Depuis plusieurs mois et de façon spectaculaire, le dossier énergétique marque les esprits, sauf apparemment ceux qui composent le gouvernement Verhofstadt II ; l’état répété de catalepsie dans lequel les plonge le dossier Electrable frise la haute trahison.

Guerre en Irak, dégradation climatique, pics d’ozone ou de particules, flambée du prix du brut, chèques mazout, bénéfices faramineux du secteur pétrolier et on en passe : le défi énergétique est devenu un enjeu central pour nos sociétés, que ce soit dans ses dimensions économiques, sociales, environnementales ou politiques, d’autant plus que la mondialisation accroît l’interdépendance énergétique à l’ensemble de la planète et rend toujours plus visible un nouvel apartheid dans l’accessibilité à l’énergie.

Il s’agit d’une question politique absolument majeure mais sa technicité et son ampleur en rendent les termes peu clairs, dans un débat public qui reste largement à construire. Chacun perçoit un peu confusément qu’il serait bien urgent d’agir mais qu’il est tout aussi difficile d’élaborer une vision globale et cohérente. Face à l’ampleur des enjeux, c’est bien entendu une politique et une stratégique énergétiques à l’échelle du continent qu’il conviendrait d’élaborer. Mais en attendant le consensus européen sur cette question hautement sensible, les Etats et les pouvoirs publics doivent aux citoyens et aux consommateurs de répondre à ce même défi, en se préoccupant à la fois de la sécurité d’approvisionnement, du défi climatique, de la sécurité des personnes, de leur responsabilité vis-à-vis de la planète, des enjeux de la régulation du marché dont ils sont le garant. Bref, l’énergie n’est pas un marché comme un autre : c’est un secteur stratégique qui doit être régulé.

De façon consternante, à ce moment précis où l’évidence explose aux yeux de tous que l’énergie est au cœur même des enjeux structurants de l’avenir, le gouvernement belge décide que le mieux qu’il ait à faire est de laisser les coudées franches au seul secteur privé et à l’État français. Au moment où un homme aussi avisé en affaires que le n°2 de Total, François Cornélis, déclare au sujet de la localisation des centres de décision des grandes entreprises que « l’avenir des centres de décision est essentiel pour les pays » (1), la Belgique ne fait rien d’efficace pour les retenir, le secteur énergétique étant d’ailleurs loin d’être le seul exemple récent.

À part dans l’Italie de Berlusconi, on a rarement assisté à un tel saccage des prérogatives publiques par les responsables politiques eux-mêmes. Et on est obligé de se rendre compte que la plupart de nos capitalistes nationaux n’ont que le patriotisme de leur portefeuille et qu’on dispose d’un gouvernement qui semble se dire « si c’est bon pour eux, c’est bon pour nous ».

La possibilité de mener dans notre pays une politique énergétique avec des préoccupations publiques (tarification, accessibilité, sources d’énergie, etc.) est aujourd’hui largement compromise, et personne n’est en mesure de dire ce que les 4 milliards d’€ provisionnés par les consommateurs belges pour le démantèlement des centrales en fin de vie vont devenir. Les mêmes qui qualifient régulièrement les écologistes d’irresponsables en matière énergétique viennent tout simplement de remettre les clefs de l’avenir énergétique du pays à nos voisins. Ce faisant, ils ont tout bonnement renoncé à représenter les citoyens sur un sujet absolument crucial pour notre avenir commun. Nous dénierons désormais quant à nous la moindre légitimité en la matière à ces irresponsables avérés.

« La civilisation moderne repose sur l’afflux constant d’une quantité imméritée d’énergie dans l’espace de l’entreprise et du vécu », écrit Peter Sloterdijk. Un modèle fondé tout entier sur le gaspillage, auquel le gouvernement belge vient d’apporter sa modeste mais efficace contribution.

Pour etopia,
Eric Biérin

(1) Dans Le Soir des 25 – 26 février 2006. Il y prône d’ailleurs aussi le développement du nucléaire. Nous y reviendrons dans un prochain édito.

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