Depuis quelques années, les initiatives de transition se multiplient. Elles forment aujourd’hui un mouvement planétaire appelé “villes et villages en transition”. Ce “mouvement”, qui expérimente de nouvelles manières de vivre, a beaucoup de valeurs et d’objectifs en commun avec l’écologie politique. Pourtant, initiatives de transition et écologie politique se côtoient peu. Que peut donc bien éloigner et rapprocher le courant politique et le courant citoyen ?

Les initiatives de Transition[[Sur la transition, voir Rob HOPKINS : The Transition Handbook: from oil dependency to local resilience, publié en français par Silence/Ecosociété en 2010 sous le titre Manuel de Transition, de la dépendance au pétrole à la résilience local. Voir aussi les articles publiés par « Barricade » : http://www.barricade.be (Liège) : Christian JONET Introduction à la Transition Economique et Ecologiquei, ainsi que Pablo SERVIGNE La Transition, histoire d’une idée. Voir aussi le bimestriel IMAGINE demain le monde, n° 83, jan/fév.2011.]]

Le mouvement de la Transition est né en Grande-Bretagne en 2006 dans la petite ville de Totnes. C’est Rob Hopkins, enseignant en permaculture, qui y lance la première ville en Transition. Rob Hopkins se base sur un double constat : les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) sur lesquelles repose notre civilisation arrivent à épuisement[Rob Hopkins se préoccupe beaucoup du pic pétrolier. ]] et les changements climatiques vont affecter profondément notre environnement et donc notre manière de vivre. Pour Rob Hopkins, il s’agit dès lors de changer de modèle de société rapidement et de construire de nouveaux modes de vie moins dépendants du pétrole et plus respectueux de l’environnement, source de toute prospérité. En mettant en route Transition Town Totnes[[Voir : [http://www.transitiontowntotnes.org/ ]] (Totnes Ville en Transition), Rob Hopkins et quelques-uns de ses concitoyens lancent donc concrètement un ensemble de projets : des groupes d’achats en commun, des potagers individuels et collectifs, un programme d’économie d’énergie dans les ménages, une monnaie locale  (la Totnes pound), un groupe de cyclistes au quotidien, un atelier de réparation de vélos, de l’habitat partagé ou encore, entre autres, le développement d’un projet d’éolienne.

Depuis cette première expérience à Totnes, des « initiatives de Transition », ou « groupes de Transition » ou encore « villes et villages en Transition », sont apparus un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, environ 2000 initiatives existeraient dans plus de 50 pays[Voir : [http://www.reseautransition.be/ ]]. Ces initiatives, dont beaucoup sont connectées au réseau de la Transition (Transition Network[Voir : [http://www.transitionnetwork.org/ ]]), concernent les besoins fondamentaux de toute communauté humaine : alimentation saine et équilibrée, énergie propre et bon marché, milieu de vie convivial, économie locale forte et au service de tous, moyens de transport commodes et citoyenneté, par exemple.

La Belgique compte des dizaines de villes et villages en Transition. Tout en s’inspirant des réalisations d’autres groupes, chacune de ces initiatives se construit de manière indépendante, en fonction du contexte local et des ressources disponibles, mais aussi des compétences et des motivations des personnes qui portent les projets. À chaque fois, ces initiatives sont fondées sur une vision positive de l’avenir, sur la volonté de retrouver un bon degré d’autonomie par la relocalisation, sur la volonté de restaurer la convivialité et la solidarité par l’intensification des liens sociaux et sur le développement et la valorisation des compétences de chacun, ce que permettent les dynamiques participatives et la responsabilisation de tous. Si l’expérience de Rob Hopkins offre une base de travail, elle ne sert pas de modèle à reproduire et il n’y a pas de réponse toute faite. De plus, toute initiative de Transition s’inscrit dans une philosophie qui reconnaît les réalisations portées par d’autres, qu’ils se considèrent ou non comme transitionnaires.

