1. Avant-propos

Réunis en Congrès les 23, 24 et 25 novembre à Nuremberg, les délégués des régionales des Verts allemands ont approuvé un ensemble de résolutions qui renouvellent leurs balises idéologiques dans les domaines de la lutte contre le changement climatique, les politiques sociales et la régulation verte de l’économie de marché. L’ensemble atteste d’un net virage à gauche.

La Conférence Fédérale des Délégués (BundesdelegiertenKonferenz – BDK) réunit tous les délégués des fédérations régionales et constitue donc l’équivalent du « Conseil de fédération » d’ECOLO. Elle ne compte pas moins de 800 délégués. Le parti vert était attendu au tournant par tous les observateurs politiques. En septembre, la même BDK avait désavoué la direction du parti et le groupe parlementaire au Bundestag sur la ligne à suivre en ce qui concerne le type de participation de l’armée allemande à l’intervention de l’OTAN en Afghanistan. Si la direction était contredite une seconde fois, cela risquait d’entraîner une crise au sommet du parti et sa fragilisation durable. La discussion la plus animée a porté sur la politique sociale. Deux motions se sont affrontées. La direction du parti a prôné un renforcement du système de protection sociale sous la forme d’une assurance de base (Grundsicherung). La fédération du Land de Bade-Würtemberg soutenue par un nombre important de militants prônait la création d’une allocation universelle. Finalement, la première l’a emporté avec un peu moins de 60 pc.

2. Le contexte politique allemand

Depuis le 22 novembre 2005, l’Allemagne est dirigée par une large coalition composée des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates. L’accouchement a été difficile mais finalement, sa stabilité est plus grande que prévu. C’est la seconde fois dans l’histoire de l’Allemagne d’après-guerre qu’une telle coalition voit le jour, la précédente ayant gouverné le pays entre 1966 et 1969. Mathématiquement, les partis dits de gauche disposent pourtant d’une majorité, du moins si on additionne les sièges obtenus par le SPD, les Verts et le parti « De Linke » qui a fédéré les anciens communistes de la RDA et des « déçus » du SPD. Ces trois formations totalisent une courte majorité de 327 sièges au Bundestag. Cependant, une telle coalition avec die Linke est exclue, tant pour le SPD que pour les Verts. Plusieurs raisons sont évoquées : le « populisme » des prises de position de Die Linke, son lien direct avec l’héritage du parti communiste de l’ex-Allemagne de l’Est ainsi que la personnalité de son co-président, Oskar Lafontaine. Cet ancien président du SPD et ministre des Finances dans le gouvernement rouge-vert avant sa démission en 1999 est très controversé au sein de son ancien parti, le SPD, mais également au sein des Verts. Ils l’accusent d’avoir « retourné sa veste » et de passer actuellement sous silence son soutien à la politique de la coalition rouge-verte, notamment au moment de l’intervention de l’OTAN au Kosovo.

Les sondages indiquent par ailleurs que seule une petite minorité d’Allemands verrait l’avènement d’une telle coalition d’un bon œil. A noter cependant qu’en septembre 2006, dans le Land régional de Berlin, le SPD a préféré rester au pouvoir avec Die Linke plutôt qu’avec les Verts. En passant de 22,6% à 13,4%, Die Linke avait payé une participation très difficile. Le Land est surendetté et, contredisant leurs habituels discours « généreux », les anciens-communistes ont dû cautionner une politique d’austérité. Mais le SPD a préféré rester au pouvoir avec cette extrême gauche affaiblie plutôt que de s’allier avec des Verts en pleine ascension (ils sont passé de 9 à 13,1 %). Les perspectives vertes pour les prochaines élections (régionales en Hesse, Basse-saxe et à Hambourg ; communales en Bavière) sont plutôt bonnes. Dans la ville-région de Brème, ils viennent de faire un retour en force à 16,5%, remontant en coalition avec le SPD. Reinhard Loske, l’expert climatique et défenseur du « nouveau réalisme écologique » , y est devenu Ministre de l’Environnement et des affaires européennes. Dans l’ensemble de l’Allemagne, les sondages les situent aux environs de 9% des intentions de vote (contre 8% aux élections de 2005) tandis que le SPD est plutôt annoncé en recul face à Die Linke qui est en progression constante (autour de 10%), surtout dans les Länder de l’Est. Les jeux semblent actuellement très ouverts dans la perspective des élections fédérales d’octobre 2009. Il est peu probable que la grande coalition soit reconduite. En revanche, les préférences de la Chancelière Angela Merkel iraient vers une coalition noir-jaune avec les libéraux. Une course dans la course aura lieu entre les libéraux du FDP, les Verts et Die Linke. Celui qui voudra participer à un gouvernement, quel qu’il soit, devra idéalement arriver en tête du peloton des « petits ».

