On déplore régulièrement le « train de vie » de l’état. Des chiffres circulent, affirmant que près de 54% de la richesse produite en Belgique sert au « fonctionnement » de l’état, contre une moyenne de 49% dans les pays de l’EU [[Propos de Alexander De Croo il y a quelques mois

]].

Dans nos contrées, l’espérance moyenne de vie est, au minimum, de 80 ans.

Sur une existence, la durée d’activité « productive » n’excède pas 45 ans et il reste 35 années « non productives » (enfance, études et retraite).

Techniquement, il semble logique que « la période productive » serve dans la proportion 35/80ème, soit 44%, à subvenir aux besoins de la « période non productive ». Par ailleurs, il est aussi logique qu’une part de la richesse produite serve à pérenniser le fonctionnement du système, à investir pour améliorer sa productivité et pour préparer l’avenir, à assumer les taches dites « régaliennes », assurer les soins de santé…: tabler sur 10% me semble une limite bien inférieure aux besoins.

On peut additionner, 44 + 10% = 54% !

Ce calcul est évidemment très simpliste mais, sur le principe et de manière purement comptable, il me semble incontestable. Notons, par ailleurs, qu’il n’est pas beaucoup plus simpliste que la technique qui use de « moyennes » pour étayer ses thèses : tout le monde sait qu’une moyenne ne représente la réalité que de manière superficielle.

Ce calcul se base sur quelques postulats,

  • l’age de la retraite est de 65 ans et c’est le plein emploi, l’espérance de vie est de 80 ans au moins et une carrière complète est de 45 années,
  • en « moyenne », chaque individu est rémunéré de la même manière, qu’il soit actif où non actif.

On sait que ces postulats ne sont jamais respectés. Beaucoup n’attendent pas 65 ans pour accéder à la retraite, on est bien loin du plein emploi, des jeunes font des études au-delà de 20 ans, les pensions ne représentent qu’une portion du salaire antérieur et, si les enfants « perçoivent un salaire » par le biais des soins de santé et de l’éducation [[En humanité, un élève coûte environ 7000€ par année

]] [[Dans certains pays (le Danemark, par exemple) l’étudiant reçoit un salaire.

]] , leur revenu n’atteint jamais le salaire d’un actif… De plus, les actifs participent individuellement à la rémunération des non actifs : les frais de scolarité en sont une illustration dont on parle à chaque rentrée scolaire. Enfin, « les services publics ne sont plus ce qu’ils étaient ! »…

Bref, dans la « redistribution », la « répartition » n’est pas celle qui est logiquement attendue.

Sans doute est-ce une des causes du désenchantement du citoyen face au fonctionnement de l’Etat : il ne s’y retrouve pas. Cette situation permet aux critiques de trouver un large écho dans de nombreuses tranches de la population.

Revenons alors au propos de départ en examinant les raisons « mécaniques » qui pourraient ramener le ratio de 54 à 49 %.

De manière toujours aussi simpliste citons

  • l’espérance de vie passe à 74 ans pour que l’addition devienne 39 +10% = 49%.
  • on consacre moins au fonctionnement, à l’entretien, aux investissements, aux soins de santé….
  • l’age de la retraite est relevé et on augmente ainsi la durée productive.

On trouve dans les deux derniers points les leviers principaux qui sont actuellement activés pour nous « rapprocher de la moyenne de l’EU » ; (on n’ose imaginer comment réduire l’espérance de vie !).

On peut compléter la stratégie actuelle par les mesures de mise au travail et la dégressivité du chômage, touchant là directement à la redistribution vers les non-actifs. Ce pourrait-être le début d’une remise en cause du phénomène de redistribution.

Est-ce bien judicieux ?

La redistribution, choix ou obligation ?

Il arrive très souvent, dans le débat sur le déficit public, qu’on entende « il faut produire avant de distribuer, on ne peut pas redistribuer ce qu’on n’a pas ! »

Ce propos est très discutable et il me semble davantage un « dogme » qu’une réalité du fonctionnement d’une société.

