C’est vrai ça. S’il fallait tant que ça que le monde change, alors pourquoi est-ce qu’on ne l’a pas encore fait ? Qu’est-ce qu’il y a comme résistances si importantes au changement ? Qu’est-ce qui fait qu’on n’en reste là, malgré la dénonciation, malgré les crises, malgré les mobilisations. Pourquoi le ‘système’ résiste ?

Cette analyse n’étudiera pas les ressorts intimes des blocages actuels de nos sociétés, ceux-ci étant déjà amplement discutés dans de nombreux endroits.

Elle constate que le mécontentement n’a jamais paru si important, si répandu, si aigu. Mais que paradoxalement, les solutions proposées par les forces politiques/les forces au pouvoir (choisissez en fonction de la situation démocratique de votre pays) n’ont jamais paru si éloignées des besoins de nos concitoyens.

Par ici il s’agit d’un malaise socio-économique (chômage, dette, etc.), par là de répressions et de violences. Partout il s’agit d’inégalités, de menaces suite aux bouleversements climatiques, d’atteintes à la biodiversité et à la santé des êtres vivants.

Sondages et enquêtes nous apprennent que nos concitoyens perdent confiance dans leurs représentants politiques. Or, nos citoyens s’intéressent à la politique – vue comme l’art de conduire une situation, un organisme, un projet. Pas aux jeux politiques mais à l’exercice d’une influence sur des décisions qui vont influencer leur avenir. Le succès incroyable du film ‘Demain’ le prouve aisément. Nombreux sont ceux qui « veulent construire leur propre alternative, comme Nuit Debout, Tout autre chose…, ou qui changent leur mode de vie (consommation locale, coopératives…), car ils ne font plus confiance au système. Le point commun à tout cela, c’est un constat d’impuissance, que le politique ne parvient pas à répondre aux problèmes. »[[Vincent de Coorebyter, Le Soir, 29/05/2016.

]]

L’exercice actuel de la politique comme entendue ci-avant engendre les impasses dénoncées par divers mouvements ou personnes. Des impasses sociétales qu’on constate presque partout, quel que soient les tendances politiques exerçant le pouvoir. Des impasses qu’on va oser résumer par une proposition : le cadre idéologique macro-économique de toutes ces tendances politiques est inadapté à la gestion des crises actuelles. Car il se base sur des préceptes économiques souvent faux[Voir à ce propos le brillant livre de Steve Keen (2014) L’imposture économique, Les Editions de l’Atelier. Résumé disponible ici : [http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2014/10/01/%C2%AB-l%E2%80%99imposture-economique-%C2%BB-puissante-critique-de-la-theorie-economique-dominante-1/

]] et que les solutions proposées ne sont jamais ni globales ni inclusives : à chaque fois, des parties non négligeables de la population sont abandonnées. Dérivant de ce cadre politico-économique, « l’organisation institutionnelle des sociétés contemporaines qui représente le plus grand obstacle à l’avènement d’une civilisation compatible avec les limites de la biosphère. L’organisation actuelle ne peut en effet se maintenir sans croissance économique. D’autres organisations sociétales, d’autres organisations institutionnelles devraient donc être proposées. L’opinion courante est que ce sont les comportements individuels qui devraient être revus. Il y a pourtant là une contradiction car à un comportement moins consommateur de la part des citoyens s’oppose la volonté des pouvoirs publics de relancer la consommation afin d’assurer la croissance et l’emploi. Plutôt que sur les seuls comportements individuels, c’est sur l’organisation des institutions qu’il y a lieu de se pencher[Louis Possoz, Olivier Parks, Olivier Vermeulen, Pierre Courbe. [http://quelfutur.org/Decryptage-des-crises

]] ».

Cette analyse va s’intéresser à ce que pourrait être notre avenir si on se donnait pour objectif de résoudre à la fois les crises socio-économiques et environnementales (les trois piliers du développement durable). Soit tout à la fois réduire le chômage ; diminuer les inégalités transgénérationnelles, entre territoires et entre classes sociales ; maintenir le réchauffement global de la planète sous les 1,5°C et enrayer le déclin de la biodiversité.

Les scénarios de la transition

On dispose aujourd’hui de nombreux scénarios et plans qui nous montrent qu’on peut résoudre le défi climatique et que ces scénarios sont générateurs nets d’emplois[[Sans prétendre aucunement à l’exhaustivité :

On peut consulter un résumé ici : http://fr.slideshare.net/NicolasMeilhan/quelle-civilisation-techniquement-soutenable-de-philippe-bihouix

]]. Autre difficulté : réussir à concilier budget climatique, développement des énergies renouvelables et ressources financières.

Les versions successives des scénarios allant en s’améliorant, les mesures à prendre s’affinent et la direction se précise.

