Ces dix principes ont été inspirés par les témoignages de plusieurs collaborateurs du Cabinet de la ministre bruxelloise de l’Environnement, Evelyne Huytebroeck1 sur les actions qu’ils ont menées durant cette législature. Cet article se propose d’en extraire ce qui peut être traduit en principes applicables à d’autres actions, d’autres compétences, dans le cadre de la mise en œuvre de la transition écologique.

2004, c’était à peine il y a cinq ans. Et pourtant, depuis, l’état d’esprit a bien changé. Quand Ecolo est arrivé au Gouvernement bruxellois, non seulement le rapport de forces ne nous permettait pas, a priori, d’imposer grand-chose mais en outre, la crise climatique n’était pas encore prise très au sérieux par les autres partis politiques et les enjeux environnementaux étaient plutôt considérés comme une tare pour le développement socio-économique.

En tout cas, nous avions au moins une grande force et certainement deux longueurs d’avance. Une conscience aiguë des enjeux environnementaux et sociétaux et une vision claire et cohérente de la société durable telle que l’écologie politique l’envisage. Grâce à l’expérience des cabinets verts précédents, nous savions exactement dans quelles directions mener nos projets. Le tout était de développer les outils pour ouvrir la voie.

Avoir une vision politique, c’est le 1er principe. Sans vision, il ne peut y avoir de bonne gestion publique.

A partir de 2004, forts de notre entêtement et de nos convictions, il a fallu persuader nos partenaires politiques de la pertinence et de l’impact positif, notamment d’un point de vue économique, de la prise en compte de l’environnement dans les décisions et les projets. Pour y parvenir, nous avons associé à notre requête d’autres forces vives, les syndicats et certains acteurs économiques qui rejoignaient nos convictions.

C’est le 2e principe. Une gestion publique durable passe par l’association le plus en amont possible, des acteurs concernés.

C’est ainsi qu’Evelyne Huytebroeck, forte du soutien d’autres acteurs, a réussi à apposer sa marque verte au « Contrat Economie-Emploi » initié par Benoit Cerexhe et Charles Picqué. Ce C2E, comme il est appelé, n’est pas (encore) devenu un véritable C3E où l’environnement serait transversal à tous les projets initiés dans ce cadre.2 Néanmoins, il a permis la mise en place de deux beaux projets dans le secteur de l’éco-construction, qui est en effet porteur d’emplois et porteur d’innovation, les deux exigences du contrat Economie-emploi:

Tout d’abord, la création d’un cluster de l’éco-construction qui a pour mission de mettre en réseau tous les acteurs publics ou privés du secteur et de mettre en place des services leur permettant de se renforcer.

Ensuite, la création d’un centre de référence qui assure l’interface entre le secteur de la construction et les acteurs publics de l’emploi et de la formation.3

Pour renforcer le lobbying vers d’autres acteurs politiques à d’autres niveaux de pouvoir (européen par exemple), ou pour aider à la diffusion de nos idées, les pouvoirs publics doivent s’inscrire dans des réseaux qui permettent de multiplier la force de l’action – c’est le 3e principe : réseaux institutionnels, comme Energie-cités, par exemple, qui rassemblent toutes les villes s’inscrivant dans une politique énergétique durable. Mais les pouvoirs publics peuvent également provoquer la mise en réseaux d’acteurs sectoriels (comme la création du Réseau bruxellois pour l’alimentation durable) ou soutenir l’émergence d’acteurs « de réseaux » comme  Slow Food, pour n’en citer qu’un.

Or, nos idées ayant souvent deux longueurs d’avance, ces réseaux ne concernent encore qu’une minorité. C’était d’autant plus vrai en 2004. Il a donc fallu absolument faire tomber les barrières mentales, culturelles et les fausses idées, et démontrer combien l’enjeu environnemental pouvait être générateur d’impacts positifs. Dans un premier temps donc, il s’est agi d’organiser des Rencontres de l’Energie (sous forme de conférences ou de séminaires), des voyages vers des villes exemplatives (notamment à Freiburg avec des décideurs économiques4) et autres actions de sensibilisation.

C’est le 4e principe : le rôle des pouvoirs publics est aussi de sensibiliser, informer, faire tomber les barrières mentales comme première étape d’implémentation d’une politique.

Mais il faut aussi faire tomber les barrières techniques et financières et donner les moyens pour transformer les contraintes en opportunités : C’est le 5e principe, la mise en place de facilitateurs et de mécanismes d’accompagnement et de soutien pour faciliter la transition écologique pour toutes et tous.

