales ont grandement réduit les capacités d’extractions du pays. Alors que Téhéran produisait 303 millions de tonnes de pétrole en 1974, année faste, le pays atteint à peine les 166 millions de tonnes en 2013. La chute des cours vient dès lors frapper un pays déjà durement touché par une réduction de ses exportations de pétrole : de 118 milliards de dollars au cours de l’année fiscale 2011/2012, les recettes pétrolières ont chuté à 63 milliards en 2012/2013, et 56 milliards en 2013/2014[[Aurélien Saussay, Antoine Guillou, Charles Boissel, Baisse des prix du pétrole :aubaine économique, défi écologique, Terra Nova – Note – 1/38, Paris, Terra Nova, 2015.

]]. De plus, les différentes sanctions internationales adoptées dans le cadre de la crise nucléaire, auront affecté le secteur pétrolier tant par l’interdiction des importations de pétrole iranien que par les restrictions sur l’accès aux marchés financiers imposées aux entreprises iraniennes. En raison de leur âge et de leur configuration géologique, les gisements iraniens souffrent d’un taux de déclin important de leur production (estimé entre 8 % et 11 % par an), et nécessitent donc un flux d’investissements continu pour maintenir la production. Les sanctions ont tari ces investissements, accentuant la chute de la production iranienne, tombée de 4,2 millions de barils par jour en 2011 à 3,2 millions de barils par jour en 2013. La chute des cours du pétrole vient donc toucher une industrie pétrolière et une économie déjà fragilisées.

Certains éléments d’adaptation ont été adoptés par le pouvoir iranien. Primo, le gouvernement iranien a entrepris de ramener son budget 2015 en ligne avec la nouvelle donne pétrolière – il est peut-être toutefois resté trop optimiste, tablant sur un cours moyen du Brent de 72 $.

Deuxio, l’accord sur le nucléaire iranien, conclu le 14 juillet 2015 entre l’Iran et le groupe de pays dit « 5+1 » (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) change la donne. La levée progressive des sanctions affectant l’économie iranienne va permettre à l’Iran d’être en capacité d’augmenter ses exportations de l’ordre d’1 million de barils par jour, accroissant dès lors l’excédent d’offre au niveau mondial et participant à maintenir les cours du pétrole bas. Compte tenu des incertitudes pesant sur la signature d’un accord définitif, les capacités de production iraniennes et le temps nécessaire à la reprise des exportations (celles-ci reviendraient à la normale au plus tôt en 2016), la baisse des prix du pétrole constatée à la signature de l’accord est cependant restée mesurée.

Pétrole de schistes : une bulle obligataire ? (Terra Nova, 2015)

Le déclin des gisements mondiaux de pétrole conventionnel a conduit les entreprises du secteur de l’énergie à se tourner vers des sources de pétrole plus coûteuses à développer et à produire.

Cette dynamique a mené à une forte augmentation de l’investissement des compagnies pétrolières et gazières, jusqu’à atteindre 700 milliards de dollars par an sur la période 2012-2014. Ce montant est supérieur de plus de 110 milliards aux revenus annuels de ces mêmes entreprises en moyenne sur la période : le différentiel a été financé par un large recours à la dette obligataire. L’expansion rapide de la production de pétrole de schistes aux États-Unis, très intensive en capital en raison de la courte durée de vie des puits et donc du rythme de forage élevé nécessaire à l’accroissement de la production, est la principale cause de cette augmentation des investissements. Par ailleurs, l’exploitation des gisements de pétrole de schistes est principalement le fait de producteurs américains dits indépendants, moins capitalisés que les majors du pétrole, et donc contraints d’avoir recours à la dette obligataire pour financer leurs opérations – pour un montant total de 285 milliards de dollars au 1er mars 2015, dont 119 milliards d’obligations risquées à haut rendement (« high-yield »). Or ces indépendants sont pour la plupart focalisés sur leur activité extractive, et sont donc particulièrement vulnérables à la volatilité des cours internationaux.