3. Situation économique et écologique de l’Allemagne

Depuis 2006, l’économie allemande, la plus importante de la zone Euro, s’est rétablie. La balance commerciale a dégagé un excédent commercial de 18 milliards d’euros pour le seul mois d’octobre (celle de la France a été en déficit de 3 milliards sur la même période…). La croissance économique a été de 2,7% en 2006, faisant reculer le déficit public à 1,7% du PIB, contre 3,6 % en 2005, dernière année de la coalition rouge-verte. Mais les Allemands n’en ressentent pas encore globalement les effets. Certes le chômage a fondu de 700.000 unités à 3,4 millions de demandeurs d’emploi, mais l’inflation est à quasiment de 3% sur l’ensemble de l’année. La consommation est également freinée par la hausse de la TVA décidée par la grande coalition pour combler le déficit public. En outre, les revenus de la fortune croissent plus rapidement que les revenus du travail, selon une étude réalisée par un organisme syndical, le WSI, cité dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 4 décembre. Le chômage reste encore à un niveau élevé avec des variations régionales très fortes. La Bavière est quasiment au plein emploi avec plus de 400.000 emplois non pourvus, tandis que le chômage atteint des niveaux wallons et bruxellois dans certains états de l’Est, voire dans d’autres régions de l’Allemagne. On assiste également à une montée de la problématique du travail faiblement rémunéré. Il n’y avait jusqu’ici pas de salaire minimal légal en Allemagne. La fixation des salaires est traditionnellement laissée aux partenaires sociaux. Certains employeurs en profitent pour les maintenir aussi bas que possible. L’assurance-chômage verse un complément de revenus à 1 millions de salariés dont 344.000 à temps plein !

L’Allemagne est à la pointe du progrès écologique. Elle a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 18,5% entre 1990 et 2005. Certes, la fermeture d’une série d’industries polluantes de l’ex-RDA y a contribué au début de la décennie, mais pour la seule année 2004, le pays a réduit ses émissions de 2,5%, notamment grâce aux énergies renouvelables et à la cogénération. L’Allemagne est en effet en train de vivre un véritable boom des énergies alternatives. Ce secteur emploie actuellement 225.000 personnes, soit autant que l’industrie automobile. C’est un succès à mettre clairement sur le compte de la politique menée par les Verts. Il résulte directement de la combinaison de la loi de sortie du nucléaire, de la loi sur les énergies renouvelables (qui les rend financièrement intéressantes) et de l’entrée en vigueur de l’éco-fiscalité.

4. Cap 100% renouvelables

Les Verts veulent que l’Allemagne s’engage encore plus dans la lutte contre le changement climatique. Le gouvernement Merkel prône une réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990. C’est bien, disent-ils, mais il faut passer de la parole aux actes. La résolution votée par la BDK donne la mesure exacte du chemin à parcourir. D’ici à 2050, il s’agit de passer de 10 tonnes de gaz à effet de serre en moyenne par Allemand (le Belge est à 12 tonnes…) à moins de 2 tonnes, condition sine qua non pour maintenir le réchauffement climatique dans une limite de 2 degrés d’ici la fin du siècle. « Nous avons un maximum de 15 ans pour sauver le climat », martèlent les Verts qui veulent que l’Allemagne s’approvisionne intégralement en énergies renouvelables d’ici quelques décennies. Ils disent ne pas craindre les conflits que va générer la sortie de la société industrielle telle qu’elle s’est développée au cours des 200 dernières années en rappelant que la sortie du nucléaire et des énergies fossiles a été la base d’un formidable bond de l’innovation dont toute l’économie allemande profite.

