En mars 2014, des élections municipales se sont tenues en France. À Grenoble, ville du sud-est de l’hexagone d’environ 160 000 habitants, c’est la liste « une ville pour tous. Le rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes »[[

Voir : http://unevillepourtous.fr/

]] qui a remporté les élections. Cette liste réunit plusieurs partis et associations : Europe Ecologie Les Verts, l’Association Démocratie Écologie Solidarité (ADES)[[

Voir : http://www.ades-grenoble.org/wordpress/

]] , le Parti de Gauche (PG)[[

Voir : http://lepartidegauche38.org/

]], la gauche anticapitaliste, les Alternatifs[[

Voir : http://www.alternatifs.org/spip/

]], ainsi que des citoyens engagés au sein du collectif « Réseau citoyen ». À l’issue de ces résultats, le 4 avril 2014, Éric Piolle devient le premier maire écologiste d’une grande ville française.

Grenoble sans JC Decaux

Depuis la campagne électorale, l’objectif de la liste était clair : administrer la ville afin d’y mettre en place un bouclier social et écologique et en changer le style de gouvernance. En ce qui concerne la gestion de l’espace public, les positions de la nouvelle majorité sont clairement en rupture avec ce qui se fait ailleurs en France et en Europe, avec, par exemple, la fin de la vidéosurveillance.

Pendant la campagne électorale, la liste « une ville pour tous » avait pris des engagements pour réduire la place de la publicité en ville. Arrivée à la tête de la ville, la nouvelle équipe découvre que le contrat qui lie la Ville à l’entreprise d’affichage publicitaire dans l’espace public, JC Decaux, prend fin en décembre 2014. La nouvelle majorité choisi dès lors de ne pas relancer un appel d’offre et de mettre fin à la collaboration de la ville avec l’entreprise.

De janvier et juin 2015, l’ensemble des panneaux sont démontés. Il s’agit de 326 dispositifs publicitaires : des petits panneaux de deux mètres carrés, des panneaux de huit mètres carrés sur les plus grands axes routiers et enfin des colonnes d’affichage. Signalons que seuls les panneaux publicitaires en lien avec le contrat passé entre la ville et JC Decaux ont été enlevés. En effet, les publicités sur les abribus et les arrêts de tram dépendent d’un contrat qui lie l’entreprise à la communauté d’agglomération, c’est-à-dire la métropole et pour lequel la mairie n’est pas compétente. Ainsi, l’affichage publicitaire de JC Decaux sur les transports en commun et le mobilier de transport en commun est resté en place.

Avec les commerçants et les associations d’habitants un travail a été effectué afin d’identifier les besoins en termes de types de support, affichage, lieux d’implantation, formats et répondre ainsi à la demande d’affichage notamment socio-culturel, associatif ou citoyen. Les étudiants en Beaux-Arts et en design ont également contribué à créer un nouveau mobilier propre à la ville de Grenoble. Ce travail est en cours. Des arbres vont également remplacer certains panneaux JC Decaux.

Enfin, il faut savoir qu’en ne reconduisant pas le contrat avec JC Decaux, la mairie évalue la perte de recette pour la ville entre 100 000 et 200 000 euros par an (sur un budget de la ville 330 millions d’euros).La nouvelle majorité a donc du mettre en œuvre un certain nombre de mesures pour compenser ce manque à gagner. Les frais de communication et de protocole ont été réduits d’un million d’euros pour la première année de mandat. Le train de vie des élus a été réduit avec la baisse des indemnités des élus qui représente un peu plus de 6 millions d’euros d’économie à l’échelle du mandat sur les six années. Enfin, le nombre de voitures de fonction à disposition des élus est passé de 21 à 5 voitures. Ce qui représente 50 000 euros d’économie par an.

Les responsables de la ville de Grenoble constatent que les échos furent positifs de la part des habitants suite à cette mesure. Celle-ci a également eu un grand écho médiatique, qui a suscité l’intérêt d’autres communes en France et en Europe.

Il est aussi intéressant de noter qu’aucune mesure d’interdiction de la publicité n’a encore été prise par la nouvelle majorité qui a simplement fait choix de ne pas publier d’appel d’offres pour avoir de la publicité dans la ville.

Les arguments contre la publicité dans l’espace public

L’objectif de cette analyse n’est pas de faire l’autopsie de la publicité et de son impact dans l’espace public. Néanmoins, il est utile de rappeler brièvement les motivations des mouvements antipub et des écologistes quand ils souhaitent voir disparaître la publicité de notre environnement.

