1. La filière porcine dans le contexte de l’agriculture wallonne

En Wallonie, le développement de la filière porcine est régulièrement sous les feux de l’actualité ! Il n’y a pas un mois sans que l’on évoque, dans les médias régionaux ou locaux, un dossier d’implantation de porcherie, qualifiée d’industrielle, qui attise les passions politiques ou citoyennes.

Dans le domaine des productions animales, la viande bovine constitue l’activité principale importante en Wallonie, essentiellement située dans le sud de la région, et particulièrement dans la province du Luxembourg. Traditionnellement, l’agriculture wallonne n’est pas orientée vers l’élevage et l’engraissement porcins même si, jusqu’il y a une vingtaine d’années, de nombreuses fermes détenaient quelques cochons principalement destinés à la consommation familiale. Les secteurs agro-alimentaires en amont et en aval de la production porcine en Wallonie sont également moins développés qu’en Flandre où l’on compte d’importantes firmes d’aliments, de bâtiments et d’équipements, des chaînes d’abattage de très grande capacité et des industries de transformation. En Région wallonne, les deux abattoirs principaux sont situés à Mouscron (SA Goemaere) et à Aubel (SA Detry).

En 2005, la Région wallonne compte 365.693 porcs sur les 6.318.213 recensés en Belgique dont plus de 50.000 animaux sont situés sur la seule commune de Commune-Warneton . On peut donc dire que la production porcine est encore relativement marginale en Région wallonne par rapport à l’ensemble du pays.

La production de viande blanche (élevages porcins et avicoles) suscite, depuis une dizaine d’années, un intérêt croissant chez des agriculteurs en Wallonie, en recherche d’une activité complémentaire rémunératrice, particulièrement pour des porcheries et poulaillers de type industriel. En production porcine, ce sont principalement les activités d’engraissement plutôt que d’élevage qui attirent le plus grand nombre d’agriculteurs pour diverses raisons : l’engraissement réclame des investissements moins lourds, nécessite moins d’expertise technique et peut être pratiqué comme activité secondaire (à côté d’autres spéculations animales ou végétales), ce qui est moins évident pour les activités d’élevage relevant d’un métier à part entière.

Aujourd’hui, la plupart des projets de porcheries sont conçus en intégration, cela signifie qu’ils sont liés contractuellement à l’amont et à l’aval du secteur de la production primaire (industrie agro-alimentaire au sens large, c’est-à-dire des fournisseurs d’aliments et services, abattoirs, …). Aujourd’hui, les projets en intégration bénéficient d’une meilleure crédibilité auprès des organismes bancaires que les projets indépendants, jugés plus risqués. Les incertitudes qui pèsent sur le prix des matières premières agricoles (céréales…) et de l’énergie fossile conduiront certainement à une augmentation du nombre de projets dits intégrés au détriment des projets indépendants.

2. Quels enjeux derrière la qualité de la production porcine

Au-delà des questions fondamentales relatives aux orientations et au développement de notre agriculture dans laquelle se projette la filière porcine en Wallonie, se posent les enjeux de la qualité de la production : quelle qualité, pour quelle spécificité et quels consommateurs ?

La qualité de la production et de la viande de porc est importante au regard de la consommation quand on sait que sur les 100 kg de viande que consomme annuellement le belge, 50 kg provient de la viande de porc. C’est également important quand on sait que 15% de la dépense en viande fraîche des ménages est destiné à l’achat de viande de porc. La qualité de la production porcine est tout aussi importante lorsqu’on sait que dans le rang des appellations européennes, en l’occurrence l’Indication géographique protégée (IGP) sont élevés deux produits à base de porc : le Jambon d’Ardenne et le Pâté Gaumais.

Il y a 25 ans, la qualité évoquait surtout des méthodes de production traditionnelles ou des caractéristiques organoleptiques supérieures. Mais les crises alimentaires ont engendré un amalgame avec les exigences sanitaires et hygiéniques. Or la qualité ne se résume pas à l’absence de défauts et de micro-organismes.