Concrètement, la motion propose un ensemble de mesures parmi lesquelles on trouve:
• la suppression de toute forme de subvention pour les énergies fossiles et notamment pour la construction de nouvelles centrales à charbon ; Les Verts mènent campagne sur le plan local contre tous les projets de nouvelles implantations ;
• la construction de nouvelles infrastructures publiques de transport de l’électricité sur de longues distances (pour importer de l’électricité éolienne ou solaire) ;
• l’introduction d’un ökobonus : une sorte d’allocation universelle énergétique que l’Etat verserait chaque année à tous les citoyens tout en augmentant la fiscalité sur les énergies fossiles (donc seul celui qui en consomme moins est récompensé) ;
• la mise en place un système d’information centralisé sur les performances énergétiques des appareils ;
• la mise aux enchères des droits d’émission et leur réduction progressive sur le principe que tout le monde doit avoir droit au même niveau d’émission ;
• la mise en place de péages urbains ;
• la limitation généralisée à 30 km/h en ville et à 120 km/h sur les autoroutes (avec un système de blocage automatique de la vitesse) ;
• une moyenne d’émission de 120 grammes du kilomètre en 2012 pour toutes les nouvelles voitures et de 80 grammes en 2020 ;
• une limitation absolue des émissions : aucune voiture ne pourrait émettre plus que le double de la moyenne ce qui veut dire tous les véhicules à maximum 240 grammes ;
• la suppression complète des avantages fiscaux pour les voitures de société ;
• le développement des voitures électriques (1 million en 2020) ;
• l’ouverture à la concurrence du rail avec maintien public de l’infrastructure (les Verts disent un non absolu à la privatisation et à la mise en bourse de la DB) ;
• l’augmentation de la taxe kilométrique sur les camions de plus de 3,5 tonnes au même niveau qu’en Suisse.

5. Le débat sur l’allocation universelle et l’avenir de l’Etat social

Le retour de la croissance économique et les réformes de l’état social menées par la coalition rouge-verte (désignées sous le générique d’Agenda 2010 et plus spécifiquement réforme Harz IV pour la réforme de l’assurance-chômage) n’ont pas suffi à réduire le problème du chômage et la montée des inégalités sociales. Selon des chiffres transmis dans le cadre de la BDK, 2,5 millions d’enfants allemands vivent dans la pauvreté. Un million de salariés reçoivent un complément de chômage, dont 344.000 travailleurs à temps complet.

Pour comprendre la portée de la motion adoptée, il faut savoir que le système allemand distingue deux types d’assurance-chômage :
• l’« Arbeitslosengeld I (A I) » : l’assurance-chômage proprement dite qui intervient en cas de perte d’emploi et qui compense (parfois jusqu’à concurrence de 70%) la perte du revenu durant une période limitée ;
• l’« Arbeitslosengeld II (A II) » : l’assurance-chômage pour les chômeurs de longue durée, pour les bénéficiaires de l’aide sociale (elles ont été fusionnées, avec l’appui des Verts en 2002), ainsi que pour les travailleurs disposant de trop faibles salaires ; cette assurance est cumulable avec d’autres aides, notamment au logement.

Les Verts ont donc entrepris un examen critique de leur participation aux réformes sociales de la coalition rouge-verte. Tout en continuant à soutenir certains de leurs aspects, ils estiment aujourd’hui qu’il faut renforcer très fortement les transferts sociaux pour combattre la dualisation de la société. Mais en même temps, ils ne veulent pas de retour en arrière. La modernisation non-néolibérale de l’Etat-social est l’objectif commun des deux motions qui se sont affrontées. Celle qui l’a emporté vise à consolider le système assurantiel classique de la sécurité sociale tandis que la résolution en faveur de l’allocation universelle prône un changement complet de paradigme.