Tout d’abord, la publicité dans l’espace public s’impose. En effet, même si du point de vue des militants antipub, la publicité n’est pas forcément souhaitable à la télévision, à la radio, dans la presse ou sur internet, ils estiment que l’on peut toujours choisir de ne pas regarder la télévision ou écouter la radio. Il est tout aussi possible de baisser le son ou changer de chaîne, voire de bloquer la publicité sur son ordinateur. En revanche, éviter la publicité dans l’espace public est impossible. En toute logique, il est très dangereux de traverser la rue les yeux fermés. On peut donc y voir une violation de la « liberté de réception », concept intéressant qui se forge actuellement en France dans les milieux qui conteste l’affichage publicitaire.

Ensuite, sous sa forme actuelle, la publicité telle qu’elle est présente dans les espaces public n’est pas financièrement accessible aux petits commerces locaux, aux PME régionales, ni aux associations socioculturelles qui font vivre les bassins de vie. Au contraire, pour les mouvements antipub, elle est un moyen de communication antidémocratique, réservé aux grandes multinationales et groupes financiers. Cet affichage publicitaire organisé par JC Decaux ou Clear Channel constitue donc également une façon de fausser la concurrence et de défavoriser l’économie locale.

Pour les citoyens opposés à l’affichage omniprésent dans les espaces publics, cette publicité favorise aussi la propagation des stéréotypes et des discriminations, du greenwashing[[

Publicité qui exploite la « mode » du respect de l’environnement pour promouvoir des produits faussement écologiques ou la consommation en générale.

]], la promotion de la société de surconsommation et des comportements nuisibles au bien-être commun et au développement durable.

Si cette forme de publicité a un impact écologique non négligeable (énergie, matière première, etc) et participe, pour certains, à l’enlaidissement des paysages urbains, elle exerce surtout une pression psychologique, économique et sociale sur tous et particulièrement sur les couches les plus défavorisées de la société.

Volonté politique et contraintes budgétaires

L’exemple de Grenoble le montre bien : il n’est pas nécessaire de changer la loi et d’interdire la publicité pour limiter celle-ci dans l’espace public. En un mot, pour suivre l’exemple de Grenoble, il suffirait que les communes ne relance pas d’appel d’offre à la fin d’un contrat liant à ville à une entreprise d’affichage publicitaire et de mettre fin à la collaboration de la ville avec toute entreprise de ce type. Moins de publicité dans nos villes, est d’abord et avant tout une décision issue de la volonté des pouvoirs communaux.

Surgit alors rapidement la question budgétaire. Si certains bourgmestres et échevins comprennent et partagent dans certaines mesures les critiques faites à la publicité dans l’espace public, ils ne conçoivent pas de se passer de la rentrée financière qu’elle génère.

À cet égard, il est important de noter que la question peut être traitée différemment selon le point de vue. Le premier est celui des communes qui doivent boucler leur budget. Le second est celui des citoyens. Et puis se trouve le point de vue global ou systémique.

Du point de vue des communes, les finances communales sont une réalité importante évidemment. Il faut toutefois relativiser les chiffres : les revenus de la publicité ne sont qu’une infime partie des rentrées. De plus, il n’y a pas de fatalité budgétaire : l’exemple comme Grenoble le montre bien.

Si les partisans de l’affichage publicitaire dans l’espace public affirment que celle-ci aide les pouvoirs locaux à fournir des services publics aux citoyens, rappelons une chose importante : que ce soit les pouvoirs publics, JC Decaux ou Clear Channel, c’est toujours le citoyen qui payent[[

Par exemple, on estime que sur une paire de chaussure de sport de 100 €, si 0,50 € vont à l’employé qui a fabriqué cette paire en Chine par exemple, 8 € vont à la publicité.

]] ! La même poche est à la source. Il est dès lors important d’avoir une vision systémique de l’économie. En effet, la publicité est une dépense payée indirectement par le « consommateur-citoyen » puisque lors de nos achats, nous payons un surcoût (souvent important) dédié à la publicité. Du point de vue des citoyens, le problème, c’est que contrairement aux taxes classiques ou à l’impôt sur la consommation, c’est-à-dire la TVA, qui sont établis de manière démocratique et dont les fruits sont investis (dans des services publics par exemple) de manière démocratique et pour le bien de tous, ce surcoût est un prélèvement masqué. De plus, la manne générée par ce surcoût (au niveau mondial on parle du deuxième budget après le budget militaire) échappe totalement au contrôle démocratique. Même si une petite partie de ce budget est investi dans des équipements collectifs, globalement, ce surcoût diminue surtout le bien-être des gens (pollution visuelle, pollution environnementale, promotion de la consommation nuisible à la santé et à l’environnement, endettement, etc.).

De plus, il est légitime de se demander s’il est sain que les départements marketing de quelques dizaines de multinationales décident quel équipement collectif ou quel service public vaut la peine d’être financé. Et ce, dans leur propre intérêt. Surtout dans la mesure où, depuis 30 ans, ces mêmes multinationales paient continuellement moins d’impôts (donc moins d’argent dans les caisses de l’État) alors que les PME, les petits indépendants et les commerces de proximité, ceux-là même qui n’ont pas accès à la publicité, y contribuent plus que largement .