Certes on ne peut pas donner ce que l’on n’a pas. Mais, et ce point est de la même importance, il est inutile de produire, sauf pour ses besoins et sa survie propres, si on n’a pas de possibilité de redistribution, et cette règle est d’autant plus vraie que la production est périssable. Pour s’en convaincre, il suffit de voir le récent stress qui a suivi l’embargo Russe sur les pommes et les poires, ainsi que la peur panique de la déflation qui retarderait les actes d’achat et bloquerait ainsi le système de production conçu pour produire en masse.

Donc, si la production semble techniquement devoir être antérieure à la redistribution[[Ici encore, on peut contester le propos en prenant tous ces produits que l’on commande avant qu’ils ne soient fabriqués… telles les voitures.

]], ces deux phénomènes sont tellement imbriqués qu’on ne peut pas ériger en « loi naturelle » la prééminence de la première sur la seconde sans risquer de casser toute la mécanique : c’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule. D’ailleurs, le « prêt à tempérament » et la carte de crédit, largement utilisés, en sont des preuves irréfutables : l’emprunteur n’a encore rien produit mais on lui donne les moyens d’acquérir la production des autres en pariant sur sa production future.

Soyons clairs, ce propos sur l’antériorité de la production sur la redistribution veut surtout contester le rôle de l’Etat, car il implique l’impôt et la démarche sensée être « collective »[[Cette thèse trouvera un écho dans différentes couches de la population car la dimension collective devient trop absente des choix effectués. (Investissements dispendieux, dépenses somptuaires, niches fiscales…)

]].

Dans les faits, ce propos pose la question : ne vaut-il pas mieux confier la redistribution aux marchés qu’à l’Etat ?

La redistribution n’est donc pas un choix mais elle est bien la base même de toute société et elle semble, au-delà de toute théorie ou idéologie, le seul fait véritable dans la vie socio-économique.

Elle concerne tant les actifs que les non actifs. Si demain, on réduit les rémunérations des actifs ou prive les non-actifs des moyens d’acquérir des biens, tout le système se grippe… certains, y compris au FMI, attribuent d’ailleurs la récession actuelle aux politiques de restriction. Notre problème de conception vient, en partie, du décalage qu’il y a entre la « période productive » et la « période non productive ».

Les enjeux de la redistribution.

L’histoire nous montre à suffisance que lorsque la redistribution ne s’effectue pas correctement, l’équilibre social est compromis : révolution, guerres, migrations… L’actualité le témoigne encore avec acuité [[Les migrations en provenance du tiers monde en sont une preuve.

]].C’est un choix de société que de rechercher l’harmonie et l’équilibre stable et ne pas tenir compte de la nécessité d’une redistribution bien répartie c’est courir, sans aucun doute, aux conflits[[Ainsi, c’est un leurre, à mon sens désastreux, que d’imaginer que nous pourrons endiguer les migrations et limiter l’accueil des réfugiés.

]]. En effet, chaque être humain veut trouver sa place et mener sa vie parmi les autres sans éprouver trop de frustrations.

Ce dernier point est essentiel et le système « socio-politique » l’influence considérablement : de l’objectivité on passe à la subjectivité et aux « jugements de valeurs ». L’éducation et le milieu sociétal influencent évidemment le niveau de frustration des individus.

L’hindouiste croyant en la réincarnation acceptera davantage de privations et d’injustice qu’il sera persuadé qu’il doit encore progresser sur le chemin de la pureté. De manière similaire, le sentiment qu’éprouvent les musulmans intégristes à l’égard de la démocratie du type occidentale témoigne d’une autre conception de l’organisation sociétale et, par conséquent, de la redistribution.

Le système socio-politique est donc un volant d’action pour atteindre harmonie et équilibre stable, un peu cynique car il relève également de la manipulation ! Mais il est amplement utilisé, non seulement en Corée du Nord ou dans les états Islamiques, mais également dans nos démocraties occidentales où les « dogmes » ultralibéraux sont mis en avant et conditionnent le citoyen. Le «Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » est bien ancré dans nos mentalités et nous donne une relation au travail toute particulière. De même, la fascination qu’exercent sur nous certaines « réussites » témoigne d’une conception toute particulière du vivre ensemble qui n’est pas « naturellement humaine ».

