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Nous, écologistes[[Avertissement. Ecrit fin 2012, ce texte se veut être une ébauche de synthèse des fondements, valeurs et perspectives de l’action écologiste du parti Ecolo pour les années à venir. Délibérément court, il ne vise pas à décrire de manière exhaustive les propositions politiques dans tel ou tel champ d’action, mais propose plutôt un fil rouge global ramenant à l’essence de l’écologie politique aujourd’hui. Puisse-t-il être source d’inspiration complémentaire aux autres textes de ce numéro pour le renouveau de la pensée et l’action écologiste.]], sommes nés de la rencontre et du brassage plutôt que des idées d’un homme ou d’un groupe. Nous ont fécondés des scientifiques visionnaires, les militants des nouveaux mouvements sociaux, des syndicalistes, des environnementalistes. Mais aussi, des praticiens qui, chacun dans leurs compétences, de l’agriculture à la médecine, de l’enseignement à la mobilité ou la production industrielle, se sont rendus compte des impasses de notre modèle de société. Leur engagement intrinsèquement théorique et pratique, réflexif et pragmatique continue à guider notre action et notre pensée.

Nous entendons ici opérer la synthèse de ces expériences et des trois décennies consacrées à les prolonger dans l’action de notre parti politique. Fruit des leçons du passé, ce manifeste vise également à précise notre cap et raviver les moyens que nous mettons en œuvre pour continuer à le tenir.

Notre horizon

Le cap que nous poursuivons se décline en différentes échelles résolument interconnectées : individuelle, sociale et environnementale.

L’autonomie en est le versant individuel. Elle se traduit par le pouvoir de définir ses valeurs et de choisir son mode vie. Elle n’est possible que si un ensemble de droits et libertés, civils et politiques, économiques et sociaux, sont effectifs. Elle implique l’émancipation de toute dépendance et autorité illégitimes, en même temps que la prise en compte de l’appartenance de l’individu à une société, à un écosystème.

Notre projet se double d’une dimension collective. Faire société, c’est construire un monde commun, concrètement vécu, à partir des relations entre individus différents et égaux. La singularité des individus appelle la reconnaissance, leur position inégale, la redistribution. Il n’y a pas d’individu sans société, il n’y a pas de société sans individu.

Individu et société s’inscrivent dans un écosystème dont les limites balisent leur déploiement. L’action humaine est de plus en plus susceptible de bouleverser les équilibres de son environnement. En découle une responsabilité accrue de réconcilier l’humanité et la nature. Le productivisme a, en effet, rompu les liens fragiles qui les unissaient. L’obsession du toujours plus n’est pas soutenable. Elle appauvrit et met en danger notre écosystème.

Épuisant la nature, exploitant les individus, notre mode de développement engendre aujourd’hui une société atomisée dans laquelle la compétition se substitue au lien social et le consommateur au citoyen. Les inégalités croissent et se reproduisent, fragilisant le corps social et déterminant les trajectoires individuelles. Dans un tel contexte, l’autonomie individuelle relève de l’illusion : la marchandisation des esprits et des corps fragilise leur existence, les homogénéise et borne intolérablement leur liberté. La recherche obsessionnelle de la sécurité dans un monde dont les piliers de la résilience ont été sapés se transforme en dérive sécuritaire, liberticide et stigmatisante.

Notre refus fondateur

Nous rejetons radicalement le productivisme. La croissance de l’économie, de la production et de la consommation n’est pas le remède à la pauvreté ou aux inégalités : les trente dernières années l’ont amplement démontré, même si la leçon n’est encore que très minoritairement apprise.

Ce productivisme est imprégné d’un scientisme qui voudrait, à tout problème, apporter une réponse scientifique. Or, l’innovation technique et les avancées de la science n’ont de sens que relativement à la société qui les fait naître et les intègre. Par elles-mêmes, elles ne sont garantes ni de liberté, ni de justice, ni d’émancipation, ni de bien-être. Ce n’est pas d’elles que nous attendons un monde meilleur : c’est de nous tous, de la société entière, de l’action et du débat collectifs.