La Transition, une nouvelle manière de penser et de faire

Ainsi, en Belgique, depuis quelques années, les initiatives ne cessent de fleurir. Certaines sont modestes et d’autres beaucoup plus ambitieuses. Elles prennent la forme de potagers partagés, de repair café[Voir : [http://www.repaircafe.be/fr/ ]], de coopérative de production alimentaire[Par exemple : [http://compagnonsdelaterre.be/ ]], de coopératives d’achat et de vente de produits locaux[Par exemple : [http://www.cellierdelahautesambre.be/ ]], de monnaies locales et complémentaires[Par exemple : [http://valeureux.be/ ]], des ceintures « aliment-terre »[Comme à Liège : [http://www.catl.be ou à Ath : http://www.caliterre.be ]], de marché locaux et, entre autres, de projet dans le domaine de la mobilité douce ou de l’habitat.

Certains diront qu’il n’y a pas grand-chose de neuf, que l’on n’a pas attendu Rob Hokpins ou les transitionnaires pour lancer des coopératives ou des potagers partagés. Certes. Mais soulignons que les acteurs des initiatives en Transition ne prétendent pas innover à tout prix et ne revendiquent aucun statut. Ceci dit, au travers de leur prise de conscience et de réalisations concrètes, les transitionnaires proposent une rupture avec le modèle socio-économique dominant. Il est intéressant de l’analyser.

D’abord, il y a cette prise de conscience. Les groupes qui mettent en œuvre des initiatives de transition sont composés de personnes qui ont « ouvert les boites noires »[[L’expression est du philosophe Pascal Chabot, dont nous recommandons vivement la lecture. ]] d’une civilisation qui évolue grâce à des moyens colossaux et disproportionnés qu’elle refuse de voir[[Pascal CHABOT, L’âge des transitions, PUF, 2015.]]. Par exemple, Rob Hopkins rappelle que l’on estime que 40 litres d’essence contiennent l’équivalent énergétique de 4 ans de labeur manuel humain. Les transitionnaires ne se contentent pas de faire le constat des changements climatiques, de l’épuisement des ressources ou de la détérioration de notre milieu de vie. Ils remontent aux racines du problème et reconsidèrent les moyens mis en œuvre par notre société. Pour les transitionnaires, les pansements ne suffissent pas, il faut aller plus loin que de proposer des aménagements pour sauver le système socio-économique dominant.

Avec le mouvement de la Transition, le changement change donc de nature. Pour se lancer dans la transition, il faut que les personnes, individuellement puis collectivement (la communauté, le groupe) initient d’abord le changement en eux-mêmes. Il y a une prise de conscience et une remise en question profonde des valeurs dominantes et de leur hiérarchie. Et le groupe, et chacun de ses membres, finissent par avoir une nouvelle conception du sens de la vie, du progrès, du travail, de l’échange, du bonheur, ou de la place de l’être humain dans l’univers, par exemple. Ils intègrent, incarnent, vivent d’abord ce changement en eux-mêmes avant de mettre un projet en place. Le changement passe donc par la connaissance indirecte, c’est-à-dire la connaissance personnelle ou « identitaire ». Pour l’exprimer autrement, c’est le type de connaissance qui ne transforme pas seulement les structures socio-économique ou politique ou l’environnement de la personne et du groupe, mais qui transforme d’abord la personne et le groupe. Les membres d’une initiative en transition se voient (individuellement et collectivement) autrement, ils changent d’identité.

Ensuite, les initiatives de transition sont un nouveau rapport à la connaissance. Il n’existe pas de modèle préconçu, de théorie à appliquer. Pour les transitionnaires, de nouveaux modèles apparaissent en se construisant. Cet enjeu se situe dans l’ordre de l’engendrement et non de l’application. La Transition ne se pense pas avant, mais se pense en se construisant. L’expérience est de nouveau au centre du progrès. Contrairement aux modèles dominants (de gauche ou de droite) la théorie ne précède plus l’action.

