Ce titre ne se veut pas une réponse à la question de savoir si cette COP sera bonne ou pas : seul le résultat final compte et, à ce stade-ci, personne ne le sait, même si la Présidence française ne reçoit jusqu’à présent que des fleurs pour sa « transparency » et son « inclusiveness » comme ils disent ici. Beaucoup soulignent aussi l’ambiance, qui n’a jamais été aussi sereine, de l’avis des vieux routiers de ce genre d’événements. Peut-être y aura-t-il des leçons à tirer de la méthodologie développée pour faire fonctionner ensemble 196 pays.

L’objectif aujourd’hui est de faire le tour – non exhaustif – des ceux qui ont une influence sur la manière dont l’humanité s’empare de cette question du changement climatique.

Margareth Thatcher

Même si elle a retourné sa veste dans ses Mémoires, disant avoir été abusée par des charlatans, Maggie a contribué à établir la question du changement climatique. Était-ce son diplôme de chimiste qui lui a ouvert les yeux, sa volonté de trouver des raisons pour fermer les mines de charbon ou son ambition de s’afficher comme une leader internationale à travers son positionnement sur cette question? Toujours est-il qu’il faut relire ses discours à la Royal Society de 1988 ou à l’ONU en 89 pour reconnaître sa contribution à la mise en place du GIEC et de l’UNFCCC, le secrétariat des Nations-Unies qui est dépositaire des accords.

Dead COP

Le GIEC

Cible favorite des climato-sceptiques, décrit comme un groupe complotiste manipulé par les lobbys et gouvernements, le GIEC est une toute petite organisation sans grands moyens, censée produire un triple rapport tous les 6 ans couvrant trois questions : y a-t-il réchauffement climatique et est-il d’origine humaine ? Quels sont les impacts à attendre d’un tel phénomène ? Quelles solutions pour y faire face ? Pour publier ce rapport, le GIEC n’a pas, en interne, d’immenses équipes de scientifiques et ne se livre pas lui-même à des recherches ou mesures. Il a pour mission de faire l’état de la science du réchauffement climatique à partir de contributions volontaires de scientifiques du monde entier synthétisées lors d’assemblées générales où les pays membres de l’ONU sont politiquement représentés et décisionnels. Le rôle du GIEC pendant une COP est très limité, puisque son rôle s’arrête à rassembler de la science sur le climat.

Good COP

Les climato-sceptiques

Identifiés par Naomi Oreske, historienne des sciences, comme soit des scientifiques au service de multi-nationales (Fred Singer, l’un des climato-sceptiques les plus connus a successivement été payé par des firmes de tabac puis des firmes de production d’amiante pour, dans les deux cas, utiliser son autorité de scientifique pour nier leurs effets sur la santé publique), soit des scientifiques en mal de reconnaissance ou d’existence (Claude Allègre correspond assez bien à cette description). Chez tous figurent probablement un fond idéologique qui les empêche de voir soit les failles du progrès technologiques, soit les limites du « marché » et d’une économie non régulée. Il y a enfin, dans ce milieu, ceux qui n’ont pas intérêt à ce que l’on décarbone l’économie, à savoir les firmes pétrolières : une enquête vient d’être ouverte sur Exxon-Mobil à la suite de découverte d’archives internes remontant aux années 70-80 qui témoignent du fait qu’à ce moment, les équipes de R&D avaient confirmé le rôle de l’activité humaine sur le réchauffement du climat… Exxon a plutôt préféré consacrer son énergie et ses moyens à financer des scientifiques censés dénoncer cette origine humaine. Si, en Europe, leur voix s’est fait moins entendre ces derniers temps (ils se sont renommés les climato-réalistes (sic!)), l’actualité des derniers jours a démontré qu’aux USA, ils étaient toujours bien actifs : une investigation de Greenpeace a montré que des scientifiques étaient prêts à sortir des études en cachant l’origine de ceux qui les finançaient (cher et méchant!), tandis que de nombreux membres du Congrès US sont climato-sceptiques déclarés et nient la réalité scientifique, comme le leader des candidats républicains, le subtil Donald Trump… God save America. Reste à espérer de ne pas voir s’étendre, aux USA, l’interdiction d’utiliser dans l’administration le terme « Climate Change », comme vient de le faire le gouverneur de Floride.

Bad Cop !!

Le secteur privé

Good cop, oui sans doute les secteurs qui ont un intérêt immédiat à une économie décarbonée (secteurs des énergies renouvelables, transports publics,…). Bad Cop, tous les autres ? ce serait peut-être trop simple. Nombre d’entreprises ont la chance d’avoir un patron visionnaire à leur tête qui a pris la mesure des changements : citons Thomas Leysen en Belgique qui a transformé le core business d’Umicore pour que 50 % de l’activité se concentre sur le recyclage. Bien sûr, cela reste une boîte côtée en bourse et Leysen est pro-nucléaire. Mais, au moins, reconnaissons qu’il a fait bouger sa boîte en s’attaquant à son core business, seul et par conviction.