De fait, l’impact de la chute du prix du baril est particulièrement important sur le segment des obligations à haut rendement émises par les producteurs de pétrole de schistes indépendants : la part de « junk bonds », obligations au bord du défaut, y est passée de 1,6 % en mars 2014 à 42% en mars 2015 – soit 50 milliards de dollars. En l’absence d’un redressement des cours du pétrole, on pourrait donc assister dans les mois qui viennent à une vague de défauts au sein du segment des obligations à haut rendement du marché obligataire américain, ce qui tarirait une source de financement jusqu’ici essentielle au développement du pétrole de schistes américain.

Ce retour iranien sur le marché du pétrole n’est cependant guère bien perçu par les autres États membres de l’OPEP, et plus particulièrement par l’Arabie Saoudite. Rivaux dans toute une série de domaines, les deux États s’opposent dans leur volonté d’hégémonie au Moyen-Orient. Riyad, souhaitant contrer ce retour de l’Iran sur la scène internationale, pourrait dès lors être tenté de prolonger l’ouverture des vannes, afin de faire tomber les revenus potentiels que le Téhéran pourrait tirer de ses augmentations d’exportations.

Ces différentes mesures ont ainsi plusieurs effets : tout d’abord inonder la planète en pétrole excédentaire : alors qu’en 2014, la production totale de pétrole représentait 93 millions de barils par jour, la production en juillet 2015 est de 96 millions de barils par jour. Excédentaire de 1,5 à 2 millions de barils, la situation encourage la baisse des prix[Oil Market Report, International Energy Agency, Paris, 13 octobre 2015, [en ligne], [https://www.iea.org/oilmarketreport/omrpublic/currentreport/.

]]. Ensuite toucher à la compétitivité du pétrole et donc aux économies des pays producteurs et rentiers. La chute des prix du pétrole a un impact évident sur les entreprises productrices de pétrole et, plus largement, sur les États dont l’économie repose fortement sur les exportations de pétrole. Ces entreprises et ces États risquent d’être gravement fragilisés par le contexte actuel. Dans ce contexte, la Libye, l’Irak, le Nigeria, l’Iran, la Russie ou encore le Venezuela apparaissent parmi les pays les plus vulnérables à la chute des cours.

Rôle du pétrole dans l’économie de pays producteurs
Prix du pétrole ($/baril) nécessaire à l’équilibre des finances publiques (2014) Rente pétrolière (%PIB) (2012) Part des exportations d’hydrocarbures dans les exportations totales (2012) Part des exports dans le PIB (2012)
Libye 184 52 % 98 %
Iran 130 22 % 70 %
Nigeria 123 15 % 84 % 31 %
Russie 118 14 % 71 % 30 %
Venezuela 118 27 % 95 % 26 %
Algérie 113 17 % 97 % 38 %
Irak 109 46 % 45 %
Arabie Saoudite 86 46 % 88 % 54 %
Emirats Arabes Unis 74 22 % 98 %
Norvège 40 9 % 70 % 41 %

Source : OFCE.

Les deux principaux risques associés sont d’ordre politique et financier. Risque politique car une situation de crise économique dans des pays producteurs de pétrole pourrait enclencher une crise sociale et donc une déstabilisation des régimes en question. Risque financier car le défaut des compagnies pétrolières sur leurs emprunts pourrait fragiliser l’ensemble des acteurs financiers par un phénomène de contagion. Il semble toutefois que ce risque soit particulièrement lié aux producteurs de pétrole de schistes et centré sur le marché américain des obligations à haut rendement.