Il est mal aisé de définir un « canon » de la redistribution car on fait intervenir les valeurs sociétales. Le concept de « Bonheur national brut » n’est pas étranger à cela.

Ainsi donc, notre monde est fait de divers systèmes de redistribution dont l’équilibre dépend du niveau moyen de satisfaction des individus qui y participent.

De multiples choses « encadrent » un système. La plus importante est la balance des paiements, l’équilibre entre importations et exportations. C’est dans une balance équilibrée que la redistribution peut s’exercer de manière pérenne et sans tension avec les systèmes voisins. Mais cela ne suffit certainement pas. Un outil assure la fluidité du système, la monnaie. C’est une des caractéristiques essentielles d’un système et c’est sans doute un des problèmes majeurs de la zone euro, une monnaie qui couvre plusieurs systèmes. En effet, il ne faut pas avoir la naïveté de croire que tous les pays de la zone euro ont le même système : si c’était le cas, l’affaire « Depardieu », emblématique, n’aurait jamais vue le jour.

De même, jamais on n’aurait parlé de « Lux Leaks ».[[A ce propos, lire un récent article dans le Trends du 13.11 signé par Thierry AFSCHRIFT, célèbre fiscaliste ultra-libéral.

]]

Peut-on mélanger les systèmes?

C’est une question fondamentale et la « mondialisation », qui ne fait rien d’autre, la pose clairement. Cette dernière ne crée pas une « interface » pour connecter[[Ce que faisaient les barrières douanières

]] les systèmes, mais elle procède par simple court-circuit. De cette manière, on s’oriente inévitablement vers un système unique qui sera le plus grand dénominateur en ne reprenant que ce qui est commun à tous les systèmes… c’est-à-dire très peu de choses.

On voit bien apparaître, de-ci de-là, des règlementations qui tendent d’endiguer le phénomène[[Tout récemment n’a-t-on pas vu la justice Européenne autoriser les Etats à ne pas délivrer les avantages sociaux à des immigrés « économiques » ? Si je me souviens bien, la décision a été prise dans le cadre d’émigrés roumains. On pensera aussi aux engagements de Monsieur JUNKERS contre les évasions fiscales.

]].Mais ces dispositions constituent une sorte de patchwork sans grande cohérence, elles veulent colmater des brèches alors que la réflexion doit être plus profonde.

On observe d’ailleurs que la « Mondialisation » se limite dans les faits à certains domaines : le commerce, les matières premières, la finance… mais les gens, c’est autre chose. Cette difficulté à gérer les migrations est une illustration édifiante de l’ambigüité du concept de « mondialisation ».

Il y a évidemment un certain cynisme dans la stratégie actuelle consciente ou inconsciente. La fameuse « Richesse des nations » d’Adam Smith n’a jamais vraiment existée[[La Grande Bretagne a fait sa fortune en exploitants ses colonies comme beaucoup de pays occidentaux : la Belgique n’est pas en reste dans ce domaine.

]]. La Chine qui achète des terres en Afrique pour nourrir sa population, Nestlé qui s’accapare les nappes d’eau potable pour les destiner à la grande exportation, la pèche internationale qui détruit la pèche indigène au Sénégal… sont autant d’exemples flagrants du court-circuit désastreux des systèmes. Ils ne mènent qu’à la frustration des populations et leur révolte.

Sans doute trouvera-t-on là quelques motivations de la piraterie Somalienne, de la rage de l’EIL…

On ne peut faire l’impasse sur le choix délibéré de systèmes de redistribution en fonction des sensibilités des populations concernées pour ensuite les connecter de manière à ce que chacun d’eux puisse vivre de manière autonome. C’est une condition sine-qua-non d’une transition paisible.

Tout le débat actuel sur le traité de libre-échange transatlantique est le signe d’une prise de conscience sociopolitique de plus en plus large. Cette prise de conscience est essentielle[[Je plaide pour un cours de culture socio-économique obligatoire dès l’âge de 12 ans.

]] pour un choix délibéré.

Entre Etat et marchés.

Que le pouvoir soit un homme, un Etat ou même les marchés, c’est lui qui gère la redistribution. En effet, il peut « prélever » d’autorité, il fait tourner le système, peut intervenir lors d’une catastrophe, pallier les déficiences, organiser la société (que ce soit par la force, la générosité, la conviction…) : cette gestion est la justification de son existence et une condition essentielle de son maintien.