En l’occurrence, les défenseurs de l’allocation universelle – emmenés par la fédération régionale du Land de Bade-Würtemberg – estiment que l’Etat social hérité de la société industrielle n’est plus réformable, que toute tentative de le reconsolider débouche sur de nouvelles difficultés et notamment sur un gonflement de l’appareil bureaucratique. Pour eux, l’équilibre entre les mesures d’encouragement (fördern) et les exigences posées en contrepartie (fordern) devient de plus en plus difficile à atteindre. Le système actuel ne permet plus de venir en aide à toute une série de personnes exclues et ne soutient pas suffisamment les travailleurs les plus pauvres. En outre, disent encore les défenseurs de l’allocation universelle, l’économie du savoir et de la connaissance rend les parcours professionnels de moins en moins stables. Le modèle de l’emploi salarié à vie devient plutôt l’exception que la règle. Il faut donc un système de protection sociale qui en tienne compte. La proposition d’allocation universelle défendue à Nuremberg ambitionne également de combiner un renforcement de la protection des plus défavorisés (et notamment de ceux qui ne perçoivent actuellement aucune allocation) et un accroissement de l’incitation à travailler. La réponse à la question de la contrepartie que les citoyens doivent donner à leur allocation sociale ne s’y ferait pas de manière contrainte, mais « par la mise en œuvre de règles de jeu équitables ». Le modèle se veut résolument plus libertaire. « L’allocation universelle libère du contrôle démocratique, chacun a la liberté absolue de faire ce qu’il veut de sa vie, même les punks qui traînent toute la journée en rue à Berlin », a lancé un jeune Vert à la tribune de la BDK.

La motion pour une allocation universelle comportait trois piliers :
1. l’octroi d’une allocation universelle (bedingungsloses Grundeinkommen, ce qui signifie plutôt une allocation de base inconditionnelle). Octroyée sans condition, elle serait de 420 Euros par adulte et de 300 Euros par enfant jusqu’à 18 ans (soit le montant prôné par les associations sociales pour les bénéficiaires de l’AII). D’autres formes d’aide et notamment les aides aux logements resteraient accessibles. Les dispositifs habituels de pension, de chômage et de maladie de même que leur financement par les cotisations sociales et l’impôt resteraient inchangés. Le tout est censé être finançable par une réforme de la fiscalité (et notamment le décumul des revenus des époux), la réaffectation de tout le financement actuel du système d’AII et des allocations familiales ainsi que par un renforcement de la fiscalité écologique. En outre, les revenus supérieurs la percevraient sous la forme d’un crédit d’impôt ou d’impôt négatif.

2. le renforcement des dispositifs d’insertion mis à la disposition des chercheurs d’emploi.
L’allocation universelle permettrait de supprimer les menaces de sanction des chômeurs. Chacun d’entre eux devrait avoir droit à un accompagnement adapté dans lequel il s’inscrirait tout à fait librement, seule condition pour restaurer sa motivation. Les économies effectuées dans les enquêtes de besoin (entre 1.500 et 2.000 € par enquête individuelle, dit-on) financeraient cet accompagnement. La réforme permettrait également aux chômeurs d’accéder à des programmes d’emploi et à la formation en entreprise dans le cadre du système dual de travail et de formation qui devrait être impérativement renforcé.

3. le renforcement des dispositifs de formation et d’enseignement. Le dispositif s’appuierait aussi sur une amélioration du système scolaire et des moyens requis et notamment par le renforcement de la mixité scolaire.

La motion finalement approuvée sur la création d’une assurance de base (Grundsicherung) propose la création d’une assurance de base qui poursuit les deux objectifs de base du parti : la justice et l’auto-détermination en garantissant, d’un côté, la sécurité d’existence et de l’autre, la garantie de participation à des biens publics tels que la formation. « La pauvreté et l’exclusion sociale ne se réduisent pas au manque d’argent, mais consistent également dans la réduction de l’accès à la formation et à d’autres biens publics et dans l’impossibilité d’accéder au marché du travail salarié », dit la résolution qui est inspirée par la crainte que l’allocation universelle ne débouche sur la « mise au repos organisée » de franges entières de la population. Une personne à mobilité réduite a expliqué aux délégué : «Je suis handicapé, quand j’ai été au bureau de chômage, on m’a dit que j’étais difficilement plaçable. J’ai peur que l’allocation universelle ne donne bonne conscience aux employeurs. Les chômeurs ont besoin de soutien à l’intégration pas d’une allocation universelle ».