Pays / groupement Perspective Explication
Pays importateurs- Chine – UE ProfitabilitéProfitabilité &Incertitude – Allégement de la facture énergétique – Allégement de la facture énergétique- La dépréciation de l’Euro a un effet positif sur les exportations mais le poids des importations de pétrole est important → risque d’inflation négative – La faiblesse de l’euro face au dollar limite les effets positifs – risque de déflation car recul des prix à la consommation donc pertes sur les revenus des états
Pays exportateurs Arabie Saoudite + péninsule arabique Vénézuela Iran Nigéria Russie Profitabilité& Incertitude Impact négatifImpact négatif Impact négatif Impact négatif – Coûts d’extraction bon marché qui permet de regagner des parts de marché face aux pétroles non conventionnels- Revenus du pétrole à la baisse donc difficulté à boucler les budgets. Risque de déficit budgétaire mais énorme réserve de devises – Equation budgétaire compliquée, rumeur de défaut de paiement- déficit des recettes pétrolières en 2014 de 8 à 10 %- Idem. Pétrole = 83 % des exportations et 70 % des recettes d’état L’Arabie Saoudite et son allié les États-Unis semblent s’être entendus pour maintenir les prix bas et affaiblir Moscou à la fois économiquement et politiquement
Producteurs de pétrole non conventionnel & Energies renouvelables Impact Négatif Le pétrole moins cher fait directement concurrence à l’exploration et l’exploitation des pétroles non conventionnels mais également aux énergies vertes.Prévision d’une chute de 10 % des investissements dans le non conventionnel aux États-Unis selon A.I.E

2. Des conséquences économiques et environnementales

Ce prix bas entraîne inévitablement des conséquences pour les économies importatrices de pétrole. Et ces conséquences sont également environnementales.

La baisse du prix du pétrole est a priori un jeu à somme nulle : elle transfère du revenu des pays exportateurs de pétrole vers les pays importateurs de pétrole. Ceci soutient le pouvoir d’achat des pays consommateurs de pétrole, et est donc favorable à ces pays. Il ne faut cependant pas oublier les effets défavorables, pour les pays de l’OCDE, de la baisse du prix du pétrole qui viennent annuler une partie des effets favorables :

  • baisse des importations des pays exportateurs de pétrole ;
  • risque d’instabilité dans certains pays exportateurs de pétrole qui avaient anticipé un prix du pétrole beaucoup plus élevé ;
  • découragement des efforts de réduction de la consommation d’énergies fossiles (baisse des prix de ces énergies, moindre attrait pour les énergies renouvelables) ;
  • recul de l’inflation ; d’où, dans certains pays, risque de hausse des taux d’intérêt réels et de déflation

Ensuite figure un rôle important joué par les taxes. Ce sont les prélèvements des états consommateurs. Le but de cette fiscalité significative est de limiter la consommation pour limiter les importations. Ces taxes sont ensuite devenues une composante importante du budget des pays occidentaux concernés.

 Si la lutte contre le changement climatique reste une préoccupation significative, il est logique que que la niveau de taxation augmente, l’augmentation n’a pas de raison particulière d’être corrélée aux coûts de production ;

 Si le besoin de limiter les importations pour ne pas creuser le déficit commercial, il est logique d’augmentation le niveau de taxation, l’augmentation n’a pas de raison non plus d’être corrélée aux coûts de production ;

 Si l’état importateur n’a pas anticipé l’effet du pic de production du pétrole sur son économie, il enchaînera alors les récessions, et il y aura à la fois la nécessité de trouver des recettes fiscales et… un contexte politique qui ne sera pas propice à une augmentation du prix des carburants alors que le chômage augmente et le pouvoir d’achat baisse.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue la place centrale des marchés. L’essentiel des achats de pétrole – et 100% des importations dans les pays occidentaux – se fait aujourd’hui par l’intermédiaire de ‘marchés’, c’est-à-dire des transactions entre des acheteurs et des vendeurs. Donc d’énormes difficultés de prévision. Le prix du pétrole n’est d’ailleurs pas fonction de la loi de l’offre et de la demande : la demande est très inélastique (il y a peu de produits de substitution sauf y renoncer) et fortement spéculative. Seuls certains pays de l’OPEP (en particulier l’Arabie Saoudite) ont cette capacité de s’adapter rapidement à la demande du moment à la hausse comme à la baisse. Si cette capacité d’adaptation disparaît, alors le prix monte suffisamment pour détruire la demande qui a elle-même effacé la capacité d’adaptation.