Dans une démocratie qui porte bien son nom, il faut, de toutes les manières, que chacun y trouve son compte et qu’aucune tranche de la population ne soit laissée de côté : c’est un des pans de la démocratie, la solidarité.

D’une part il est démocratiquement inacceptable que certains soient exclus de facto sans qu’ils ne l’aient demandé et d’autre part l’exclusion est déstabilisante pour l’équilibre sociétal : l’exemple de nos émigrés de la 2ème ou 3ème génération qui se sentent largement exclus l’illustre bien.

Que reproche-t-on à l’Etat ? Son manque d’efficacité ? Son manque de contrôle ?

Ne suffirait-il pas de bien l’encadrer pour corriger ses errements ?

Les marchés seraient-ils plus efficaces ?

Pour moi, c’est un acte de foi. Si les marchés étaient tellement efficaces, cela se saurait depuis longtemps ! Il n’y aurait plus ni tiers-monde ni quart-monde et les USA, champion du tout aux marchés, serait un pays de cocagne où chacun vivrait correctement…accueillant sans hésitation les immigrés Mexicains !

On ne peut se passer des marchés mais ils doivent évidemment être encadrés par les Etats, la crise de 2008 le démontre sans ambigüité.

On ne peut donner le pouvoir aux marchés car ils servent des intérêts parcellisés, émiettés, souvent aveugles de l’intérêt général et il me semble bien léger de prétendre que l’intérêt général se compose de la rencontre de tous les intérêts particuliers.

Ainsi donc, dans nos démocraties, il me semble logique que ce soit l’Etat qui se charge de la redistribution fondamentale de base : premier pilier de pension solide et suffisant, sécurité sociale solide, enseignement public et gratuit, allocation d’étude substantielle[[On peut ici reparler de l’allocation universelle qui fait la synthèse de beaucoup de choses et un outil de redistribution généraliste.

]]… permettant à chacun de participer dignement à la vie socio-économique. Il faut évidemment aussi que l’Etat sorte des influences lobbyistes car, autrement, lui aussi tombera dans le travers des intérêts parcellisés et émiettés : les niches fiscales illustrent à merveille le glissement du système.

Le rôle de la monnaie.

C’est un point fondamental car les monnaies régulent l’équilibre entre les systèmes. Suite à la crise de 2008 et la situation grecque on a parlé de la sortie du maillon faible, la Grèce, de la zone Euro. On aurait pu évoquer le maillon fort l’Allemagne ou les Pays-bas. Les uns tirent la monnaie vers le bas, les autres vers le haut et c’est tout le dilemme de l’euro qui doit couvrir plusieurs systèmes différents.

L’adage « L’argent n’a pas d’odeur » est lourd de sens et dépasse largement celui qu’on lui donne habituellement. En fait, la monnaie est comme un voile qui occulte tout. Le contrôle actuel des comptes bancaires et des flux d’argent pour dépister « l’argent sale », l’argent du terrorisme, celui issu de la fraude… témoigne bien de ce manque « d’odeur » de la monnaie. Que ce soit le revenu du travail, un revenu mobilier, un pot de vin, le profit de la traite humaine… il peut servir indifféremment. En soi, c’est évidemment un bien mais dans les faits cela implique des inconvénients majeurs que l’on ne pourra jamais éviter mais que l’on doit limiter.

La monnaie reste un bien commun, quoiqu’on puisse en dire, puisqu’elle sert à distribuer la production commune : à ce titre on ne peut en faire n’importe quoi et en user sans aucune contrainte.

C’est aussi dans cet esprit que la limitation de « la rémunération des cadres » doit être traitée et non seulement dans un esprit d’équité sociale. En effet, je me demande à quel titre les actionnaires d’une entreprise peuvent-ils accorder aux dirigeants qu’ils engagent pour gérer leurs actifs un droit démesuré de prélever sur la production de tous ? Qu’ils les rémunèrent avec leur propre production… pourquoi pas, cela reste en famille…[[Ainsi le PDG d’AB Inbev recevrait son traitement en hectolitres de bière, le patron de Belgacom aurait un super abonnement GSM 5G… un peu de dérision ne fait pas de tort, surtout lorsqu’il s’agit de parler de ces super-patrons qu’on pourrait apparenter davantage à des mercenaires financiers qu’à des entrepreneurs.