Enfin, pour les transitionnaires, le chemin ou processus est plus important que le résultat. Dans le système dominant, c’est-à-dire dans un système qui mise tout sur l’efficacité, le plus important est le résultat (ou le produit fini). La Transition se propose de (re)considérer le processus, le chemin qui amène à du changement, à un résultat. S’il n’y a pas de lien entre le processus (la démarche) et le résultat (comme par exemple avec le transfert de technologie des pays industrialisés vers les pays du Sud dans la coopération au développement), si on ne sait pas expliquer en quoi le processus améliore le résultat, alors on reste dans le vague et on n’améliore pas la résilience, c’est-à-dire l’autonomie de la communauté (ou de l’individu). Pour les transitionnaires, ce n’est pas le résultat qu’il faut reproduire, c’est au processus qu’il faut travailler. C’est la démarche qui amène à un bon résultat que l’on reproduit. Non pas que les transitionnaires n’accordent pas d’importance au résultat ou à l’efficacité (qui est le rapport entre résultats obtenus et objectifs visés), mais ils valorisent l’efficience (qui est l’optimalisation des ressources mises en œuvre pour atteindre un résultat – pour éviter le gaspillage et les effets collatéraux) et le processus qui renforce la résilience. Les expériences de certification participative en agriculture, les expériences agro-écologiques ou de nombreux exemples d’innovation sociale l’illustrent bien.

Pour conclure sur ce point, nous pouvons dire que ce qui est au cœur du mouvement de la transition c’est l’expérimentation de nouvelles manières de vivre et de vivre ensemble, plus respectueuses de l’être humain, des forces et des faiblesses de chacun, plus solidaires, plus juste socialement, plus équitables économiquement et écologiquement plus viables. Pour les acteurs de la Transition, il s’agit de restaurer la résilience, ou autonomie, des communautés et de permettre à chacun de développer les connaissances et compétences qui rendent indépendant d’un système économique non durable et non démocratique. Ils entendent prendre leur responsabilité par une action qui se veut locale dans le cadre d’un changement plus global.

Enfin, les acteurs des initiatives en transition sont convaincus que les réussites de petits groupes peuvent rayonner et que celles-ci participent au changement des mentalités et des représentations qu’ont la plus part des gens de ce qu’est la réussite sociale.

Les initiatives en transition, un écologisme apolitique ?

Cette démarche soulève, cependant, des critiques chez les tenants de formes plus classiques de militantisme. « Un écologisme apolitique »[[Paul CHATTERTON & Alice CUTLER, Un écologisme apolitique ? Débat autour de la transition, Les éditions Écosociété, 2013.]] est le titre d’un pamphlet écrit par deux militants anglais sympathisants du mouvement en Transition qui pensent que celui-ci devrait d’avantage s’inscrire dans la démarche des mouvements sociaux et désigner clairement ses « adversaires» politiques. Les auteurs le rappellent : « toute analyse pour comprendre comment nous sommes arrivés à la situation actuelle et comment s’en sortir renvoie à des questions politiques. Cela implique de s’opposer au pouvoir et à ceux qui détiennent richesse et influence »[[Idem, p.20.]]. Pour eux, les initiatives en transition sont donc des démarches trop peu militantes et le débat politique a besoin d’y être ramené. Ils précisent qu’il ne s’agit pas d’adopter une « ligne de parti » ou une approche dogmatique mais bien de débattre au sein des groupes pour identifier et nommer les ennemies dans la « lutte » pour une transition réelle[[Idem, p.21.]].

On ne peut leur donner tort. Que signifierait tout le travail d’une initiative en transition pour mettre en route un potager partagé bio, participatif et ouvert sur un quartier si les autorités politiques décidaient un peu plus tard d’en faire un parking. Que signifieraient les énergies renouvelables si elles permettaient surtout aux grosses multinationales de l’énergie de renforcer leur domination sur notre société. Que signifierait l’alimentation biologique et locale si elle servait essentiellement de greenwashing aux grandes enseignes ? Et puis comme le disent les deux auteurs d’un écologisme apolitique, d’un côté il y a le mouvement des villes et villages en transition, ces communautés locales qui commence à adopter volontairement un autre mode de vie et, en face, il y a des modèles étatiques coercitifs et des grands plans internationaux qui ne vont pas dans le même sens. On pense ici, par exemple, a la mise en place, pour lutter contre les changements climatiques, d’un marché très lucratif d’échange de droits d’émission de CO2 où les considérations financières à court terme supplantent le souci d’une viabilité à long terme, ce qui retarde une réelle transition et permet au modèle dominant de (sur)vivre[[Idem, pp.33-34.]]. Les deux auteurs britanniques concluent : « contrairement à cette logique, les initiatives de transition devraient lutter pour préserver la liberté, l’autonomie et rejeter tout modèle autoritaire qui accentue les inégalités »[[Idem, p. 34.]].