Les conséquences pour la zone euro sont multiples. SI on peut légitimement penser que la baisse des prix pétroliers importés a un effet positif sur la croissance, les risques de déflation et d’augmentation des taux d’intérêt réels jouent en défaveur d’une reprise économique.

Les chiffres de croissance du 1er trimestre 2015 aux États-Unis semblent montrer que la baisse du prix du pétrole a eu un effet négatif sur la croissance américaine. Ceci mérite d’être analysé plus profondément mais il est clair que l’effet positif sur l’économie d’un bas prix du pétrole n’est pas si évident[Voir aussi l’excellente analyse de Mathieu Auzanneau, « Limites de la croissance: cette fois, le loup est là », in Le Monde, Paris, 2015, [en ligne], [http://petrole.blog.lemonde.fr/2015/09/02/limites-de-la-croissance-cette-fois-le-loup-est-la/

]].

Les conséquences pour la Russie sont également très importantes. La Russie est devenu un producteur majeur d’hydrocarbures et sa santé économique en dépend. Cependant, les coûts de production du pétrole russe sont élevés. Rappelons que les producteurs d’hydrocarbures russes sont étroitement liés au pouvoir politique. Ce dernier peut à la fois s’en servir comme arme (cfr. Crise du gaz russe en Ukraine) mais dans la conjoncture actuelle, cela représente une faiblesse importante. Le rouble a d’ailleurs perdu beaucoup de sa valeur depuis juillet 2014. Enfin, notons que pour les Européens l’accord nucléaire en Iran a aussi été motivé par la volonté de permettre à ce dernier de produire à nouveau plus de pétrole et de « remplacer à terme le partenaire russe » (déclarations du Ministère iranien de l’Énergie).

Les conséquences sur les investissements pétroliers sont également présentes. En janvier 2015, Patrick Pouyanné, PDG de Total, a ainsi annoncé une réduction de 10 % des investissements pour l’année à venir[« Total’s Patrick Pouyanné vows surgical response to oil price slide », in Financial Times, Londres, 2015, [en ligne], [http://www.ft.com/cms/s/0/3f208b20-a09b-11e4-8ad8-00144feab7de.html#slide0.

]], tout comme d’autres groupes tels ConocoPhillips et BP. De même que le groupe pétrolier Baker Hughes, forcé de se séparer de 7000 de ses employés suite à la baisse des cours du pétrole[« Oil plunge forces Baker Hughes to cut 7,000 workers », in Dailymail, Londres, 2015, [en ligne], [http://www.dailymail.co.uk/wires/afp/article-2918838/Oil-plunge-forces-Baker-Hughes-cut-7-000-workers.html. ,

]].

La baisse de ces investissements, outre les réductions sévères d’emploi, pèse sur deux autres aspects importants : les capacités d’extraction de pétrole non-conventionnels ou plus difficiles à atteindre, et le développement des alternatives renouvelables par les grandes compagnies pétrolières. Ces situations, liées à la baisse continue des ressources en pétrole[Gus Lubin, Rob Wile, « Energy Guru Robert Hirsch Gives A Dire Outlook For Oil », in Business Insider, New York, 2012, [en ligne], [http://www.businessinsider.com/robert-hirsch-plateau-oil-peak-oil-2012-7?op=1&IR=T&IR=T. ,

]], entraînent un cocktail détonant amenant le risque d’un nouveau choc pétrolier majeur. En effet, alors que la demande mondiale en énergie ne cesse de croître, les ressources en hydrocarbures pour y répondre tendent, elles, à se tarir[Bradley Olson, « Big Oil’s Latest Fear: A Price Shock After Spending Cuts », in Bloomberg Business, New York, 2015, [en ligne], [http://www.bloomberg.com/news/articles/2015-04-22/big-oil-s-latest-fear-a-price-shock-after-spending-cuts.