Certaines entreprises se sont engagées sincèrement, mais seulement après avoir été mises sous pression par les ONG et le public : c’est le cas des IT majors comme Google ou Facebook dont les méga-serveurs utilisent énormément d’énergie et qui se sont converties peu à peu au renouvelable pour limiter l’empreinte CO2 de leurs activités.

Il ne faut pas non plus oublier ces entreprises qui, à force d’être dans le collimateur des ONG et des media, voire des politiques, ou en se forçant à suivre l’air du temps par souci d’image, se sont verdies un peu et le font savoir beaucoup : c’est évidemment le propre des majors en énergie, dont quasiment aucune n’a décidé d’arrêter les énergies fossiles fuels ou le nucléaire pour passer aux 100 % renouvelables, tout en communiquant abondamment sur les diversifications pourtant timides qu’elles ont engagées. Certaines, sans toucher à leur core business, essaient néanmoins d’améliorer leur empreinte écologique  et pas uniquement en utilisant du papier recyclé pour leurs photocopieuses: c’est le cas par exemple de Total qui essaie de diminuer le torchage (les flammes que l’on voit au-dessus des cheminées des plate-formes pétrolières), qui investit davantage dans le gaz, mais qui, en même temps, exploitent les très polluants sables bitumeux au Canada…A côté de ces petits ou grands, mais vrais hypocrites dont certains – d’après un consultant cité récemment par le Canard Enchaîné – se la jouent affectés devant les caméras mais cyniques une fois celles-ci éteintes, il y a les vrais méchants : Exxon Mobil et les frères Koch aux US qui ont financé les climato-sceptiques et qui ne nient même pas leur résistance à tout changement…

Bad COP quand même…

Les villes et pouvoirs locaux

Plus de 50 % des émissions de gaz à effet de serre (les GES) proviennent des villes : depuis un certain nombre d’années, plusieurs d’entre elles se sont engagées à mettre de place des mesures pour diminuer leurs émissions : qu’il s’agisse de mobilité, de mesures d’isolation et d’efficacité énergétique. Pouvoirs locaux : la solution si les couches supérieures de pouvoir ne font rien ?

Good COP

Les technologies

Quand il s’agit de trouver une solution pour le stockage de l’électricité renouvelable et pour augmenter l’efficacité énergétique, oui aux technologies…mais un oui mesuré quand on lit un auteur comme Philippe Bihouix qui nous alerte sur le fait qu’à côté des émissions de CO2, nous sommes menacés par le risque élevé de pénurie de certaines terres rares et certains métaux, faisant même de cette solution des énergies durables une impasse à terme…Entre-temps, ces énergies sont devenues de plus en plus compétitives et de moins en moins demandeuses de subsides : une alliance des pays du Sud incluant l’Inde s’est d’ailleurs mise en place la semaine passée pour jouer sur leurs atouts d’ensoleillement

Ce constat concerne aussi le nucléaire qui, après le coma post-Tchernobyl, s’est retrouvé une virginité, vu son faible niveau d’émissions de CO2 comparé aux énergies fossiles et étant donné l’intermittence du renouvelable. C’était avant Fukushima, avant les échecs de l’EPR français (le nouveau projet de centrale nucléaire) et le prix prohibitif demandé par EDF pour construire un nouveau réacteur au Royaume-Uni. N’empêche, des réacteurs se construisent, en Chine notamment. Et un des papes du changement climatique, James Hansen, scientifique de la NASA qui a été le lanceur d’alerte du réchauffement climatique aux USA a pondu une carte blanche remarquée il y a quelques jours dans le Guardian pour défendre le nucléaire comme meilleure solution énergétique face au changement climatique…Pas très loin des amoureux du nucléaire figurent les partisans du CCS, ‘le carbon capture & storage ». Cette technologie consiste à capter le CO2 à la sortie des centrales à charbon et à l’entreposer dans des poches souterraines, comme par exemple d’anciens puits de pétrole. Pleine de promesses il y a encore 5 ans, même si hyper consommatrice d’eau et ayant un impact sur la productivité des centrales au charbon, le CCS tarde à s’imposer, par manque de rentabilité.