Les débats sur la transition ont eu lieu pour l’instant essentiellement sur la question climatique et énergétique. On y voit s’affronter un système oligopolistique vieillissant et de plus en plus obsolète, le couple fossile-fissile, avec une multitude d’acteurs privés, publics, coopératifs défenseurs d’une énergie renouvelable. Hélas, la nécessité de simplifier le débat dans les médias en amène l’opinion publique à ne s’inquiéter que du sort de la production d’électricité et du chauffage des habitations, même si les questions de mobilité commencent lentement à émerger.

Pourtant, plus les scénarios sont perfectionnés, plus ils développent les conditions de la transition – une transition pas uniquement climatique ou énergétique.

La transition : le climat, l’emploi et ma voix

Dans le cadre d’une étude prospective sur la transition énergétique réalisée pour le compte de l’Institut Wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS)[L’étude est disponible ici : [http://www.iweps.be/sites/default/files/2014_-_transition_energetique_-_rapport_final_0.pdf Elle a fait l’objet de plusieurs communications dont une au second Congrès Interdisciplinaire du développement durable : http://congrestransitiondurable.org/51472/document . On notera hélas que les débats au Parlement wallon furent extrêmement pauvres : http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2014_2015/RAPPORT/162_1.pdf

]], une équipe pluridisciplinaire a dressé plusieurs scénarios. Un seul scénario permet à la fois de répondre aux contraintes environnementales, de réduire les inégalités et de créer de l’emploi. Ce scénario est celui dans lequel les citoyens sont le plus impliqués.

Analyse AFOM du scénario A de l’étude de l’IWEPS

FORCES et OPPORTUNITES FAIBLESSES et MENACES
Cohésion sociale Les inégalités sociales et économiques correspondent davantage (qu’aujourd‘hui) à des conceptions différentes de la vie bonne et donc à des choix de vie qui pourraient être combinés.Par ailleurs, les énergies renouvelables étant distribuées et non concentrées (comme le charbon ou le pétrole) sont porteuses d’une société moins inégalitaire.A cela s’ajoute le développement d’un modèle de capitalisme plus coopératif et donc plus égalitaire.Les jeunes générations sont formées aux défis de l’URE et du renouvelable et y voient des opportunités de développement Des inégalités subsistent entre producteurs nets et consommateurs nets d’énergie.Il reste des situations de pauvreté et d’exclusion non choisies et qui sont peut-être encore moins prises en considération. Il y a un risque d’augmentation des inégalités entre sous-régions, si la Région n’assume pas suffisamment son rôle de péréquation.Le capitalisme « populaire » s’accompagne peut-être d’un affaiblissement des mécanismes de solidarité sociale, affaiblissement encore renforcé par l’évolution centrifuge des institutions publiques.L’augmentation prévue du prix du foncier est un facteur de risque et les inégalités en matière de logement et d’accession à la propriété sont à redouter.Un risque de rébellion par rapport au niveau de vie d’autres régions proches qui n’ont pas adopté une approche comparable subsiste.
Sécurité d’approvisionnement La maximisation de l’efficacité énergétique et, pour une part significative de la population, l’adoption de normes de comportements économes en énergie conduit à une réduction sensible de la demande en énergie et réduit le risque de ruptures d’approvisionnement.L’indépendance énergétique s’améliore, grâce à un mix variable de sources d’énergie basées sur une optimisation des ressources locales. Les interconnexions au réseau européen sont optimisées. Ces éléments renforcent la résilience de la Wallonie à des chocs externes.Les infrastructures et les technologies sont performantes. L’inégal accès au réseau international et le caractère sporadique de certaines sources d’énergie locales se traduit par un risque de rupture d’approvisionnement pour certaines zones et/ou populations. Développement des technologies de stockage de l’électricité à petite échelle.Des risques existent, liés à la gestion de l’intermittence des sources renouvelables et impliquent d’importer de l’électricité et de la biomasse, dont la durabilité doit être garantie.L’accès à l’énergie peut être difficile dans certaines sous-régions, qui peuvent être soumises à des soucis de rupture d’approvisionnement.
Protection environnementale La contrainte climatique est rencontrée et la population est mieux formée à la prise en compte de l’environnement.Les ressources locales sont utilisées. Le développement des énergies renouvelables risque de se payer de disparition d’aménités paysagères et d’atteintes à la biodiversité locale.Le territoire n’est pas développé de manière cohérente.Certaines matières premières se raréfient.
Participation démocratique Le développement d’une sorte de « capitalisme populaire » de l’énergie (coopératives) et des pratiques alternatives dans le secteur agricole notamment (AMAP, GAS), ainsi que la décentralisation institutionnelle favorisent la participation citoyenne. Risque de provincialisme : la population peut avoir tendance à se désintéresser des enjeux globaux et supra-locaux et à se limiter à « cultiver son jardin » (au sens du Candide de Voltaire).Risque d’augmentation importante du phénomène NIMBY, de la difficulté à adopter une politique d’aménagement du territoire cohérente et du développement anarchique de certains territoires.Risque de réformes continues vers la plus grande décentralisation du pouvoir.
Viabilité économique Le système énergétique est stable et simple, ce qui permet d’attirer les investissements nécessaires.La diversité des sources d’énergie et des formes institutionnelles est un facteur de résistance aux chocs exogènes et de résilience (capacité à se reconstruire).Une production centrée sur les besoins locaux rend l’économie moins sensible à la conjoncture internationale et plus stable.Si les coûts de production peuvent être plus élevés à cause du manque d’économies d’échelle, en revanche les coûts de transport (et peut-être aussi de transaction) sont réduits. Les coûts de l’énergie sont sensiblement identiques aux autres pays.Les nouveaux modes de financement permettent de mieux répartir les coûts entre des acteurs diversifiés de l’énergie. Il y a des pertes de rentabilité et d’efficacité à cause de faibles possibilités d’économies d’échelle et des distorsions de concurrence entre entreprises selon leurs besoins en énergie et leur potentiel de production.Si les ménages peuvent se permettre certaines fluctuations dans l’approvisionnement énergétique, ce n’est pas le cas pour les entreprises soumises à la concurrence qui vont quitter les zones où ce risque existe.Le financement des infrastructures de réseaux interconnectés au niveau international étant assuré par le secteur privé revient à concéder un « monopole naturel » à des entreprises étrangères ou multinationales.