Face à cette évolution partageant d’un côté les adeptes de la vision sécuritaire et hygiéniste de la qualité et de l’autre ceux de la vision de la qualité « supérieure », les enjeux techniques se sont imposés naturellement dans tous les débats, d’autant plus que la production est, à juste titre, une activité économique avec des impératifs de rentabilité. Aujourd’hui, en Région wallonne, alors que la politique de qualité des produits n’occupe que peu de place par rapport à la production « standard », la qualité est un subtil mélange mais surtout un compromis entre :

 des critères techniques qui s’imposent à tout mode de production en agriculture (génétique, alimentation, conduite d’élevage, bâtiments/équipements) ;

 des critères technologiques liés à la spécificité de la viande de porc et à la finalité du produit fini : une partie de la carcasse est destinée à la viande fraîche, l’autre étant destinée à la transformation ;

 des critères de rentabilité économique pour tous les acteurs de la filière (en amont, en élevage et en engraissement et en aval : transport, abattage, transformation, distribution) ;

 des critères liés aux débouchés sur le marché interne ou à l’exportation. La Belgique a un taux d’auto-approvisionnement de la viande de porc de près de 200 %, ce qui signifie que 2 kg sont produits pour 1 kg consommé. Aujourd’hui, il est impensable de croire que des critères de qualité supérieure qui seraient définis pour un marché intérieur, répondant à la demande d’artisans locaux ou de consommateurs wallons répondent à la demande standardisée des marchés d’exportation ;

 des contraintes légales qui s’imposent à toute la production indépendamment d’une orientation « qualité supérieure » ;

 les attentes sociétales et citoyennes liées à la production porcine (préservation de l’environnement et du cadre de vie, attention particulière au bien-être animal, …) ;

 les attentes des consommateurs : prix, fraîcheur, disponibilité immédiate du produit, facilité d’utilisation du produit….

3. Origine de la qualité différentiée

La politique « qualité des produits » de la Région wallonne, misant sur la promotion de l’agriculture et sur le développement des produits agricoles de qualité différenciée , a été mise en place en 2002. Les produits de qualité différenciée, issus de toutes filières agricoles et horticoles confondues, sont identifiés par une marque collective communautaire déposée par le Gouvernement wallon. Il s’agit de la marque Eqwalis qui vise à assurer une promotion générique des produits agricoles de qualité différenciée. A l’origine de sa création, l’objectif principal de la marque était d’assurer une promotion pour des produits agricoles d’origine wallonne, reposant sur des critères inscrits dans un cahier des charges reconnu et certifiés par un organisme certificateur indépendant.

Moins de cinq ans après la création, la marque collective communautaire Eqwalis a été abandonnée, sans qu’aucune évaluation n’ait été faite sur les causes de son échec.

Par qualité différenciée, le décret du 2 décembre 2002 fait référence à un « produit présentant un intérêt de par un certain nombre de caractéristiques identifiables liées à son processus de production ou de transformation en respectant un cahier des charges intégrant notamment des critères d’emploi et d’environnement approuvés par le Gouvernement wallon ». Suite à cette définition très générale, des critères minimaux sont définis – ou devraient l’être – par filière sectorielle (porc, volailles, produits horticoles, lait, grandes cultures…).
La qualité différenciée peut être attribuée pour :

 des cahiers des charges reconnus et agréés par la Région wallonne ;

 des produits issus de l’agriculture biologique ;

 des appellations européennes (appellations d’origine protégée AOP, les indications géographiques protégées IGP) .

Les produits de l’agriculture biologique tout comme les appellations d’origine (AOP et IGP) bénéficiant déjà d’un statut de signes officiels de qualité reconnus au niveau européen sont, de façon inconditionnelle, éligibles au rang de la qualité différenciée définie par la Région wallonne.

4. Qualité différentiée et filière porcine

La filière porcine a été la première à mener une réflexion sur les opportunités de la qualité différenciée. Divers cahiers des charges pour la production porcine ont été soumis à la Région wallonne et ont obtenu une agrément comme « filières de qualité différenciée » sur base des critères minimaux relatifs aux techniques d’élevage, à l’alimentation, à la génétique, à l’abattage, à la découpe… Les productions dans les filières agréées sont soumises à des contrôles par un organisme certificateur agréé et indépendant.

Le cheminement d’un cahier des charges dans la reconnaissance de la qualité différenciée est le suivant :
1) un promoteur (une coopérative de producteurs, une société anonyme, une association créée par l’agro-industrie ou des agriculteurs réunis dans d’autres formes juridiques, …) élabore un cahier des charges sur base de critères minimaux incontournables édifiés par arrêté ministériel. ;
2) une commission consultative scientifique remet un avis à la Région wallonne sur base des critères minimaux mais aussi sur le caractère spécifiquement différencié (au niveau du processus de production et de la qualité du produit fini). Le caractère différencié peut porter sur une technique de production singulière, une attention particulière, au bien-être animal, une race originale… ;
3) le cahier des charges est agréé par la Région wallonne et reconnu par Arrêté ministériel comme relevant d’une filière de qualité différenciée ;
4) des producteurs adhèrent au cahier des charges ;
5) le contrôle par un organisme certificateur est prévu auprès des différents intervenants de la filière.