Dans la famille des fans du tout technologique, les plus fous sont ces « apprentis-sorciers » du climat comme les appelle le philosophe australien Clive Hamilton qui veulent, pour protéger la terre du réchauffement, par exemple refroidir la planète en envoyant du dioxyde de soufre dans l’atmosphère, répandre un engrais en fer sur les océans pour favoriser l’émergence d’une algue absorbatrice de CO2 ou mettre en place des aspirateurs à CO2….

Bad cop donc, tant qu’on utilisera l’argument du tout technologique salvateur et qu’on ne s’interrogera pas sur nos modes de vie

Les ONG

Indispensables lanceuses d’alerte et scrutatrices vigilantes des positionnements des uns et des autres et du nécessaire niveau d’ambition requis par la science.

Pour autant, si on se permet un regard un peu critique, on peut observer le trajet parcouru par ces ONG. Au début, seules les ONG environnementales se sont intéressées au sujet. Les organisations sœurs dites, par contraste naturalistes, c’est-à-dire centrées sur la conservation de la nature, ont mis du temps à intégrer le fait que le changement climatique aurait un impact sur la biodiversité, les forêts, etc…et qu’il ne suffirait pas de replanter des arbres ou de créer des réserves naturelles…A leur tour, ces organisations ont mis du temps à prendre la mesure de la dimension de justice climatique liée au fait que les pays du Sud souffraient d’une double-peine, celle de subir déjà et parfois violemment les effets du changement climatique et celle de ne pouvoir se développer comme les pays du Nord « pour ne pas émettre de CO2 comme eux »… Enfin, une troisième dimension est venue s’ajouter, celle qui se marque au sein des pays mêmes, à travers le concept de « transition juste » développé par les organisations syndicales, préoccupées par le déclassement que risquent de subir les travailleurs des industries fort émettrices en CO2…

Une fois que l’ensemble de ces différents aspects de la société civile ont été réunis, une nouvelle césure a vu le jour, à Copenhague notamment entre les ONG plus institutionnelles (les grandes ONG anglo-saxonnes, pour résumer) et les associations plus radicales et de terrain. A Paris, ce genre de césure a disparu, en partie par une compréhension commune et plus radicale des enjeux, en partie par l’émergence de nouveaux acteurs comme 350.org ou Avaaz, issus du web, ou comme Alternatiba, liant revendications politiques et iniatives bottom-up…

Reste la question de l’impact exact de la société civile, à mal de créer, jusqu’à présent, un vrai rapport de force favorable avec les acteurs de la COP…La manifestation de New York de septembre 2014 avant le sommet dit de « Ban Ki Moon » a marqué un tournant dans la prise en compte des citoyens par les leaders politiques : sera-t-il suffisant ?

Gooood COP

Passons maintenant en revue les principaux pays

L’Union européenne

Reste,en dépit de ses insuffisances, un bon élève de la classe, même si, depuis quelques années, elle ne joue plus le rôle d’aiguillon qu’elle a joué par le passé, en partie par ses difficultés internes et la présence en son sein de pays comme la Pologne, coincés dans leur dépendance historique au charbon. La délégation de Paris est menée par la ministre luxembourgeoise de l’Environnement issue du parti écologiste grand-ducal.

Good COP, mais a perdu en ambition

Les USA

Ont été longtemps un frein à tout accord ambitieux : même les USA de Clinton et Gore, son vice-président, n’avaient pas ratifié Kyoto. Obama était attendu avec espoir, mais obnubilé par ses autres réformes sociales (le “healthcare” notamment) face à un Congrès qui lui était hostile. Ce n’est que récemment qu’il a marqué quelques avancées, avec un Congrès toujours aussi hostile (et, comme on l’a vu supra, en partie climato-sceptique). Il faudra donc en vérifier la solidité.

Plutôt moins mauvais COP qu’avant… rechute possible si Trump devient président des USA!

La Chine

Avec son statut d’ancien pays en voie de développement devenu le plus grand émetteur du monde, statut lui revenant de par son rôle d’ usine de la planète (en d’autre mots, le monde occidental externalise ses émissions en délocalisant ses activités productives chez les chinois), mais aussi avec le fait que le pays perçoit très directement l’impact du réchauffement climatique par la pollution de ses grandes villes, la Chine est assurément un cas intéressant ! L’accord conjoint avec les USA de Novembre dernier pour déclarer ensemble leur volonté de limiter leurs émissions, marque un changement, certes insuffisant, mais en soi considérable dans l’approche du gouvernement chinois.