A Bruxelles, on peut citer :

l’arsenal des primes5 (à l’achat d’électroménagers, à l’investissement dans les constructions passives, à l’installation d’équipement de production d’énergie renouvelable) ;

les appels à projets pour les bâtiments exemplaires6 qui, en deux éditions et couplés à un taux élevé de primes, ont suscité un tel engouement que Bruxelles vise à présent le top 5 mondial des villes ayant le plus de bâtiments à haute performance environnementale ;

les facilitateurs de la politique énergétique, secteur par secteur,  basé sur le modèle développé en Région wallonne lors de la législature précédente : facilitateur cogénération, facilitateur Logements collectifs-tertiaire-industrie, facilitateur EnR/Grands systèmes, facilitateur Eco-construction, facilitateur Quartiers durables7 ;

le Défi énergie qui a placé les gens en état de démonstration (dont un ciblé sur les publics précarisés et d’origine étrangère) : avec l’aide de facilitateurs « ménages », ils ont expérimenté eux-mêmes les constats négatifs et les pistes qu’ils pouvaient développer pour améliorer leur consommation. L’enjeu de la prochaine législature sera de permettre aux ménages de réaliser les travaux sans surcoût grâce à la mise en place d’un partenariat public-ménages (tiers-investisseur public à destination des ménages).

des outils spécifiques comme l’accompagnement des entreprises voulant réduire leur empreinte écologique. En effet, il faut pouvoir offrir des outils d’orientation et d’accompagnement aux entreprises pour les aider à se lancer dans la transition écologique. A la gestion des nuisances, on substitue dès le départ une aide à des choix environnementaux en démontrant l’intérêt financier de l’investissement8.

Une étape importante au niveau de la conscientisation, c’est 2007. Rapport Stern, rapport du GIEC, film d’Al Gore et prix Nobel. Les consciences se réveillent et nous poussent dans le dos, permettant de gonfler d’énergie renouvelable nos velléités à mener à bien notre projet politique. Le Feder (fonds européen pour le développement régional) inscrit la protection de l’environnement dans ses priorités du plan 2007-2013. Dans ce cadre9, Bruxelles Environnement et l’ABE (l’agence bruxelloise pour l’entreprise) réalisent actuellement un plan stratégique de développement des filières vertes à Bruxelles. 7 grandes filières ont été identifiées au départ : l’éco-construction et la performance énergétique des bâtiments, les énergies renouvelables, la gestion des déchets, les biotechnologies et la chimie verte, la gestion de l’eau, les éco-produits et l’alimentation durable. Il s’agira au sein de ces 7 filières d’identifier les sous-filières stratégiques et les appuis et soutiens nécessaires pour permettre leur développement.10

On peut être également fier de ce projet du point de vue de la transformation du rôle de l’administration et en particulier de l’administration de l’environnement. En effet, l’ensemble du projet est chapeauté par Bruxelles Environnement. C’est donc bien à partir des enjeux environnementaux que va se définir le plan stratégique et non pas à partir des enjeux économiques ! C’est le 6e principe : inscrire comme préalable les enjeux environnementaux et définir toute politique régionale sur cette base. Cette coordination depuis Bruxelles Environnement permettra donc de rendre stratégiques et de soutenir des filières qui sont très importantes d’un point de vue environnemental, même si elles n’ont pas encore fait nécessairement toutes leurs preuves d’un point de vue économique.

En fait, on a rétabli l’ordre des choses. En développant les filières vertes au départ de l’Environnement, l’économie retrouve son rôle premier : être un outil au service de l’homme et de la planète. En outre, l’approche environnementale de l’économie est transversale et permet donc d’avoir une vue sur l’ensemble du cycle : au-delà du développement d’une offre de produits et services écologiques et du travail sur la réorientation des modes de consommation, il est aussi question de la gestion de la fin de vie des produits. Seul un ministre de l’environnement peut influer de façon cohérente et articulée sur ces trois aspects liés au développement d’une filière11.

En outre, ce projet, comme celui des quartiers durables qui est d’ailleurs lui aussi géré depuis Bruxelles Environnement, a révolutionné le rôle de l’administration de l’environnement : de gestionnaire pur de l’environnement (gestion des normes, du contrôle de ces normes, gestion des espaces verts), Bruxelles Environnement est devenu un véritable promoteur du Développement durable, en inscrivant sa réflexion sur l’ensemble du territoire (et en parvenant à s’intégrer dans toutes les politiques de la ville) de la Région, dans tous les quartiers, avec une vision politique.

C’est ici que doit être posée la question de la pérennité d’une telle approche : l’administration de l’environnement peut gagner voix au chapitre économique parce qu’elle est relayée par un ministre et un accord de gouvernement volontaires, mais cette administration peut aussi tout perdre dès la législature suivante parce que l’on revient aux bonnes vieilles habitudes de l’environnement en tant que problème externe aux réalités économiques et sociales…

Ce plan stratégique permet d’appliquer deux autres principes :

-Elaborer des conseils stratégiques pour le développement d’activités innovantes, c’est le 7e principe.