Deux difficultés majeures subsistent par rapport à l’identification et à la spécificité de la qualité différenciée en production porcine.

1) L’identification de la qualité différenciée concerne principalement les techniques de production. L’agrément des produits de qualité différenciée ne repose pas sur une différenciation du goût par rapport à un produit dit « standard » puisque le cahier des charges n’impose pas de tests organoleptiques (goût, saveur, flaveur…). Par simple comparaison, la France, qui mise depuis plus de quarante ans sur une politique des signes d’identification de la qualité et de l’origine, notamment avec le célèbre « label rouge », impose aux produits certifiés des tests de goût et une analyse sensorielle. Le label rouge, qui concerne des produits alimentaires et non alimentaires non transformés (par exemple les fleurs), atteste qu’un produit possède un ensemble de caractéristiques spécifiques établissant un niveau de qualité supérieure à celle d’un produit courant similaire. L’identification des produits « label rouge » repose sur un cahier des charges impliquant une certification. Tous les produits « label rouge » sont soumis à des tests organoleptiques. 500 produits français relèvent du « label rouge », dont de nombreuses viandes porcines.

2) La seconde faiblesse de l’approche de la qualité différenciée en production porcine réside dans le lien direct existant entre la reconnaissance d’un cahier des charges et l’accès aux aides à l’investissement en agriculture. En effet, en production porcine comme en production avicole, les aides à l’agriculture sont conditionnées par l’adhésion du producteur à un cahier de charges reconnu dans le cadre des filières de qualité différenciée. Cela signifie que ces productions reconnues ne se placent pas dans une optique d’offre qualitative mais bien dans une optique opportuniste liée à des aides non négligeables dans le cadre d’un projet d’installation, d’extension d’une porcherie ou d’un poulailler. La logique du cahier des charges pour la reconnaissance d’une filière de qualité différenciée s’inscrit davantage dans l’optique de « production » que dans l’optique « produit final de qualité supérieure». Cet effet pervers subsiste encore même après l’abandon de la marque Eqwalis. On peut se poser la question de savoir quel intérêt les producteurs ont à être identifiés dans le cadre d’une filière de qualité différenciée dès lors que le volet promotionnel prévu initialement dans le cadre d’Eqwalis n’existe plus !

Il réside une troisième difficulté qui n’est pas uniquement liée à la production porcine mais qui concerne généralement tous les signes de reconnaissance des produits agricoles et agro-alimentaires : la multitude de marques publiques ou privées, de labels, d’appellations diverses, de produits certifiés, de « démarches qualité » liées au processus de production/transformation (ISO, HACCP…) rend terriblement complexe le choix du consommateur qui se retrouve face à une multitude d’étiquettes pratiquement illisibles !

Cinq ans après la mise en place de l’Agence wallonne pour la Promotion d’une Agriculture de Qualité (APAQ-W), les pouvoirs publics devraient être amenés à procéder à une évaluation, tant dans le cadre de le volet « politique produits de qualité » que dans le volet « promotion de l’agriculture ». En effet, certaines filières sectorielles éprouvent encore de nombreuses difficultés à définir des critères de production pour une identification et une reconnaissance de la qualité différenciée (lait, grands cultures, viande bovine, …). Dans d’autres filières, le caractère différencié peine à être identifié par le consommateur, faute de différenciation qualitative réellement perceptible, notamment au niveau du goût du produit. Enfin, et c’est le cas dans les filières porcine et avicole, la qualité différenciée conditionne l’accès aux aides à l’investissement pour les agriculteurs, ce qui détourne la politique « qualité des produits » de ses objectifs prioritaires, à savoir :
1) contribuer à la diversification agricole ;
2) mettre sur le marché des produits wallons d’origine agricole de qualité supérieure ;
3) promouvoir l’agriculture wallonne et ses produits auprès des consommateurs en vue de les orienter davantage vers des productions locales ou régionales.

5. Qualité de la production porcine : et demain ?

Dans le cadre du règlement CE 1974/2006 , la Région wallonne sera amenée à une réflexion sur les critères d’éligibilité à adapter pour améliorer la qualité différenciée. Cette adaptation est l’occasion de miser sur des critères d’une politique « produit » permettant d’identifier une typicité pour des productions régionales de qualité. C’est aussi l’occasion d’élever le niveau d’exigence des critères dans le cadre d’une « démarche qualité de la production » qui permette de préserver davantage l’environnement, d’accorder une attention plus particulière au bien-être animal et de miser sur des techniques d’élevage impliquant des pratiques moins intensives. Une qualité différenciée de la production serait destinée au marché régional et bien identifiée par les consommateurs.