Enfin, d’un point de vue global ou systémique, il est clair que si toutes les externalités négatives de la publicité sont prises en compte, c’est-à-dire les manques à gagner (par exemple pour le développement du tourisme ou du commerce local), ou les coûts indirects, c’est-à-dire, par exemple, les coûts sociaux (course à la consommation), sanitaires (obésité, etc.) écologique (CO2 émis, matières premières gaspillées) de la publicité, celle-ci coûte beaucoup plus cher à la société qu’elle ne lui rapporte. Plusieurs analyses ont d’ailleurs démontré que pour chaque euro injecté dans la publicité (ce qui a pour effet principal la création d’emploi), il en coûte à la société plus de 10 euros (pollution, stress, problème de santé, jalousie, surconsommation, etc). Investir dans la publicité revient donc à endetter notre société. À titre de comparaison, si l’on considère le travail d’un technicien de surface dans le milieu hospitalier, chaque euro investi produit 10 euros de valeur sociale (évite les infections, crée du bien-être, etc)[[

De la valeur ignorée des métiers, dans le Monde diplomatique de mars 2010, P. 8.

]].

Si la publicité est mauvaise pour l’économie régionale, pour le tourisme, la santé des gens et pour l’environnement, d’autres possibilités de financer le mobilier urbain doivent être imaginées.

La question du budget est donc toute relative et doit être comprise dans une vision plus large de projet de société. Parce que fondamentalement, personne ne peut prouver que cela ne rapporterait pas plus au commune de favoriser d’abord l’économie locale dans une perspective de transition vers un autre modèle économique plus respectueux du développement durable et plus résilient.

Et au niveau wallon ?

Si la volonté de limiter ou supprimer la publicité dans l’espace public est d’abord et avant tout une compétence communale, il existe différentes portes d’entrée pour légiférer la en matière au niveau de la Région. Ainsi, la Wallonie est compétente en matière de santé et pourrait interdire la publicité pour la malbouffe, la restauration rapide ou les publicités mettant en scène des femmes extrêmement minces incitant à l’anorexie. La Wallonie est également compétente en matière d’environnement et pourrait, par exemple, limiter les publicités pour les voitures polluantes, les entreprises pétrolières ou les banques qui investissent massivement dans les énergies fossiles[[

5 000 euros déposés sur un compte dans une banque comme BNP Paribas Fortis polluent autant qu’un 4×4, sur une année !

]]. La compétence wallonne en matière de lutte contre la pauvreté pourrait justifier une interdiction de la publicité incitant à contracter des crédits, et la compétence en matière d’égalité homme femme à interdire les publicités dégradantes vis-à-vis des femmes. Les compétences liées à l’aménagement du territoire aussi pourraient servir de levier pour limiter l’affichage publicitaire dans l’espace public. On voit donc que les exemples sont multiples et rentrent dans le champ des compétences régionales tout en respectant le droit constitutionnel.

Ceci dit, il est important de souligner que les limitations qui pourraient être adoptées au niveau de la Région concernent essentiellement le contenu de la publicité et que la possibilité d’empêcher purement et simplement son implantation dans nos villes est une décision qui doit se prendre au niveau des communes.

Pour conclure

L’exemple de Grenoble le montre bien : se passer de l’affichage publicitaire tel qu’il est organisé par JC Decaux est une possibilté, sans que cela devienne une fatalité budgétaire. La publicité en ville est un choix politique ! N’oublions pas que ce n’est pas la publicité en tant que tel qui finance les projets des communes et que sa part dans les budgets est minime. On parle ainsi de moins de 0,06% du budget de Grenoble.

Il est surtout utile de rappeler que parler de publicité, et spécialement dans l’espace public, c’est parler du modèle de société que l’on souhaite. Ainsi, la question est surtout de savoir si l’on peut raisonnablement promouvoir le redéploiement de l’économie locale, l’utilisation parcimonieuse des ressources naturelles, la mobilité douce et l’usage des transports en commun, la dignité de l’homme et de la femme, et la convivialité des espaces publics et, en même temps, soutenir une industrie publicitaire invasive qui fait les choux gras des multinationales et la promotion, par exemple, de banques peu éthiques, d’industries polluantes, d’attitudes consuméristes et de l’individualisme matérialiste ? Si la réponse à cette question est évidente, les difficultés budgétaires d’une commune ne devraient pas servir d’excuses à l’immobilisme. Dans cette optique, les négociations entre des entreprises comme JC Decaux et les villes devraient être plus transparentes et constituer l’objet d’un large débat citoyen. Parce que in fine parler de l’élimination de cette publicité dans l’espace public, c’est parler d’un moyen de limiter le pouvoir de multinationales devenues des États dans l’État. Il s’agit donc d’une question de démocratie économique !

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