COP climat ou COP justice

Depuis quelques années, la notion de justice climatique s’est de plus en plus imposée dans le vocabulaire autour du climat au point d’en devenir un enjeu central. Cette récente popularité du terme trahit mal le fait que la question de la responsabilité des émissions a été au coeur des COP dès le début.

La vision classique veut qu’en matière de CO2 en tout cas, les pays développés, de par la révolution industrielle, sont les principaux responsables de la situation actuelle. Un auteur comme l’économiste Olivier Godard, dans son livre récent intitulé « La justice climatique mondiale » à la Découverte, insiste pour souligner que si l’on incluait le méthane, l’on arriverait à la conclusion d’une responsabilité davantage partagée.

Parallèlement à cette question de la responsabilité est apparue ce que j’appelle la double-peine, à savoir le fait que les pays du Sud, de par leurs climats moins tempérés et leurs infrastructures publiques moins développées, ont ressenti très vite l’impact du réchauffement climatique et ce, de multiples manières : sécheresses plus abondantes, moindre productivité des sols, accès à l’eau diminués, multiplication des accidents météorologiques liés au réchauffement climatique,…

La double-peine s’explique par un troisième volet à côté de la responsabilité et de l’impact, à savoir les limitations de facto imposées à leur combat pour sortir leurs populations de la pauvreté, puisque du budget carbone qu’il reste à la planète pour rester en deçà des deux degrés et qui est à partager, la part qu’on veut bien leur laisser est pour le moins réduite.

Pour avancer, il convient de distinguer les deux premiers volets du troisième. Sur le lien responsabilité-réparation, la première intuition est qu’il y a un principe de justice international en jeu et qu’elle doit s’appuyer sur le principe « pollueurs payeurs » dont découle assez logiquement la mise en place d’un fonds vert financé par les pays du nord pour aider les pays du sud à prendre des mesures d’atténuation et les aider à s’adapter à des températures plus élevées.

Godard interroge cette intuition en invoquant le fait qu’il n’y pas en tant que telle de justice internationale quand il s’agit d’une matière laissée à la seule compétence des états. Cet argument semble peu convaincant eu égard à l’existence de la Cour Internationale de La Haye : sans entrer dans des discussions juridiques qui nous dépassent très largement, tout dépend d’un consensus international sur la question. D’ailleurs, certaines voix plaident depuis longtemps pour la mise en place d’un dispositif pour crimes environnementaux.

En passant d’ailleurs, ce qui serait un minimum à ce stade, c’est de ne pas laisser impunis les assassinats d’activistes environnementaux (entre 2 et 300 en moyenne par an) tout comme les journalistes enquêtant sur ces matières, comme le relevait SF cette semaine).

Un deuxième argument de Godard contre ce principe de justice climatique est très simple : peut-on vraiment reprocher des actes dont les auteurs ignoraient les conséquences ? En d’autres termes, les John Cockerill ou Rockefeller qui sont à la base de la hausse des émissions de CO2 au cours du 19ème siècle, le faisaient sans avoir la moindre idée du fait que plus de 150 ans plus tard, 30000 personnes s’enfermeraient pendant 15 jours pour parler du devenir de l’humanité à cause de ces émissions. La science du réchauffement climatique naît à la fin du 19ème siècle par la confirmation du lien de causalité entre CO2 et réchauffement potentiel du climat mais, comme dit hier, ce n’est avec Thatcher qu’à la fin des années 80 l’Humanité a vraiment pris conscience des dangers encourus par les activités carbonées. Si on se tient aux principes consacrés par la justice, à savoir qu’on est responsable et coupable d’un acte quand celui-ci est reconnu comme délictueux par la loi, il est difficile de tenir les pays développés comme coupables d’un acte dont ils ne pouvaient connaître les conséquences néfastes… De ce fait, l’auteur propose que les responsabilités soient seulement imputées à partir de 1988, mais il ajoute aussitôt un droit d’assistance pour les peuples en danger et l’assurance d’assurer à chacun la possibilité de couvrir de ses droits essentiels..

Un autre regard intéressant sur cette question a été apporté peu avant la COP par Thomas Picketty et son collègue de la Paris School of Economics Lucas Chancel : plutôt que de regarder la répartition des responsabilités entre les pays, pourquoi ne pas plutôt la regarder au sein des pays? Un riche chinois ou brésilien pollue aujourd’hui sans doute plus qu’un chômeur wallon, pour faire dans la caricature. Des études montrent d’ailleurs que la croissance des émissions des classes moyennes des pays émergents sur les dernières années semble avoir été supérieure à celle des classes moyennes européennes. Une manière proposée par les auteurs d’alimenter le fameux fonds vert serait de taxer les voyages en avion de 1ère classe à hauteur de 180€ et de 2eme classe à hauteur de 20€, ce qui serait suffisant à arriver aux 100 milliards requis. 100 milliards qui ne sont toujours pas réglés à Paris.

Ces regards inhabituels sur la notion de justice climatique ne sont pas encore intégrés dans le projet d’accord sur la table à Paris. En revanche, une notion nouvelle est arrivée depuis peu, celle des « dommages et pertes » : on n’est plus dans l’atténuation, ni même dans l’adaptation, on est dans le dur, dans le très concret : qui va payer pour les dégâts subis par des pays qui n’ont pas les moyens  de faire face aux dégâts d’un typhon ? C’est une question qui tétanise les Etats-Unis qui veulent – comme d’habitude – préserver leurs entreprises de tout risque de recours juridique.