Scientiste, le productivisme est également économiciste : il interprète le réel à travers le seul prisme de la théorie économique la plus simpliste. Nous ne pensons pas, contrairement aux deux grands courants de pensée issus de la société industrielle que tout peut être mis en équation et in fine mesuré en devises. La nature n’a pas de prix, la démocratie n’a pas de prix, l’égalité n’a pas de prix, la liberté n’a pas de prix. Tout ce qui les touche ne peut être décidé économiquement et doit faire l’objet d’un débat aussi large que possible. Notre conception de l’être humain n’est pas l’homo economicus, ce prédateur isolé, mû par des instincts uniquement individualistes, et dont la rationalité se limite aux « eaux glacées du calcul égoïste ». Nous savons que les logiques de coopération et de fraternité agissent tout autant et justifient des politiques fondées sur la confiance, l’échange et le don.

Nous entendons émanciper les sphères de la politique, de l’éducation, de la culture de la logique marchande qui les a imprégnées. Ces sphères ont des rôles et des contenus qu’il appartient à leurs acteurs et à la société dans son ensemble, mais certainement pas aux marchés, de déterminer. Elles doivent contribuer à l’épanouissement et l’émancipation de chacun plutôt qu’à une compétitivité, source de mal-être humain et social.

Une prospérité à redéfinir

Le projet de société de l’écologie politique poursuit comme but la transformation radicale d’un modèle de développement consumériste et inégalitaire.
Là où d’autres s’affrontent sur les meilleures manières d’assurer la croissance économique, et d’en repartir les fruits, nous explorons la voie qui peut garantir une société meilleure. Nous condamnons la confusion entre moyens et fins. La croissance n’a aucun sens comme fin. Comme moyen, elle s’avère socialement inefficace et environnementalement insoutenable.

Nous avons besoin d’une nouvelle définition de la prospérité : une définition qui soit suffisamment féconde pour englober différentes dimensions de l’existence, au-delà de la seule richesse matérielle. Ses contours sont encore ouverts et doivent être démocratiquement tracés. Pour construire un monde nouveau, on ne peut s’appuyer sur la seule « rationalité » des marchés consistant à produire n’importe quoi n’importe comment pour satisfaire des besoins artificiels. Aveuglé par la logique du profit, ce système prédateur asservit l’humain et la nature. En tant qu’écologistes, nous avons le devoir d’inventer ou de soutenir d’autres modes de vie désirables, durables et conviviaux. Ceux-ci devront, notamment par la relocalisation, s’inscrire dans les limites de la biosphère et mettre un terme à la compétition généralisée tirant vers le bas salaires et conditions de travail des plus fragilisés. La transition écologique implique donc des transformations fondamentales des modes de production et de consommation, depuis leurs infrastructures les plus vastes jusqu’à leurs détails les plus menus. L’hégémonie des marchés doit laisser la place à une pluralité économique qui s’appuie sur les logiques de coordination et de don/contre-don. Celles-ci ouvrent un espace permettant de réinjecter du sens dans la production et la consommation.

À l’obsession de l’accumulation matérielle individuelle, le monde prospère que nous voulons, substituera la richesse des biens communs et partagés. Réduire la consommation matérielle ne signifie pas rogner les libertés et possibilités, mais les fournir autrement : ce qui compte, c’est la mobilité et pas la voiture, la chaleur et pas le mazout, la santé et pas les médicaments.

Un projet émancipateur

La prospérité est nécessairement collective, elle ne peut être le privilège de certains. La société prospère est une société des égaux, car l’égalité sous toutes ses formes est indispensable au lien social.

L’égalité au cœur de notre projet revêt bien évidemment des aspects matériels : réduction des écarts salariaux, taxation progressive, logement de qualité accessible pour tous, contribution accrue du capital. Elle recouvre, en outre, des aspects symboliques : l’accès à la prise de parole publique, la représentation équilibrée des différentes composantes de la société, le droit d’affirmer dans l’espace public sa singularité et son identité.

Le renforcement des services publics est un vecteur essentiel d’égalité. Il doit concerner des domaines tels que la santé, l’éducation, la culture, la mobilité et la fourniture des biens de base (eau, énergie, etc.).

Cette nécessité de l’égalité doit encore s’étendre à de nouvelles dimensions : par exemple aux inégalités environnementales qui affectent nos pays, mais plus largement encore la planète entière. Mais aussi à l’égalité politique et au risque de moins en moins maîtrisé que la domination économique se transforme automatiquement en pouvoir politique.

Nous sommes autant attachés aux valeurs d’égalité et de liberté. Ces valeurs ne s’opposent pas. Au contraire : la réalisation de l’une est la condition de possibilité de l’autre.