La fin de l’édition de 2013 d’un écologisme apolitique, reprend la réponse de Rob Hopkins aux auteurs. Retenons-en surtout ceci : « D’après moi, la transition est un complément à la culture de protestation et en est bien différente. C’est un autre type d’outil, conçu expressément pour échapper aux radars »[[Idem, p. 71.]]. Rob Hopkins souligne donc la complémentarité. Dans un certain sens, les initiatives de transition renforcent les mouvements de protestation, même si la démarche est indirecte et collatérale. Un discours qui conteste un modèle est plus fort s’il peut se mourir de projets exemplaires comme ceux proposés par les initiatives en transition. Toutefois, comme le mouvement de la transition échappe aux radars, il est rassembleur et garde contact avec tous les acteurs de la société, acteurs économiques ou politiques y compris. Ce point est important pour Rob Hopkins  : « nous aurons besoin de politiciens dont le programme traitera franchement de la descente énergétique, de la nécessité de mesurer le succès économique autrement que par la hausse du PIB et qui favorisera la reconstruction de la résilience locale ». Et il conclut, « en fait, il est difficile de croire que dans dix ans des politiciens pourraient défendre un autre projet politique »[[Idem, p. 72.]]. En écrivant cela, Rob Hopkins présente le mouvement de la transition en un autre moyen de faire de la politique.

Il est cependant clair que les initiatives en transition laissent le débat politique de côté. Deux raisons principales motivent ce choix. Tout d’abord, la volonté de rassembler plus largement, au-delà des clivages souvent stériles. Ensuite, la volonté de se concentrer sur le concret, sur les progrès palpables, sur les réalisations tangibles loin des éternels grands discours. « Faire » et surtout « faire ensemble » c’est motivant, ça fait du bien !

Enfin, pour conclure sur ce point, il est important de souligner que les transitionnaires prouvent dans leurs choix qu’ils n’ont pas oubliés la dimension politique et sociale du changement et l’importance des rapports de force. En effet, ils ne se content pas de cultiver bio, de manger local ou de circuler en vélo. Le modèle économique mis en œuvre par les transitionnaires est celui de l’économie sociale et du commerce équitable. Si l’objectif est la résilience et l’autonomie, il s’agit donc bien de restaurer la souveraineté économique du bassin de vie. Ainsi, les circuits courts développés pour mieux rémunérer les producteurs sont autant de manières de court-circuiter les grandes enseignes et les multinationales. Dans le mouvement de la transition, les coopératives, les entreprises de formation par le travail et les associations sans but lucratif se multiplient. Ces choix institutionnels le montrent : autonomie, démocratie et solidarité sont au cœur du projet. De plus, il est à souligner que de nombreux transitionnaires s’investissent à coté de leur initiative dans des sphères plus militantes.

Et l’écologie politique ?

Malheureusement, après un demi-siècle de réflexion et de proposition, l’écologie politique reste largement méconnue ou incomprise par le plus grand nombre. Alors prenons le temps de faire un petit détour par les sentiers de l’écologie politique.

Ce qu’elle n’est pas d’abord. L’écologie politique n’est pas un environnementalisme. On entend souvent dire que tous les courants politiques peuvent se préoccuper de l’environnement et qu’il ne doit pas être l’apanage d’un courant politique ou d’un parti. Cette réflexion est, en effet, essentielle. À l’heure des changements climatiques, de l’épuisement des ressources naturelles et de la détérioration systématique de l’environnement, il serait incroyable qu’il existe encore des courants politiques ou des partis qui omettent la question environnementale. Cette question ne caractérise néanmoins pas l’écologie politique. Soulignons aussi que l’écologie politique n’est pas non plus une idéologie ou un ensemble de dogmes, un système d’idées fixes et préconçues, ou une théorie à appliquer.