Assurer la souveraineté du projet politique sur le pouvoir économique, c’est le 8e principe. C’est aux pouvoirs publics de décider de la stratégie en matière de reconversion économique et sociétale et d’établir un plan global dans lesquels s’inscrivent les acteurs économiques. Et non l’inverse.

Enfin deux derniers principes essentiels pour une bonne gestion publique :

-Les pouvoirs publics doivent montrer l’exemple. C’est le 9e principe. Il s‘agit donc d’imposer des clauses environnementales, sociales et éthiques dans les marchés publics.

Enfin, une fois que les barrières sont tombées et que les outils d’accompagnement sont bien utilisés, il faut règlementer et établir des normes environnementales, sociales et éthiques, non plus uniquement pour les pouvoirs publics, mais pour l’ensemble de la société. C’est le 10e principe.

L’idée n’est pas de couler ces principes dans le béton. Mais de constater qu’en partant de nos fondamentaux que sont le pilier environnemental et la démocratie participative et de notre vision transversale et cohérente, le Cabinet Huytebroeck a pu arriver à des résultats probants et dépasser les contraintes d’un rapport de force moyen et d’un état d’esprit au départ peu ouvert à nos convictions.

Vu l’air du temps, on peut espérer sans trop de crainte démultiplier la force et l’impact de nos actions politiques à venir. Mais, ceci dit, si l’air du temps, nous rattrape, n’oublions pas de reprendre de l’élan pour continuer de voir plus loin et porter des propositions qui continuent d’avoir deux longueurs d’avance.

Intervention dans le cadre du Congrès : Réussir la transition écologique de l’économie. 3 mai 2009 Charleroi

1 Grégoire Clerfayt, Sylviane Friedlingstein et Joël Solé du Cabinet Huytebroeck et Kurt Custers de Bruxelles Environnement.

2 C’est un des enjeux de la prochaine législature : mettre en place un véritable C3E, à lier avec un nouveau PRD (Plan Régional de Développement). En effet, le PRD se base sur un diagnostic datant du milieu des années 80, qui n’est donc plus du tout valable.

3 Ce centre permet de soutenir les petites entreprises. Néanmoins, il faudra, sous la prochaine législature, travailler à une meilleure coordination de tous les corps de métiers sur les chantiers. En effet, en matière d’éco-construction et de performance énergétique des bâtiments, une meilleure coordination, une meilleure formation de chaque corps de métier, un meilleur relais de l’information entre eux augmentera la qualité des travaux. Il faut donc bien former et fédérer les TPE.

4 Ils ont visité les quartiers de Vauban et Riesenfeld et notamment des bâtiments passifs. Ce voyage, organisé en 2007 a contribué au déclic pour ces acteurs économiques. Dans la foulée, l’entreprise Blaton a construit son nouveau siège en passif, … C’est également à cette époque qu’est lancée la prime pour les constructions passives.

5 Grâce à la Performance Energétique des Bâtiments (PEB) et aux primes, on peut évaluer à 3500 le nombre d’emplois temps plein qui seront créés entre 2005 et 2012.

6 200.000m2 de bâtiments exemplaires bientôt construits, après deux appels annuels, déjà, ce qui placera – dès qu’ils seront construits – Bruxelles dans le top 5 mondial des villes ayant les plus de bâtiments passifs. Et si cette politique perdure durant une 2e législature, Bruxelles pourrait même viser le top… 1.

7 Ainsi, en Région wallonne, ont été mis sur pied des facilitateurs éolien, photovoltaïque, solaire thermique, etc.

8 Il s’agit aussi de former des responsables énergie : a) pour les grands gestionnaires de bâtiments en insistant d’abord sur la question de l’efficacité énergétique ; b) pour le petit patrimoine notamment dans les Contrats de quartier.

9 L’Europe a défini les Régions comme le niveau approprié pour améliorer les performances énergétiques et environnementales. Un autre projet qui a été financé dans ce cadre par le Cabinet Huytebroeck est l’incubateur pour des entreprises travaillant dans l’environnement.

10 La première étape de ce plan  (l’identification de sous-filières, les enjeux, opportunités, faiblesses et contraintes pour le développement pour chacune d’entre elles) qui soumettra des propositions stratégiques concrètes pour le développement de ces filières se terminera fin 2009. La deuxième partie du Plan, qui doit appliquer les conseils stratégiques, se déroulera sous la prochaine législature, si la prochaine majorité avalise le plan…

11 Un exemple : en matière d’affichage des performances automobiles sur le plan environnemental, le secteur et le monde politique considèrent désormais les émissions de CO2 comme l’indicateur nécessaire et suffisant. Seul un ministre de l’Environnement est en mesure de promouvoir et d’éventuellement imposer l’usage d’un indicateur transversal et plus complet tel que l’écoscore, parce qu’il est au centre de tous les enjeux environnementaux (climat, mais aussi qualité de l’air, bruit, environnement-santé, …).

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