]].

On peut aussi citer bien d’autres cas, celui des super sportifs, des super artistes… et ces rentiers de la spéculation.

Il y a plusieurs mois, sortait un ouvrage d’un jeune rentier (la quarantaine) qui expliquait comment procéder pour devenir rentier rapidement.

C’est surréaliste car il est évident que tout le monde ne peut y arriver… ou bien on peut sérieusement réduire le temps de travail. Le rentier à 40 ans « exploite » inévitablement les autres : on revient au servage. Il faut admettre qu’au pays des riches il faut des pauvres : si tout le monde est riche… tout le monde devient pauvre car ce qui différentie un riche d’un pauvre c’est sa capacité de puiser dans la production commune !

Je trouve désolant que ce genre de comportement soit magnifié alors qu’il devrait être refusé[[La « haine du riche » n’est-elle pas la réponse au « mépris du pauvre » ?

]]. Ce phénomène résulte d’un manque cruel de culture socio-économique. C’est d’autant plus stupéfiant lorsque le politique se pique au même jeu : n’a-t-on pas vu fleurir, il y a un peu plus d’une dizaine d’années, des affiches avec la Wallonie qui gagne et un Albert Frère triomphant ?

On le sait, la part de « capitalisation patrimoniale » devient excessive[[« Le capital au XXIème siècle » Thomas PIKETTY

]] et elle menace les équilibres, en premier lieu l’équilibre social.

Une redistribution patrimoniale [[On doit évoquer ici les difficultés à concevoir ce processus dans nos pays. Tout récemment, en Espagne, le décès de la duchesse d’Alba révèle des sommes astronomiques. Mais il semble que l’Etat espagnol accorde à la succession un régime fiscal dérogatoire.

]]doit se faire rapidement, c’est aussi une condition essentielle à une transition paisible. J’estime que l’accumulation de capital est tout aussi dangereuse que le défi du vieillissement. L’un comme l’autre représente des tranches de population non productives au sens primaire du terme, l’un comme l’autre exercera une ponction sur la production des actifs pour se rémunérer. Le problème principal sera alors de produire suffisamment pour répondre et aux besoins des actifs et aux ponctions des non actifs. On parle ainsi du travail.

Le travail en débat.

Un soir de novembre, sur la RTBF, un économiste[[CQFD le 18.11.2014 Monsieur de Callatay

]] déclarait qu’entre, d’une part, 80% de personnes ayant un emploi de bonne qualité avec 20% de personnes sans emploi et, d’autre part, 90% de personnes ayant un emploi de qualité moindre mais seulement 10% de personnes sans emploi, il fallait choisir la seconde proposition.

Ce propos est interpellant.

Car, tant qu’on y est, pourquoi pas 100% d’emploi, même de moindre qualité et 0% de sans emploi ?

Si le plein emploi est irréaliste, où est la limite du réalisme, 90%, 80% ou 70%… en fait, ici encore apparaît la question du taux de redistribution qu’on accepte dans le système.

Là aussi se situe tout le débat sur le concept des heures supplémentaires et la réduction du temps de travail pour le partager, tout comme celui sur la répartition des gains de productivité entre le travail et le capital…

Il semble, en matière d’emploi, préférable d’avoir un décalage entre la demande et l’offre afin de maintenir le marché en tension pour lisser les salaires moyens vers le bas. Ce sont les lois des marchés et on doit se demander si la collectivité ne devrait pas davantage s’occuper de ces salaires. Est-il vraiment normal que ceux-ci se traitent de manière sectorielle faisant du personnel de tel secteur des privilégiés par rapport aux autres[[C’est également valable pour les fonctionnaires.

]] ? Une nouvelle fois, il me semble important de se rappeler que la rémunération attribue un droit de prélever sur la production collective.[[Est-ce du « collectivisme » ? A chacun de juger mais, soit on laisse les flots s’écouler au gré du courant au risque, lors « d’intempéries » comme en 2008, d’engloutir ce qui se trouve sur son passage, soit on dresse digues et berges pour prévenir.