Pour décrire le faisceau de valeurs qui caractérise l’écologie politique reprenons les mots d’Alain Lipietz[[Homme politique et économiste français, membre du parti écologiste Europe Écologie Les Verts.]] et les trois piliers républicains français qu’il fait évoluer pour expliquer ceux de l’écologie politique : « la liberté devient autonomie, capacité de maîtriser sa propre trajectoire à l’échelle de l’individu ou d’un groupe auto constitué ; l’égalité devient la solidarité, rapport conscient et réflexif de chacun à tous les autres ; la fraternité devient responsabilité de chacun envers tout et devant tous, prise de conscience des conséquences pas toujours maîtrisées de ses propres actes, à l’autre bout du monde et pour les générations futures »[[Alain LIPIETZ, Qu’est-ce que l’écologie politique ?, Édition les petits matins, 2012, p. 53.]].

Pascal Canfin[[Journaliste et homme politique français, membre du parti écologiste Europe Écologie Les Verts.]] propose également une articulation intéressante des valeurs de l’écologie politique : « Notre attachement à la démocratie fait que les Verts ne suivront pas ceux qui pourraient être tentés, dans quelques décennies, au nom de l’urgence environnementale par exemple, de promouvoir un pouvoir autoritaire. Face à la crise environnementales, le changement doit venir à la fois de la modification des comportements individuels et de la réorientation des politiques publiques. On rejoint la notion de responsabilité : pour que l’on n’ait pas un jour à recourir à un pouvoir autoritaire, il faut que chacun joue un rôle dans la transformation de la société. La responsabilité, c’est aussi, vis-à-vis des générations futures ou des pays du Sud, la reconnaissance d’une dette écologique à leur égard, puisque nous avons bousillé le climat de la planète pour notre propre confort. D’où la notion de solidarité qui nous oblige à raisonner globalement, à ne laisser personne au bord de la route. Quant à la valeur « autonomie », c’est la condition de la responsabilité. Si tu n’es pas autonome dans tes choix, tu n’es pas responsable de tes actes. Mais, avec l’exigence de solidarité, l’autonomie n’est pas l’individualisme. Enfin, la non-violence, découle des autres : dans un système démocratique, où les personnes sont autonomes, responsables et solidaires, la violence n’a pas sa place »[[Pascal CANFIN, L’économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas, Édition les petits matins, 2006, p. 117.]].

Outre ces cinq valeurs, l’écologie politique se caractérise par une autre conception du progrès. L’écologie politique est fondamentalement anti-productiviste. La croissance du PIB n’est pas sa religion. L’écologie politique est méfiante face à trop d’étatisme et elle ne croit pas non plus à l’autorégulation et à l’efficacité du marché. L’écologie politique refuse la croissance pour la croissance, la création de plus d’activités pour sortir du chômage. Elle propose de partager le travail, de réexaminer les besoins, d’abolir les privilèges et de remplacer la culture de la consommation par une société de l’échange et du partage. En résumé, l’écologie politique se pose la question du sens. Comme l’écrit Alain Lipietz, « l’écologie politique, c’est d’abord la façon dont nous vivons ensemble »[[Alain LIPIETZ, Qu’est-ce que l’écologie politique ?, Édition les petits matins, 2012, p. 12.]].

Enfin, Pascal Canfin l’explique bien, « la méthode [de l’écologie politique] c’est l’alliance de la transformation sociale et de la transformation individuelle. Sans cela, les politiques sont soit des coquilles vides, soit des mesures autoritaires »[[Pascal CANFIN, L’économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas, Édition les petits matins, 2006, p. 117-118.]].

Ainsi, descente énergétique, développement des énergies renouvelables, bonne gouvernance, participation citoyenne, sensibilisation et éducation, promotion de l’économie sociale, du commerce équitable et des circuits courts, renforcement des institutions sociales, réduction et partage du temps de travail, entre autres, sont parmi les fondamentaux des actions menées par les partis et les militants inspirés par l’écologie politique. On le voit, il ne s’agit pas de mettre en œuvre un développement durable susceptible de sauver le système dominant mais de rassembler autour d’une vision positive de l’avenir, d’un projet émancipateur, d’une société du bonheur.

