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Nous appartenons à cette génération[[Ce texte s’inspire de la Déclaration d’Ottignies-Peruwelz, de la Déclaration de Port Huron, de la Déclaration de Cocoyoc, du Manifeste de ’Democracia Real Ya !’ ainsi que des contributions d’auteurs tels que Hannah Arendt, Alain Caillé, Cornelius Castoriadis, Pierre Calame, André Gorz Tim Jackson, Alain Lipietz, Herbert Marcuse, Dominique Méda, Dennis Meadows, Edgar Morin, Pierre Rabhi, Juliet Schor. ]] , élevée dans un certain confort, et qui voit s’écrouler un à un les fondements sociaux, économiques et politiques de notre société : dogmes de la croissance, des marchés, de la finance, croissance des inégalités, alertes environnementales et démocratiques, …

Nous nous interrogeons sur le sens que nous souhaitons donner à nos vies mais ne parvenons plus à y donner des repères fondés aussi bien sur la prospérité que sur l’épanouissement personnel.

Le constat suivant s’impose à nous : la recherche exclusive de la croissance économique a déstabilisé aussi bien les équilibres internationaux que nationaux. L’inégalité des relations économiques a accru les pressions tant sur les ressources naturelles que sur les ressources humaines. Nous avons atteint les limites de la croissance dans un environnement dévasté. Le système économique est ainsi devenu écologiquement dysfonctionnant et basé sur une surconsommation par personnes. Cette situation n’est cependant pas une fatalité, les dysfonctionnements étant une bonne opportunité pour changer de direction. Néanmoins, l’emprise du modèle néo-libéral, à travers les formes prises par la consommation et la manipulation de nos désirs qu’organisent le marketing et la publicité, étouffe l’organisation démocratique de nos sociétés. L’accélération des activités contribue à ces déséquilibres. Nous sommes prisonniers de l’idée de profit, de rentabilité, de productivité et de compétitivité. Ces idées se sont exacerbées avec la concurrence mondialisée, dans les entreprises, puis répandues ailleurs, comme dans le monde de l’enseignement. Les politiques publiques sont ainsi devenues captives des élites technologiques et économiques, compromettant une juste (re)distribution des richesses, matérielles et immatérielles, ainsi que leur accès à tous. Ces différentes réalités ont conduit à un grand enfermement de nos sociétés, dans lequel l’idée qu’il n’existe pas d’alternative s’est durablement incrustée dans les esprits.

Notre génération voit également se lever des critiques de plus en plus menaçantes à l’égard de l’organisation politique, voire de la démocratie elle-même. Nos sociétés sont traversées au mieux par un constat d’impuissance de l’autorité publique, au pire par une haine des « politiques » et de ce qu’ils représentent. Cette profonde crise de confiance favorise l’émergence d’un climat propice à un hiver de la démocratie dont nous ne percevons encore que peu les dangers.

L’ensemble de ces changements négatifs se rassemble dans un terreau fertile d’où grandissent soit l’apathie face au fardeau trop lourd à porter que représentent ces déséquilibres, soit le repli vers les solutions d’où émergeront de nouvelles violences entre les hommes. Le vivre-ensemble est remis en question tandis que la crainte de l’avenir – voire de son avenir – s’enracine au sein d’une jeunesse sur laquelle devraient pourtant reposer tous les espoirs.

Redéfinir le progrès

Nous pensons dès lors qu’il est temps aujourd’hui de changer d’ère. Il s’agit de sortir du dogme du « toujours plus » pour lui préférer le principe du « enfin mieux ». Le progrès et la prospérité ne peuvent se baser sur la simple accumulation de technologies et de richesses. Toutes les étapes de formation suivies durant la vie se doivent d’être organisées sur ce principe.

Il est nécessaire de redéfinir la notion de progrès. Nous devons rompre avec l’idée que le progrès consiste à produire toujours plus de biens et de services, à consommer des quantités croissantes d’objets, à mettre la nature en coupe réglée ou à détenir avoir le produit intérieur brut le plus important possible. Nous devons repenser le progrès au-delà des seuls objectifs économiques. Le progrès se doit d’être démocratique, social, environnemental, convivial. L’écologie politique est le fondement politique permettant cette redéfinition.