La réflexion sur l’avenir de la production porcine dans le contexte de l’agriculture régionale devra notamment poser sereinement les questions suivantes :

 Quel modèle de développement pour quelle agriculture ? Le modèle de développement de la filière porcine (et des filières de viande blanche) ne peut être réfléchi indépendamment de l’agriculture wallonne dans son ensemble et du contexte international. Ceci est loin d’être évident lorsqu’on sait que les Conseils de filières sectorielles sont invités à remettre à l’Agence wallonne pour la Promotion d’une Agriculture de Qualité (APAQ-W) des plans de développement pour le secteur concerné, indépendamment de toute orientation définie préalablement par les pouvoirs publics.

 Quelle production pour quelles relations avec les agricultures paysannes du sud ? Les protéines végétales du sud peuvent-elles encore nourrir notre bétail pour produire des protéines animales consommées en trop grande quantité dans nos pays occidentaux ?.

 Face aux enjeux liés à la réduction des émissions de CO2 et à la limitation de la pression sur les ressources naturelles et énergétiques, peut-on encore décemment faire circuler les matières premières à travers toute la planète ? N’est-il pas urgent de repenser à une relocalisation de l’agriculture, proche des lieux de consommation ?

 Quel soutien public pour le développement et la valorisation des productions locales, pour les produits de qualité supérieure identifiés, pour les produits issus de l’agriculture biologique ? Comment responsabiliser les consommateurs face à leurs choix et habitudes alimentaires ?

Aujourd’hui, personne ne pourra faire l’économie du débat sur l’avenir de l’agriculture wallonne, de son lien direct avec notre alimentation pour :

 redonner du sens à l’agriculture familiale et locale ;

 redéfinir le lien culture-élevage, la liaison au sol en amont (alimentation des animaux) et en aval (valorisation des matières organiques à l’échelle de la Région wallonne, à l’échelle locale et à l’échelle de l’exploitation) ;

 redéfinir les contours d’un développement territorial misant sur la recentralisation des activités, avec notamment le maintien des exploitations au coeur des villages ;

 valoriser le marché régional et local avec des produits destinés à l’alimentation locale, en misant notamment sur un développement de produits à haute valeur ajoutée.

 faire évoluer l’agriculture conventionnelle vers des productions biologiques.

Aujourd’hui, l’objectif fixé par le Gouvernement wallon d’atteindre 10 % de la superficie agricole utile consacrée à l’agriculture biologique à l’horizon 2010 est loin d’être atteint avec, pour l’année 2004, ses 2,7 % de la superficie agricole wallonne qui y sont dédiés.

Toutes ces questions fondamentales doivent être l’occasion de créer un lieu de rencontre et de débats entre citoyens-consommateurs et agriculteurs et pour mettre sur la table des questions relatives à la surconsommation de viande dans nos régions. Aujourd’hui, il est encore tabou de mettre sur la table cette question de la surconsommation alimentaire, en particulier celle de viandes. Pourtant, le belge consomme en moyenne 100 kg de viande/an (270 g/jour) dont essentiellement de la viande de porc (50 kg/habitant/an ou 135 g/habitant/jour). Les impacts de la production et de la consommation de viande, notamment sur l’environnement ne sont plus à démontrer . La consommation de viande dans l’Union européenne n’est possible que parce qu’ailleurs dans le monde, l’équivalent de sept fois la superficie des terres agricoles de l’Europe est consacré à produire des aliments pour le bétail européen !

6. En conclusion…

Le débat sur la qualité différenciée est indispensable si l’on veut conserver une crédibilité pour le secteur vis-à-vis de tous les acteurs de la filière et des consommateurs. Mais le problème de l’acceptation sociétale de la filière porcine en Wallonie dépasse largement celui de la définition de critères de qualité qu’ils soient liés à une « démarche qualité » (mode de production orientée par exemple vers la préservation de l’environnement, vers le bien-être animal, vers des conduites d’élevage plus traditionnelles comme le porc en plein air par exemple, méthode de production traditionnelle) ou à une destination « qualité produit fini » (amélioration du goût).

Le débat ne peut exclure les questions fondamentales des liens entre agriculture, alimentation, environnement et société !

Share This