]]

Revenons au propos de cet économiste pour nous demander ce qu’on fait des 10% sans emploi. Certains préconisent de les mettre au travail « d’utilité publique », ou à disposition de l’une ou l’autre entreprise ou association…

Si c’est pour satisfaire des besoins[[Et on sait à quel point des besoins dans le non marchand sont insatisfaits.

]], on ne voit pas très bien pourquoi ces activités ne pourraient pas faire l’objet de contrats de travail en bonne et due forme, si ce n’est parce qu’on n’accorde de véritable valeur qu’au « marchand », c’est-à-dire au domaine où les marchés interviennent.

Mais le propos de cet économiste se rattache évidemment à la compétitivité de nos entreprises. On revient ainsi aux systèmes de redistribution en concurrence[[Notre pays est souvent mis en comparaison avec l’Allemagne face à laquelle nous perdons des parts de marché. Il est clair que l’Allemagne a modifié son système il y a une bonne dizaine d’année. Elle en tire actuellement un profit mais il n’est pas certain qu’il perdure : tout semble montrer qu’il s’essouffle et cela peut se comprendre puisqu’elle a appauvri une part de ses clients. Par ailleurs le système des petits boulots et cotisations sociales réduites constituent probablement une bombe à retardement.

]].

Pour notre pays, gros exportateur[[Il faut bien compenser la masse d’importations, ne serait-ce qu’en matière énergétique. Il est certain que la recherche d’une plus grande autonomie dans ce domaine de l’énergie apaiserait ce genre de tension.

]], tous les éléments qui composent un prix de revient sont sensibles, y compris la charge salariale et, corollairement, la souplesse de notre marché de l’emploi.

Je trouve intéressant de relever ici une des propositions du récent prix Nobel français, Jean TIROLE qui préconise de faire payer davantage de charges sociales aux entreprises qui licencient.

On doit, en effet, s’interroger sur la répartition de la participation à ce qu’on a coutume d’appeler « les dépenses sociales »[[Un organisme proche de l’OCDE vient d’établir que la France consacrait près de 32% de son PIB aux dépenses sociales, la Finlande et la Belgique près de 31, le Danemark 30, l’Allemagne 25.8… pour une moyenne de 21.6 au niveau de l’OCDE. A noter, que le bas du classement est occupé par les USA, 19.2, la Slovaquie 18.4 et l’Estonie 16.3

]]. Les charges sociales sont prélevées sur base des rémunérations. En d’autres termes c’est celui qui emploie le plus qui paie le plus.

C’est, je crois, un héritage de l’histoire. Les cotisations ont davantage été conçues comme des « assurance » ou « transfert de risque » que comme processus de redistribution. Tout le monde doit contribuer à la redistribution alors que seuls les concernés s’assurent ou veulent transférer les risques.

Il semblerait plus judicieux, à l’instar de la proposition de Jean TIROLE, d’intégrer dans le calcul des cotisations un ratio du style « rendement et profit/travail rémunéré ». Ainsi une entreprise largement automatisée cotiserait proportionnellement davantage.

Si on veut croire en une croissance continue et infinie, il faut également croire en une augmentation constante de la productivité, de l’automatisation et en la suppression progressive de l’emploi.[[Certaines études prédisent une diminution des emplois, on annonce même la disparition de près de 50% des métiers actuels.

]] Il est clair que ce processus est actuellement en marche. Il n’y a pas que les délocalisations qui réduisent le nombre d’emplois, il suffit de voir les guichets de banque, les chaines de montage de voitures, la technique des call-center… On va inexorablement vers le trou noir avec le même système de cotisations.

La stratégie actuelle d’évitement consiste à tenter d’encourager les nouveaux emplois par des réductions de charges pour les entreprises, maintenir des actifs plus longtemps au travail et réduire certaines prestations sociales.