]]. Les conséquences économiques seraient alors catastrophiques, entraînant une bonne part des économies mondiales dans une nouvelle profonde crise[Christopher Helman, « How Crisis In The Energy Sector Could Spark A Repeat Of The Subprime Bust », in Forbes, New York, 2015, [en ligne], [http://www.forbes.com/sites/christopherhelman/2015/04/22/how-crisis-in-the-energy-sector-could-spark-a-repeat-of-the-subprime-bust/.

]].

3. Quels enseignements d’un point de vue de la sécurité énergétique ? Et quelles solutions ?

Cette situation permet d’émettre de nouvelles réflexions quant aux politiques énergétiques poursuivies par les États. Loin d’être dans une phase de coopération croissante, la logique qui prévaut est celle de la confrontation. Les États-Unis avec le développement de capacités en gaz non conventionnel, l’Iran avec la volonté de retrouver un rôle de leader sur le marché du pétrole, la Russie avec le recours à l’arme énergétique en tant qu’élément de puissance et l’Arabie Saoudite, dans une logique de guérilla pétrolière face aux menaces contre son leadership.

Quel rôle peut jouer l’Union Européenne dans cette situation ?

Dépourvu de pays disposants de ressources en hydrocarbures suffisantes pour assurer son autonomie énergétique, l’Union Européenne dépend fortement des importations tant en pétrole qu’en gaz naturel. Reprenons tout d’abord quelques chiffres. En 2014, l’Union Européenne était dépendante de pays tiers pour 53% de l’énergie qu’elle consommait, dont ‘90% de pétrole brut, 66% de gaz naturel et 42% de combustibles solides comme le charbon’. La facture énergétique de l’Europe s’élevait, en 2013, à 400 milliards d’euros. La Belgique à elle seule a dépensait 18 milliards d’euros en importations énergétiques.

Le salut de l’Europe ne passe donc que par une stratégie énergétique commune, et ancrée dans la promotion du renouvelable. Cette stratégie rejoint plusieurs objectifs fondamentaux : celui de contrer le changement climatique ; celui d’organiser un boom économique et technologique dans le développement des énergies renouvelables, particulièrement compétitives ; celui de se désengager d’une diplomatie de l’énergie faisant fi d’objectifs humains et de sécurité d’approvisionnement.

Il faut considérer la situation actuelle comme une opportunité : les bas prix du pétrole permettent de réinvestir dans les technologies de la transition énergétique et le système énergétique européen a besoin d’investissements majeurs de renouvellement. Le développement de notre indépendance énergétique pourra inspirer ces pays qui considèrent aujourd’hui que l’Europe n’en fait pas assez.

Une telle stratégie évite par exemple de remplacer le gaz russe par du gaz iranien tout en faisant courir de graves dangers en matière de sécurité nucléaire. Une telle stratégie évite des conflits pour l’appropriation des énergies fossiles, de luttes pour le pouvoir et les richesses qu’il détient au détriment de trop nombreuses populations. Une telle stratégie limite les effets destructeurs des spéculateurs de l’or noir. Une telle stratégie détourne des mirages du nucléaire.

Adopter une trajectoire climato-compatible à l’horizon 2030 (soit un réchauffement maximum de +2°C, impossible à respecter avec les objectifs européens actuels pour 2030) permettrait en plus de[Collectif, Assessing the missed benefits of countries national contributions, Berlin, New Climate Institute, 2015, [en ligne], [http://newclimate.org/2015/03/27/indc-cobenefits/.