La motion souligne que la justice est « une relation de réciprocité ». Elle explique en substance que la société a besoin de tout le monde. Le fait de ne pas être utile, de ne pas pouvoir participer à la société est un signal dévastateur. Mais inversement, chacun participe à la solidarité, par exemple au travers de ses transferts individuels et on attend dès lors un engagement de chacun en fonction de ses capacités individuelles.

La motion prévoit un très ambitieux programme dont le coût global est de 40 à 60 milliards d’Euros. Ces moyens doivent venir d’un relèvement du taux supérieur d’imposition à 45%, la suppression du décumul des époux, la suppression d’une série de subventions pour des productions polluantes, Concrètement, la motion préconise :
• l’augmentation de l’AII de 370 (actuellement) à 420 € ;
• l’individualisation de l’AII ;
• la diminution des risques de sanction et le renforcement de la liberté de choix dans les dispositifs d’insertion ;
• le développement d’une politique d’activation adaptée aux personnes qui sont le plus difficilement plaçables ;
• la dispense de médiation ou d’activation pour les indépendants et les artistes qui montent un projet ;
• l’octroi d’une allocation familiale de l’enfant indépendante de la situation des parents de 300 à 350 € par enfant ;
• un renforcement de la prise en charge collective des frais pour les repas scolaires, les bibliothèques, le transport, les cours de musique et activités sportives ;
• la réduction des charges sociales sur les bas salaire ;
• le renforcement des possibilités de cumul entre allocations et revenus du travail tout en garantissant salaire minimal pour éviter l’effet d’aubaine ;
• des investissements massifs dans les biens publics et des réformes de structure de ces biens, par exemple dans l’accueil des enfants (les Verts veulent 800.000 places en plus pour les enfants de moins de trois ans) et dans l’enseignement, la formation en cours de carrière, la santé, l’aide aux handicapés, les transports via l’introduction de tickets sociaux.

6. « Grüne Marktwirtschaff » : une économie de marché régulée socialement et écologiquement

La motion sur l’économie de marché ambitionne de concilier une série d’objectifs : rompre avec l’image négative laissée par la coalition rouge-verte en ce qui concerne l’économie et le manque de rigueur budgétaire et convaincre en particulier les milieux économiques, les indépendants et les PME, clarifier les rôles respectifs du marché, de l’Etat et du tiers secteur, baliser le débat sur la croissance, développer le concept de « biens publics ».

Le texte approuvé est nettement plus régulationniste que la version présentée en juillet dernier par le groupe du parlement fédéral. S’il se présente comme « une alternative à la déification du marché par les néo-libéraux et à la surestimation de la vertu de la planification de la vieille gauche », il pose clairement que le dérèglement climatique est le résultat d’un système économique capitaliste mondial non régulé. « Les marchés qui sont livrés à eux-mêmes sont aveugles sur le plan social et écologique. Telle est la raison de l’échec du néo-libéralisme qui s’accomplit devant nos yeux. Pour qu’ils fonctionnent les marchés ont besoin d’un cadre légitimé de manière démocratique et ils ont besoin de règles. En même temps, sans des marchés qui fonctionnent, l’économie et l’Etat ne peuvent déployer la dynamique nécessaire pour résoudre les problèmes de manière efficace ». Tout en vantant les mérites de l’action de marchés régulés, le texte critique fortement les illusions néo-libérales. « La main invisible du marché, qui dans la rhétorique d’Adam Smith doit faire en sorte, que l’intérêt privé et l’intérêt général se recouvre, ne peut fonctionner que lorsqu’existent des dispositifs internationaux et étatiques de régulation des marchés. La main invisible ne deviendra réellement verte que lorsque les conditions globales d’une économie de marché globalisée seront choisies de telle manière à ce que les prix disent la vérité écologique, et lorsqu’est clairement formulé ce qui est permis et ce qui ne l’est pas ».