L’émancipation excède l’égalité. Elle postule l’extension des espaces libérés des logiques marchandes et bureaucratiques, et la maitrise des individus sur leur destin. Maitriser son destin, c’est avant tout choisir l’usage de son temps et partager les temps contraints (travail, tâches domestiques,…).

La démocratie comme fin et comme moyen

La démocratie n’est pas un état figé incarné dans des institutions, c’est un processus jamais fini d’implication du plus grand nombre dans les décisions collectives. Elle ne saurait se limiter à la seule représentation politique : elle est également participation au pouvoir dans toutes les formes d’organisation (collectivités politiques, entreprises, syndicats, etc.). Si nous saluons ce qu’a d’émancipateur l’advenue d’une société d’individus, nous ne rejetons pas non plus les ressources que peuvent apporter les sentiments d’appartenance collective. Nous les encourageons dans la mesure où la pluralité des points de vue, des valeurs et des références est indispensable au débat démocratique.

Notre refus du productivisme, c’est aussi la deuxième chance de la démocratie : nous savons que les tensions et conflits qui ont animé et animeront toujours les sociétés humaines ne connaîtront pas de réponse uniquement technique ou scientifique. Les chiffres ne disent pas le tout du réel, c’est la délibération qui, en absence de toute vérité établie, est seule à même de trancher les grands conflits de société.

La relation entre démocratie et capitalisme a toujours été tendue et conflictuelle. Aujourd’hui, la mondialisation a désarmé celle-là au profit de celui-ci et a réduit la souveraineté populaire à peau de chagrin. Face à ce constat, nous plaidons fermement pour une mondialisation politique qui redonne à la démocratie sa force perdue, plutôt que pour un illusoire retour à l’État-Nation.

L’écologie politique ne connaît pas plus de frontières que les défis environnementaux. Elle est foncièrement internationaliste. Son patriotisme est celui des droits et libertés. Ce projet doit se réaliser par un fédéralisme européen. Nous savons que l’Union européenne se situe à maints égards aux antipodes de notre projet, tant par son déficit démocratique que par ses fondements néolibéraux. Néanmoins, le fédéralisme européen est seul à même de donner aux citoyens et à leurs représentants une force de frappe suffisante contre la tyrannie des marchés. Cette européanisation est une condition nécessaire au retour de la démocratie, comprise comme maîtrise collective de notre destin.

Agir global et agir local sont appelés à se renforcer plutôt qu’à s’opposer. Le principe qui nous guide dans les réflexions sur les institutions, quel qu’en soit le niveau, est la subsidiarité. La décision doit être prise là où son effectivité et son contrôle démocratique sont les mieux assurés.

Notre apport comme parti

La transformation radicale de notre société ne peut faire l’économie des instruments étatiques. Notre organisation comme parti prend sens dans la volonté de les réorienter, même si l’écologie politique ne se résume pas au parti, même si elle ne s’épuise pas dans l’action publique.

Comme parti, nous avons vocation à changer les institutions de l’intérieur. Comme écologistes, nous avons vocation à le faire autrement. Cela implique une recherche constante de cohérence entre nos objectifs et notre fonctionnement interne. Cette cohérence s’illustre aussi par notre rapport au pouvoir. Nous ne cherchons pas à nous l’accaparer, mais à l’exercer de façon transparente et désintéressée.

La volonté de voir à long terme, au-delà de la prochaine échéance électorale, est constitutive de l’écologie politique. En tant qu’écologistes, nous ne laisserons jamais les intérêts particuliers et immédiats prendre le pas sur l’intérêt général, celui des générations présentes et à venir. Les moyens ne dictent pas nos fins, les fins ne justifient pas tous les moyens.

La société qui sortira de la transition écologique n’aura qu’une très vague ressemblance avec celle que nous connaissons. Et nous ne pouvons ni la comprendre ni la créer avec des concepts usés jusqu’à la corde. C’est en redonnant à la politique des marges d’action qu’on parviendra à la réenchanter et à dissiper la résignation qui se nourrit de l’impuissance actuelle. Nous entendons continuer à nous connecter à toutes les initiatives individuelles et collectives qui luttent dans tous les domaines pour une existence pluridimensionnelle, nous en nourrir et les nourrir, les soutenir et en apprendre.

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