Nous sommes convaincus que l’écologie politique est un progrès démocratique. Il s’agit de bâtir une démocratie forte, centrée sur la revitalisation de la citoyenneté. Cette citoyenneté revitalisée doit permettre à chacun de comprendre le sens de ses actions, et d’en mesurer les impacts. Cette citoyenneté doit se fonder aussi bien dans la participation aux prises de décisions publiques que dans un projet éducatif renouvelé et plus large, qui explicite les rapports de domination et permet de les modifier. Il faut renouveler l’éthique, la vision du pouvoir et ses méthodes d’application. La démocratie est un acte de foi dans l’Homme et dans sa capacité à s’informer. C’est aussi une conviction que collectivement les citoyens peuvent avoir une prise sur leur destin.

Nous sommes convaincus que l’écologie politique est un progrès social. Il s’agit de se doter d’une autre logique de travail, où le but n’est plus celui de la flexibilité et de la productivité mais bien de l’épanouissement et du respect de tous. Alors que le travailleur devait être libéré des tâches difficiles grâce aux machines, ces dernières ont contribué à son asservissement. La logique de productivité qui s’y est jointe a fini par exclure les travailleurs mêmes de leur emploi, ou à les soumettre à celui-ci ceux-ci. La réduction collective du temps de travail permet de lutter contre cet asservissement, néfaste tant pour le travailleur que pour l’écosystème. Plus le temps de travail est élevé, plus l’empreinte écologique est élevée. Il est dès lors nécessaire de donner une autre place au travail dans nos vies.

Nous sommes convaincus que l’écologie politique est un progrès économique. Il s’agit de proposer un autre modèle économique, non plus dominé par les seuls intérêts publics ou privés mais où la logique du commun est prise en compte. Cette vision repose sur une autre logique du marché, où se développent des économies localisées, concentriques, échappant à la domination de l’économie globale, et où sont donnés les moyens nécessaires à l’émergence d’une économie sociale et solidaire, fondée sur une plus juste participation des travailleurs à l’organisation de la production et de ses moyens. Le marché ne doit pas déterminer dans quelles directions la société doit se développer. L’autonomie des économies locales et régionales doit permettre cette réappropriation. La relocalisation du pouvoir économique est une condition nécessaire pour des économies durables et souveraines. Cette autonomie ne peut cependant les faire tomber dans l’autarcie, qui refuse la coopération et la solidarité. C’est en ce sens qu’il est nécessaire de promouvoir les biens communs, et d’en assurer une gestion internationale reconnue par tous. Il est tout aussi fondamental de remettre au cœur du discours la question d’une gratuité promotrice d’égalité entre tous.

Nous sommes convaincus que l’écologie est un progrès solidaire. Il s’agit précisément de nous battre pour plus de justice. Cette justice doit être sociale et environnementale. Il s’agit de mettre fin aux inégalités créées par le système socio-économique actuel, en le transformant radicalement, afin de donner aux populations touchées par ces injustices les moyens nécessaires à leur émancipation et à leur épanouissement. Car plus une société est égalitaire, plus elle est heureuse. Il s’agit également de mettre en place une justice environnementale, qui permet de protéger ceux qui ne sont pas encore défavorisés, mais qui seront les prochaines victimes des dérèglements environnementaux à venir, en ce compris les générations futures. Les défis climatiques et énergétiques sont sans aucune mesure avec les défis que nous avons connus jusqu’ici.

Nous sommes convaincus que l’écologie politique est un progrès environnemental. Il s’agit, face aux modifications climatiques et à la raréfaction des matières premières, de protéger nos sociétés contre ces nouvelles crises de la dette qui seront climatiques et énergétiques. Il s’agit tout simplement de permettre à chacun, aujourd’hui et demain, de vivre dans un monde où une prospérité matérielle est possible, en bonne santé et en sécurité, ce qui s’appuie sur un modèle économique et de société qui préserve la biodiversité, la qualité de l’air, du sol et de l’eau, et ainsi concomitamment la capacité de se nourrir, se loger, se chauffer et se déplacer.