]] :

  • économiser annuellement 140 milliards € en importations fossiles (à comparer avec un coût total estimé, en ce inclus les gains espérés par les objectifs prévus, de 500 milliards € en 2030),
  • repousser le décès de 40 000 personnes suite à la pollution de l’air,
  • créer 350 000 emplois temps plein dans le seul secteur des énergies renouvelables.
    Enfin, le système énergétique européen est aujourd’hui vieillissant et basé sur les importations de combustibles. Son remplacement est inéluctable à moyen et long terme : c’est une opportunité à saisir que de le transformer en un système plus résilient, basé sur les énergies renouvelables, pour diminuer notre exposition aux fluctuations des énergies fossiles et aux difficultés géopolitiques et diplomatiques qu’elles génère.

L’industrie des énergies fossiles, risque systémique du système économique mondial ?

Les rapports du GIEC sont sans équivoque : notre consommation effrénée d’énergies fossiles[[C’est-à-dire l’énergie produite à partir de composés issus de la décomposition sédimentaire des matières organiques, soit principalement composés de carbone. Elle englobe le pétrole, le gaz naturel et le charbon et pour certains organismes comme le FMI, l’électricité produite à partir de ces sources..

]] est à l’origine de l’essentiel de l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et, partant, du réchauffement global du climat. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, le secteur des énergies fossiles représente plus de 80 % des émissions mondiales de CO².En 2012, le charbon était responsable de 43% du total des émissions, le pétrole de 33%, et le gaz de 18%!

Pétrole Gaz Charbon Total des énergies fossiles Émissions disponibles pour rester en dessous d’une hausse de 2°C de la température moyenne mondiale
Émissions CO2 (GT) 615 363 1817 2795 565

Source : CARBON TRACKER (2014) Unburnable Carbon – Are the world’s financial markets carrying a carbon bubble?

Or, malgré tout, ces énergies restent privilégiées voire subsidiées au niveau mondial. 5.300 milliards $ selon le FMI, soit 6,5 % du PIB mondial ou encore 10 millions $/minute [« Counting the Cost of Energy Subsidies » in IMF Survey, Fond Monétaire International, Washington, 2015, [en ligne], [http://www.imf.org/external/pubs/ft/survey/so/2015/new070215a.htm. Afin de comptabiliser ces « subsides » le FMI compare le prix des énergies fossiles facturé au consommateur et le véritable prix de ces énergies en tenant compte du coût pour la société qu’elles engendrent et notamment en terme de réchauffement climatique, de pollution de l’air, des autres externalités des véhicules (embouteillages, accidents,…), des avantages fiscaux et des subsides directs.

]]!

Une étude récente[[Francis Weyzig, Barbara Kuepper, The price of doing too little too late, Green New Deal Series, volume 11, Bruxelles, Green European Foundation, 2014, [en ligne],

http://gef.eu/uploads/media/The_Price_of_Doing_Too_Little_Too_Late_.pdf.

]] citée par le Réseau Financité
Désinvestir le secteur des énergies fossiles diminuera-t-il le réchauffement climatique ?, Bruxelles, Financité, 2015, en ligne], [https://www.financite.be/fr/reference/desinvestir-le-secteur-des-energies-fossiles-diminuera-t-il-le-rechauffement-climatique.

]] évalue que l’intégralité du secteur bancaire européen a investi dans ce secteur via des prêts, des obligations et des actions pour un montant total compris entre 460 et 480 milliards d’euros. Les auteurs de cette même étude estiment aussi les investissements des fonds de pension européens dans ce secteur entre 260 et 330 milliards d’euros et ceux des assurances entre 300 et 400 milliards d’euros. Ainsi, ensemble, les banques, les fonds de pension et les assurances en Europe auraient investis pour environ mille milliards d’euros dans le secteur des énergies fossiles en 2012.