Il y a sans aucun doute une opportunité pour un nouveau contrat sociétal. Car si on peut trouver à la lecture du manifeste « écologie-climat » de Nuit Debout[[http://reporterre.net/IMG/pdf/manifeste_de_la_commission_e_cologie_climat_.pdf

]] une excellente synthèse à la fois de ce que le mouvement de la transition dénonce et propose, cela reste un texte politique malheureusement sans cheminement, sans accompagnement du projet. La transition se doit d’être appropriée par les citoyens qui doivent en devenir les acteurs. Tous doivent ressentir ce besoin de changement.

Par où commencer ?

Si les scénarios de transition sont d’abord énergétiques (ou climatiques), c’est parce que l’enjeu climatique nécessite une solidarité mondiale obligatoire et une organisation assez dirigiste de nos activités. On y prend une série d’hypothèses qui vont avoir des conséquences non négligeables sur nos modes de vie. Mais ces scénarios oublient souvent le rôle de l’agriculture et donc de l’alimentation. Un secteur qui – dans sons sens large – représente plus d’un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre.

Le développement de l’agroécologie[Voir la présentation d’Olivier de Schutter : [http://www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20110308_a-hrc-16-49_agroecology_fr.pdf

]], qui préserve les sols (pour les cultures du futur), la biodiversité, réduit les émissions de gaz à effet de serre et qui n’est pas dépendante d’engrais ou de pesticides industriels, gros consommateurs d’énergie, doit devenir une priorité. Certes, cette orientation technique nécessite plus de main d’œuvre et cela augmentera les prix. Mais dans une société où le chômage est massif et ou la déconnexion avec les métiers ‘de base’ est importante, cela sera sans doute salutaire. Un ajustement des prix pourra également permettre de lutter contre le gaspillage et la surconsommation de viande.

De la résilience

Cette modeste contribution se veut pleine d’optimisme(s). Un scénario profitable au plus grand nombre. Un scénario qui tente de résoudre plusieurs crises à la fois. Une porte d’entrée pour un nouveau contrat sociétal[Une telle démarche aurait sans doute plu à feu Benoît Lechat Le climat pour le changement [https://www.etopia.be/spip.php?article2821#nb2-1

]].

Nous percevons toutes et tous, à différentes échelles, des « signaux faibles » issus de petits mouvements sociaux (mouvement pour la transition, la sobriété, slow food, la relocalisation…). Ces signaux sont ceux d’un monde qui se veut plus résilient, d’un monde résolument en transition.

Cependant, le plus dur reste à faire. S’approprier l’ensemble des éléments d’analyse n’est pas chose si aisée. On a tôt fait de se réfugier dans un espoir de solution technologique sans même s’interroger sur notre mode de vie. La transition commence pourtant lors de cette inflexion. La remise en cause de nos modes de vie permet d’envisager une réorganisation plus profonde de notre société et d’en régler les problèmes les plus aigus, les situations les plus injustes. Mais il faut convaincre, faire tomber les réticences et recueillir un assentiment large. Pour changer l’horizon de la ‘réussite’ et trouver une place pour chacun.

Churchill aurait dit qu’il ne fallait jamais laisser passer les opportunités d’une crise. La conjonction des crises et des impasses donne le sentiment que l’heure de la transition a sonnée.

Share This