Nous sommes convaincus que l’écologie politique est un progrès commun. Les vraies richesses sont d’abord le produit de l’intelligence humaine, de la connaissance et de leur partage. Ces biens communs de la connaissance doivent être protégés de tout intérêt mercantile ou restrictif quant à leur accès. La coopération, la gestion décentralisée et les droits d’usage collectifs sont autant de modes d’organisation à prôner pour cette voie complémentaire aux traditionnels modes de gestion publique et privée. Il s’agit également de repenser les rapports aux temps, et permettre l’émergence de temps sociaux favorisant les partages et les échanges non-marchands.

Un nouveau récit

La nécessité d’engager la société dans la transition écologique est aujourd’hui perçue par l’ensemble de ses composantes. Ce combat n’appartient plus aux seuls partis se réclamant de l’écologie politique. Dans tous les domaines, les préoccupations écologiques s’affirment. De même, la mobilisation citoyenne est en marche, à travers de multiples organisations tant locales que régionales voire internationales. Cependant, dans les faits, ces initiatives restent mineures et ne parviennent pas à renverser les certitudes liées aux bienfaits du productivisme et de la croissance sans limites. De plus, l’inertie et la mainmise des pouvoirs économique et financier sur le politique empêchent les évolutions nécessaires.

Il convient donc d’opérer une démarche constante d’éducation permanente auprès de la société. La soutenabilité doit s’apparenter à une nouvelle forme de progrès et susciter l’adhésion des populations.

Il s’agit également de renverser le rapport de force, par une mobilisation démocratique afin de se réapproprier les leviers du pouvoir. Il s’agit enfin de redonner du souffle à la politique et d’instaurer une communauté qui s’invente. L’essor des mouvements citoyens témoigne de la volonté de réinventer l’action politique. Le lien politique doit donc s’instaurer en relation avec les autres acteurs, dans une communauté transversale, autour d’un espace de visibilité, et se renforcer par un dialogue continu, à l’œuvre aussi bien dans la réflexion politique que dans la mise en pratique quotidienne des normes. Depuis ses origines, Ecolo s’est inspiré et nourri de la société civile, et de ses différents horizons, dont le parti est originaire. La professionnalisation du parti ne peut atténuer sa créativité, qui se nourrit de ses relations avec l’extérieur. C’est cette idée qu’il s’agit de perpétuer et de réinventer, dans un souci constant de décloisonnement des mouvements agissants dans l’espace public.

Notre ambition doit être de redonner espoir, et de mobiliser autour de ce projet tant individuel que collectif. Ce travail passe par une réappropriation de notre Histoire et de l’évolution historique de nos sociétés, guidées par des créations et des recréations nullement déterminées. Ces projets et ce postulat permettent d’éviter à la fois le désespoir face à un monde dominé par un modèle qui s’écroule et l’optimisme béat envers l’idée de progrès technologiques et scientifiques nous promettant d’illusoires solutions. Il permet également d’éviter la venue d’un autre modèle fondé sur la jouissance des inégalités, et sur les replis identitaire et populiste, qui en accepterait la réalité sans plus les remettre en question.

L’écologie politique est un projet de gauche, post-capitaliste et antiproductiviste, aussi bien sur les constats qu’il pose que sur les propositions qu’il amène. Dans un monde aux ressources limitées, où jamais autant de richesse n’a été produite, et où celle-ci n’a jamais été aussi mal répartie, la seule option viable, solidaire et durable ne peut que s’inspirer de ces principes. C’est ainsi qu’il nous sera permis de nous engager dans un mode de vie épanouissant et prospère pour tous, et de rendre les pouvoirs démocratique, économique et social aux citoyens.

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