C’est aussi le cas en Belgique. D’après une étude du WWF[Collectif, Les coûts et bénéfices réels des énergies conventionnelles et renouvelables, Bruxelles, WWF Belgique, 2014, [en ligne], [http://www.wwf.be/_media/201404%20Les%20couts%20et%20b%C3%A9n%C3%A9fices%20r%C3%A9els%20des%20%C3%A9nergies%20conventionelles%20et%20renouvelables_341847.pdf

]], les énergies traditionnelles (fossiles et fissiles) reçoivent encore plus de 2/3 du soutien financier des autorités, par rapport aux énergies renouvelables et aux économies d’énergie. Seulement 6% des subventions pour l’énergie ont été dédiées aux économies d’énergie en 2010 alors qu’elles sont généralement considérées comme très importantes pour diminuer les coûts de l’énergie et protéger l’environnement.

L’investissement dans les énergies fossiles est de plus en plus risqué. La prochaine crise financière pourrait en effet être la crise de la bulle du carbone (‘carbon bubble’)[Un résumé sur [http://www.philippelamberts.eu/1000-milliards-deuros-les-pertes-potentielles-encourues-par-les-institutions-financieres-europeennes-a-cause-des-emissions-de-co2/

]]. Une étude[Collectif, The Carbon Bubble: The financial risk of fossil fuels and need for divestment, Bruxelles, European Green Party, 2015, [en ligne], [http://europeangreens.eu/sites/europeangreens.eu/files/Carbon%20Bubble%20brochure.pdf.

]] commandée par les Verts européens estime qu’entre 40 et 60 % de la valeur des entreprises actives dans les énergies fossiles pourrait être perdue lorsque les investisseurs se rendront compte que leurs réserves ne pourront être exploitées et valorisées, à tout le moins à un coût raisonnable. Faute de choix de désinvestissement aujourd’hui, la baisse de l’activité économique et de la valeur boursière de ces entreprise se répercutera sur la valeur des actifs des fonds de pension, des banques et des compagnies d’assurance qui ont investi des sommes colossales dans les combustibles fossiles, avec le risque d’une intervention publique en couverture, comme on l’a vu à la suite de la crise bancaire et financière :

Europe Risques estimés
En milliards € En % du total des actifs
Fonds de pension 260-330 5 %
Banques 460-480 1,40 %
Assureurs 300-400 4 %

Estimations selon un scénario climato-compatible.Source : EUROPEAN GREENS & EUROPEAN GREEN PARTY (2015)

Au final, La bulle carbone ne représente donc pas un risque systémique qui mettrait en péril le système financier belge ou européen. Elle peut cependant être dangereuse dans un environnement économique qui est déjà fragilisé.

4. Conclusion

Des prix du pétrole bas engendrent à court terme des effets bénéfiques pour les ménages, les entreprises, et les finances publiques, et participent à la reprise économique. Ils nuisent cependant aux signaux économiques en faveur de la transition énergétique et n’encouragent pas les ménages et les entreprises à se prémunir contre des hausses futures. Pour maintenir les incitations adéquates, sans toutefois retirer ni soudainement ni entièrement aux ménages et aux entreprises les gains liés à la baisse du prix du pétrole dont ils ont bénéficié jusqu’à présent, il conviendrait d’entamer une réforme de la fiscalité énergétique en définissant dès 2016 le prix associé à une tonne de CO2, ainsi qu’en définissant sa trajectoire d’évolution à long-terme afin de permettre une visibilité suffisante. La réforme de la fiscalité énergétique devrait en outre avoir lieu au niveau européen, et faire partie de l’agenda de la Commission Juncker : plutôt que de simples exigences accrues en raison de la baisse des prix du pétrole de la part de la Commission Européenne vis-à-vis des États en matière de réduction des déficits publics, une action harmonisée sur la fiscalité énergétique constituerait un outil vertueux pour agir sur ces derniers. Les économies sur les carburants réalisées par l’État lui-même ainsi que les recettes budgétaires conjoncturelles liées à la baisse des prix du pétrole pourraient être investies en faveur de la transition énergétique et des infrastructures de transport, via les fonds et outils de financement dédiés. D’autres mesures, notamment en matière de fiscalité automobile, devraient également être mises en place pour accompagner ménages et entreprises dans la transition énergétique.

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