COP pas encore good, plus tout à fait bad

Les pays les moins développés

Eux, la double peine, ils connaissent! Et cette dette que le monde occidentalisé leur doit, ils ne sont pas prêts à la passer au bleu. Si on y pense, c’est d’ailleurs la seule dette qui est officiellement reconnue par les pays occidentaux à l’égard du Sud, malgré les nombreux méfaits de la colonisation… Mais reconnaître ne veut pas dire honorer et le financement de ce fameux Fonds Vert qui devrait les aider à faire face aux changements climatiques tout en continuant un développement durable est resté une pierre d’achoppement depuis Copenhague pour des pays occidentaux embourbés dans leurs déficits budgétaires…

Victimes, not COPS

Les méchants

Australie, Canada, Russie, Japon…signataires du traité de Kyoto (pas immédiatement dans le cas de la Russie), mais mauvais élèves, affichant leur passion pour les énergies sales (charbon, sables bitumeux, pétrole en Arctique, ..) La lueur d’espoir est venue du Canada où l’horrible monsieur Harper a été remplacé il y a quelques semaines par le jeune Trudeau, opérant un virage à 180° à ce à quoi le Canada nous avait habitué jusqu’à présent. Quant à l’Australie, un tribunal a mis fin au terrible projet d’exploiter et d’exporter du charbon en détruisant au passage les coraux qui, déjà, souffrent terriblement du réchauffement climatique…

Bad Cops, à part le Canada…

Les États insulaires du pacifique

Ceux qui ont déjà les pieds dans l’eau et qui, à chaque fois, réclament une action ambitieuse…ce que les autres écoutent avec politesse, voire même compassion…sans beaucoup plus! A tel point que les îles Kiribati ont acheté des terres en Océanie, le jour où il faudra s’exiler….

Victims et Good Cops

Un grand absent, l’Inde sur laquelle on reviendra demain.

À ainsi faire le tour des acteurs de cette grande « comédie » des COP, à regarder d’autres exemples d’évolution, quel acteur parmi ceux-ci peut vraiment faire bouger les choses ? La science est sans doute la première qui a éveillé les consciences, amplifiée par des voix comme celles de certains politiques (rendons ça à Madame Thatcher(!), mais pensons surtout surtout Al Gore) ou des ONG et personnalités de la société civile comme Nicolas Hulot. N’oublions pas la technologie et notamment la « learning curve » des énergies renouvelables qui les rend plus accessibles. Incluons aussi les catastrophes météorologiques qui matérialisent ce changement climatique tellement difficile à concevoir…

A entendre hier soir les pays pétroliers repousser la notion de prix de CO2 « qui bouleverserait leur mode de développement » intervenir après le représentant des Maldives parler de la survie de la population insulaire si l’objectif d’émissions à ne pas dépasser n’était pas fixé à 1.5°, il en va surtout de notre capacité d’humains à transcender nos égoïsmes ici et maintenant pour penser à ceux ailleurs et de demain : quel incroyable défi!

Je COP, tu COP – mercredi 9 Décembre

L’observateur novice sera étonné, mais l’uniforme des pratiquants de la COP est assez banal. Moi qui m’attendais à voir des africains en boubou, des indiens en tuniques Nehru, des représentants arabes en djellaba, des Israéliens avec kippa, des ONGistes en sandales,…le « folklore » est majoritairement laissé au vestiaire ! Si ce n’est à quelques exceptions près, comme les représentants des peuples indigènes, le costume – plutôt cravate -et le tailleur plutôt pantalon, voire jean, pour les femmes. J’ai même du mal à reconnaître mes anciens collègues des ONG rarement aussi élégants.

Cette uniformité est quand même assez surprenante pour un événement comme la COP où il s’agit de marquer ses particularités nationales à préserver. Du coup, quand vous croisez quelqu’un sur les Champs Élysées de la COP, ça peut-être aussi bien un ou une Ministre que seuls ses compatriotes connaissent (d’ailleurs, les ministres de l’environnement sont rarement connus…) qu’un représentant d’une petite ONG ou que le CEO d’une grande multinationale.

Ce qui marque aussi les esprits, c’est le ton plutôt mesuré des interventions en séance plénière : bien sûr, on est dans un cénacle diplomatique où la langue de bois prévaut. Néanmoins, les interventions toujours respectueuses laissent très peu percevoir les oppositions possibles entre les uns et les autres.

Dès lors, on oublie que tel délégué, toujours souriant, remerciant Fabius et encourageant ses collègues à trouver un accord est le ministre du Président Sissi, dont le régime est douteux. Ou que le représentant des Maldives faisant pleurer sur le sort de son pays si rien ne bouge a été nommé par un gouvernement dont le Président a envoyé son prédécesseur en prison…

Le plus marrant à cet égard fut, hier soir, un des deux représentants russes du gouvernement de Poutine plaidant, la voix vibrante, pour la nécessité impérative d’arriver à nos accords pour sauver nos enfants!

LA COP transcende-t-elle vraiment tout et tous et toutes ?

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