La résolution insiste aussi sur la responsabilité sociale de l’Etat : « L’Etat doit créer un cadre qui doit permettre de dépasser la division de la société entre riches et pauvres et qui produit une justice au sens élargi. Pour les Verts cette justice élargie signifie à la fois, une justice redistributive, participative, une justice au sens de l’égalité des chances, une justice entre générations, entre genres et une justice planétaire ».

Car, « tout ce qui brille n’est pas marché ». Les Verts estiment qu’il y a beaucoup de relations d’échanges qui ne doivent pas être organisées par le marché : enseignement, santé, économie solidaire, coopérative, entreprises autogérées, soit autant de « formes alternatives d’économie qui résolvent la contradiction entre travail et capital, travail et clients ». Ils prônent donc un renforcement du tiers secteur notamment pour son apport en termes d’innovation sociale et économique comme le montrent les magasins bios, le car sharing, les coopératives citoyennes d’énergies renouvelables. Concrètement, ils proposent de soutenir les personnes et les entreprises autogérées qui se mettent en coopératives pour acquérir leur logement ou leur entreprise.
Dans une « économie écologique de marché », seul peut survivre celui qui épargne les ressources. Un mixte de fiscalité, de normes, d’interdictions et d’incitants doit permettre aux économies qui en bénéficient d’être les plus en avance sur le plan technologique. Il faut un équilibre entre une croissance qualitative qui emploie de moins en moins de ressources et qui ne se fait pas sur le dos des pays pauvres et une forme de croissance quantitative : « La modernisation de notre production et de notre consommation impliquera une longue période de croissance qualitative. L’éradication de la pauvreté globale, l’accès à l’énergie et à la mobilité, la fin d’un endettement public élevé rendront nécessaire une croissance quantitative. Et l’immense endettement public rendra nécessaire la croissance. Cependant nous devrons réduire pas à pas notre dépendance structurelle à l’égard de la croissance quantitative. Nous avons besoin d’un ordre économique qui ne plie pas chaque fois que le PIB ne croît pas pendant quelques années ».

Il faut également un cadre social à l’économie verte de marché : salaire minimal, réduction des charges sociales sur les bas salaires, renforcement de l’assurance-chômage, réforme fiscale pour financer les transferts sociaux (voir résolution sur le social). Les Verts assument crânement une augmentation globale de la pression fiscale. Ils veulent augmenter le taux le plus élevé à 45% et demandent que le rendement de l’impôt des sociétés corresponde réellement à un taux de 30.

En même temps, la motion veut séduire les PME. « Nous avons besoin d’entrepreneurs qui veulent faire des bénéfices sans oublier l’intérêt général. Nous rejetons l’image souvent répandue du méchant entrepreneur », disent les Verts qui prônent une réduction des charges administratives, notamment pour la création d’entreprises.

La motion met encore l’accent sur le développement des biens publics. Dans l’économie de la connaissance, il est crucial que l’Etat garantisse l’accès de chacun à l’enseignement tout au long de la vie. Il faut en particulier garantir l’accès gratuit aux archives, à des licences gratuites dans l’esprit de la philosophie open access, ce qui passe par une modernisation du droit d’auteur et des brevets.

L’Etat doit investir dans l’infrastructure existante et le développement d’infrastructures du futur. « L’Etat ne doit pas tout faire lui-même, mais il doit veiller que tout soit fait avec suffisamment de qualité. La privatisation de tâches partielles peut avoir du sens, mais les exemples négatifs ne manquent pas. La privatisation ne peut pas vouloir dire que la responsabilité fondamentale de l’Etat pour les biens publics soit abandonnée ou que les bénéfices soient privatisés, les pertes renvoyés sur le compte de la collectivité. Les privatisations doivent également être strictement encadrées. Si on veut la concurrence, il faut qu’elle soit réellement garantie contre les monopoles dans le secteur de l’électricité. Cela veut dire aussi maintien de l’infrastructure d’énergie et de transport dans le giron public ». En même temps, les Verts allemands défendent l’idée d’un Etat qui ne se mêle pas de tout. « Un Etat fort est un Etat qui se retient et qui respecte et encourage l’autonomie et l’autodétermination de la société. Notre compréhension de l’Etat vise à encourager la subsidiarité et qui pense de manière décentralisée ».

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