Si le premier volet peut avoir du sens, bien que l’expérience montre depuis des décennies qu’il est peu efficace, le second volet reste étonnant, voire dangereux. En effet, c’est troquer une catégorie de non-actifs contre une autre. Retarder l’âge de la retraite c’est inévitablement retarder la mise à disposition d’un emploi pour un plus jeune ET, de ce fait, augmenter le coût salarial puisque le salaire augmente généralement avec l’âge.

Ce cocktail me semble explosif et le consensus qui se dégage pour ces solutions m’étonne. C’est une conjonction momentanée d’intérêts contradictoires.

En conclusion, 54% ou 49% ?

On peut sans doute réduire le taux car les non actifs ont généralement moins de besoins que les actifs. Mais les investissements collectifs, la gestion de l’organisation commune…. exigent bien plus que ce qu’on leur accorde aujourd’hui. Confier ces fonctions aux marchés c’est encore aller vers une augmentation de la part du capital : lorsque les communes confient à des agences privées la vérification des parcmètres, elles cèdent une part de leur bénéfice potentiel au capital de l’agence. De même lorsque le Forem confie à une société implantée à l’étranger la gestion de son call center, outre le fait qu’il est totalement en décalage avec son métier, il enrichit un capital situé à l’étranger. Mais on touche là à la règlementation sur les marchés publics, une autre manière de court-circuiter les systèmes….. etc

Conclusions.

La «Transition » impose de revoir de toute urgence le paradigme fondamental : toute société humaine se construit sur la redistribution des biens et services.

L’Etat, au sens où il incarne le pouvoir, est le mieux placé pour organiser cette redistribution.

J’aime, en fin de compte, défendre un Etat au sens de Collectivité dans son rôle régulateur : je ne m’en cache pas.

Je suis persuadé que c’est une clef essentielle de la transition.

Il faudra sans doute, au préalable, remettre en question certains dogmes économiques que l’on a tendance à ériger en lois naturelles… même dans le monde politique qui est censé faire les choix.

Lorsqu’on me dit « Une entreprise doit faire du profit », je me dis que c’est discutable et qu’en terme sociétal, ce n’est pas la priorité mais un corollaire de la participation du capital.

Lorsqu’on me dit « L’Etat est en faillite », je ne suis pas convaincu : l’Etat n’est pas une entreprise et ce qui met un Etat en difficulté, c’est le court-circuitage des systèmes. Une entreprise en faillite meurt : une collectivité ne meurt pas, sauf génocide ou cataclysme naturel. Il y a 30 ans, chaque trimestre vous trouviez aux guichets bancaires des bulletins de souscription aux emprunts d’Etat. Le citoyen y plaçait une part de son épargne, la dette collective était ainsi prise en charge automatiquement par la collectivité : elle assumait par l’inflation, la dévaluation de sa monnaie, la réduction de sa réserve or. La mondialisation financière à certes ouvert de nouvelles perspectives aux dettes dites « souveraines » mais elle a dilué les engagements et a laissé les collectivités aux mains d’un capital aveugle.

Il existe un enjeu majeur que je n’ai que très peu évoqué, celui du volume de richesse à redistribuer… mondialement ! Si un « système » a suffisamment de richesse à redistribuer, ou du moins qu’il s’en donne l’illusion, et qu’un système voisin n’en n’a pas à suffisance, ou du moins ne s’en donne pas les moyens, chacun comprendra que le statu quo est impossible. Migrations, spoliation, guerre… c’est l’issue inéluctable et on peut faire le tour du monde des conflits actuels, je serais curieux qu’on m’en cite un qu’il soit impossible de décoder sous cet angle. A contrario, les mouvements indépendantistes actuels viennent de régions généralement riches qui refusent les transferts.

C’est évidemment un facteur majeur de la « transition paisible ». L’illusion, dans ce monde surpeuplé que l’on peut vivre seul et laisser son voisin mourir de faim, est totalement suicidaire : ici encore, nous parlons de redistribution, mais à l’échelle planétaire.

La question devient alors « Y aura-t-il suffisamment de production à redistribuer ? »

Je suis persuadé que le problème n’est pas de capitaliser pour le futur mais bien de préparer la production du futur. Pour cela, il faut consommer aujourd’hui le capital et préparer les outils de demain… ce ne me semble pas être l’attitude que l’on adopte aujourd’hui.

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