Aujourd’hui, face à un système socio-économique continuellement tenu en échec par ses limites humaines (burn out) et environnementale (épuisement des ressources et pollution) et par ses contradiction politiques (un socialisme qui privatise et un libéralisme de plus en plus liberticide) et économique (l’improbable découplage entre croissance du PIB et diminution de l’empreinte écologique) l’écologie politique constitue apparemment le seul courant politique capable de proposer une rupture réelle, des alternatives. De ce point de vue, inutile de la situer sur un axe gauche-droite obsolète. L’écologie politique, seule, face aux autres idéologies productivistes et matérialistes, du communisme au néolibéralisme, constitue maintenant l’unique clivage politique significatif.

Les initiatives en transition, une forme d’écologie politique ?

Il ne faut donc pas aller très loin dans l’analyse des valeurs et des objectifs de l’écologie politique pour comprendre que les correspondances sont évidentes avec les valeurs et les objectifs du mouvement de la transition.

Parce qu’il n’y a pas résilience et de valorisation des ressources locales sans autonomie, pas de vivre ensemble sans solidarité et pas de valorisation des compétences de chacun et de dynamique participative sans responsabilité, les valeurs du mouvement de la transition semblent épouser celles de l’écologie politique. Ces valeurs et la question du sens, du progrès, du rapport à la connaissance et du rapport au monde sont portées dans le champ politique par l’écologie politique et sur le terrain des réalisations concrètes et citoyennes par les initiatives en transition. Une question vient alors à l’esprit : l’écologie politique serait-elle le visage politique de la transition ? Les initiatives de transition serait-elles donc une des formes d’expression citoyenne, économique et sociale concrètes de l’écologie politique ?

Posez la question c’est sans doute y répondre. Mais peu importe que la correspondance entre écologie politique et les initiatives de transition ne soit pas clairement établie dans les faits et que les acteurs de la transition n’en aient pas vraiment conscience : le monde politique n’est peut-être pas encore suffisament prêt pour changer radicalement de projet de société. Il vaut dès lors peut-être mieux que la transition continue d’échapper au radar et de sensibiliser le monde politique à sa manière.

Reste à souligner que l’économie politique ne connait pas dans les arènes démocratiques le succès que les initiatives en transition connaissent dans les communautés locales. Ceci dit, et malheureusement, écologie politique comme initiatives en transition restent toutes deux, et malgré elles, trop élitistes (socialement et culturellement). Elles courent toutes les deux vers une mixité sociale qu’elles n’arrivent pas encore à mettre en œuvre en leur sein.

Mais ce qui fait sans doute que les initiatives en transition mobilisent un nombre croissant de personnes, c’est la cohérence entre ses valeurs, ses objectifs et ses méthodes. Les partis politiques européens qui défendent et promeuvent l’écologie politique n’ont pas encore réussi à élaborer une manière de fonctionner complétement cohérente avec les valeurs et objectifs de l’écologie politique. Bien entendu, les partis verts sont plus participatifs et démocratiques dans leur gestion. Mais, ils n’ont pas encore réussi à incarner la rupture que l’écologie politique propose. Cette démarche est sans doute difficile dans un monde politico-médiatique bien cadenassé où tout va très vite. Sans doute, ces partis devraient-ils fonctionner de manière totalement différente et proposer une manière « transitionnaire » de faire de la politique, par exemple, en adoptant une « slow communication », ou en proposant des campagnes électorales réellement innovante et en rupture avec le show politique généralisé.

Quoiqu’il en soit et pour conclure cette analyse, réjouissons-nous qu’aujourd’hui, les forces actives pour un autre monde plus humain et plus sain, pour une humanité consciente de ses limites et de celle de son environnement, consciente aussi des compétences de chacun et de groupe, agissent et dans le champ politique et sur le terrain des réalisations citoyennes. Pourvu qu’écologie politique et initiatives de transition continue longtemps de prendre en étaux un système socio-économique qui s’est imposé sans faire ses preuves. Espérons qu’elles finissent par imposer l’évidence d’un nécessaire changement de société.

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