Venons-en maintenant au 3ème volet qui est finalement plus un enjeu d’équité, à savoir la possibilité pour les pays moins développés d’augmenter le bien-être de leurs habitants en poursuivant une politique de croissance et de développement qui risquent de ne pas être aussi décarbonés que nécessaire.. Comme on le sait, si l’Humanité ne veut dépasser les 2° ou encore mieux les 1,5°, comme la science le requiert, elle dispose d’un budget limité de CO2 : comment le répartir entre pays dont certains sont habitués à un certain niveau de vie et d’autres y aspirent ? C’est ici le principe de différenciation qui a été sacré dans les textes : tous les pays ne peuvent faire les mêmes efforts, les riches doivent en faire plus. Autant dire que du côté des riches, pour paraphraser John Kerry cette nuit, « la différenciation, c’est bon, n’en faisons pas plus…. », cette reconnaissance a des limites…Tandis qu’un pays comme l’Inde veut sa part du gâteau qui reste à manger et dont les pays occidentaux et la Chine ne lui laissent aujourd’hui que les restes.

L’Inde qui résume à elle toute seule la complexité de cette question et des réponses à y donner : à terme le pays le plus peuplé de la Planète, dont la croissance risque de dépasser celle de la Chine et qui est aujourd’hui déjà un des plus gros pollueurs, avec plus de 60 % d’énergies fossiles. Mais qui compte aussi un bon tiers de sa population en situation de grande pauvreté et dont les émissions par tète d’habitants sont encore très loin de dépasser celles d’un européen. Et qui subit depuis quelques semaines dans le Tamil Nadu, dans la région de Chennai (ex-Madras) le pire déluge depuis un siècle et dont le lien avec le réchauffement climatique a été fait. En négociations, l’Inde est un des pays les plus inflexibles, à la fois pour ne pas accepter un objectif de diminution en-dessous des 2° pour pouvoir assurer son développement et la nécessité absolue que les pays du Nord assurent le financement de leur dette historique…

Cet enjeu de justice climatique, on l’a compris, est celui qui déterminera la possibilité d’un accord pour le climat : autant dire sa complexité et sa capacité à cristalliser toutes les différences entre pays vont enlever à Laurent Fabius les quelques cheveux qui lui restent s’il veut faire atterrir sa COP au Bourget…

Je COP, Tu COP

Moment suspendu hier soir dans l’attente de la nouvelle version de l’accord. C’est le règne des rumeurs qui vont dans tous les sens : Hollande et Obama se téléphonent tout le temps, l’accord de ce soir sera le bon, il y aura un accord demain matin après des bi-latérales cette nuit, mais il ne sortira que dans l’après-midi, …et ce qui est fou, c’est que les délégués sont aussi en pleine relâche : on les voit boire et manger un peu partout dans les halls. Même Christina Figueres, la Cheffe du Climat aux Nations-Unies rigolent avec un garde de l’ONU et accepte de bon coeur la mandarine que je lui lance. La nuit a été longue et celle qui s’annonce aussi car les Français ont bien l’intention de tenir l’échéance du vendredi soir annoncée dès le début de la COP. Peut-être est-ce juste le calme avant la tempête…

Pour autant, chacun s’étonne de l’ambiance presque trop calme qui règne ici : il paraît que d’habitude, les portes claquent et les voix s’élèvent ; mais cette fois, rien de ça. Et comme déjà dit, les termes qui reviennent tout le temps, c’est transparence et inclusion, comme si les fois passées, la Présidence était opaque et excluante ;

Il est assez piquant de constater que la consultance en RH et le monde associatif ont inventé des tas de technique de facilitation et de décision collective comme la sociocratie et qu’à ce top niveau international, on a l’air de bricoler au fur et à mesure… Faut dire que 195 pays aux intérêts tellement contrastés est un fameux challenge que la France a l’air de ne pas trop mal relever. Ce vieux routier qu’est Fabius qui, depuis 81 a été rarement loin du pouvoir (Ministre du Budget, plus jeune premier Ministre de France, chef de groupe pendant la cohabitation, président de l’Assemblée Nationale, Ministre des Finances sous Jospin, de multiples fois candidat à la candidature, puis enfin Ministre des Affaires Etrangères) joue de cette longue expérience des ors de la République pour compenser son manque de connaissance du dossier et des pratiques. On verra s’il résistera à sa tendance à des siestes intempestives souvent moquées par le Petit Journal de Canal Plus.

Au point d’utiliser très naturellement le terme « indaba »… Kesako? Il faut être zoulou ou habitué des COP pour le savoir : en zoulou, le terme signifie « réunion des sages » et a été utilisé à la COP de Durban il y a quelques années. Il signifie que les réunions se tiennent entre chefs de délégation uniquement. Quand je parlais hier du caractère uniforme et assez occidental du costume des délégués, il y a au moins une tradition du Sud qui s’est imposée, celle des « indaba » !!!

Dernière minute de ce vendredi matin.

La méthode Indaba et les heures de vol de Fabius n’y ont rien fait : la fin de la COP est reportée à samedi midi. Les considérations nationales ont repris le pas sur les bonnes intentions exprimées et c’est reparti pour une journée de consultations et sans doute une nuit blanche. Même si on est habitués à ces négociations marathon pour décider de l’avenir de la Belgique, se dire que l’avenir du monde se négocie entre gens luttant contre la fatigue est inquiétant, comme si c’était le plus fort qui gagnait au bout du compte – comme à la guerre, en fait – plutôt que la raison….

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